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VINCENT DE LKMINS (SAINT


le concile d’Éphèse ne se sont aperçus que les témoignages de saint Félix et de saint Jules, apportés pour représenter la contribution de l’Église romaine au consensus, étaient des faux apollinaristes ; nous le savons aujourd’hui et des faits de ce genre nous rendent un peu défiants à l’égard des textes accumulés sans critique. Nous sommes ainsi amenés, non pas certes à rejeter le critérium de l’antiquité, mais à trouver que son emploi est d’un maniement moins simple que ne l’imaginait le moine de Lérins. Comme lui, nous sommes disposés à condamner les nouveautés et, d’un bout à l’autre, le Commonitorium retentit des anathèmes portés contre les novateurs de toute espèce qui vicient l’enseignement traditionnel. Mais nous nous demandons si nous avons un moyen assuré de discerner les nouveautés, en dehors de celui sur lequel justement n’insiste pas saint Vincent, à savoir l’autorité de l’Église. De ce point de vue, saint Irénée de Lyon, qui a si justement insisté sur l’apostolicité de la vraie doctrine, se montre beaucoup plus eompréhensif et plus profond : c’est à l’Église, héritière de la succession apostolique, qu’il appartient, dit-il, de fixer et de définir la tradition authentique, en dehors de laquelle il ne saurait y avoir que des erreurs. Faute d’accorder au magistère ecclésiastique la place qui lui revient de droit, Vincent semble laisser chaque individu libre de chercher quels sont les dogmes admis partout, toujours, de tous. S’il y avait une évidence en pareille matière, la question ne se poserait pas. Comme l’évidence fait défaut et que, presque dans tous les cas importants, une discussion est possible, il ne faut pas laisser à l’arbitraire individuel le droit de juger en dernier ressort. Lorsque le concile du Vatican a voulu définir l’infaillibilité pontificale, on a vu des théologiens comme Dôllinger mettre en avant le canon de Vincent et déclarer qu’il manque à cette infaillibilité les trois caractères indiqués par le moine de Lérins et que, par suite, elle ne pouvait pas être regardée comme une vérité révélée. Que pouvait-on répondre à Dôllinger, dont la science historique était d’ailleurs incontestable et qui n’avait pas de mal à signaler et à souligner les faits susceptibles d’être interprétés contre la doctrine proposée à l’adhésion des fidèles ? Rien, sinon que seule l’Église a mission de garder et de maintenir le dépôt de la vérité et que seule, par conséquent, elle peut en déterminer le contenu. Franzelin a mis en relief le sens dans lequel il convient d’interpréter le canon de saint Vincent, si l’on veut s’en servir légitimement. Le canon, dit-il, est vrai sensu affirmante : Sine dubio, (alis consensus antiquitqtis, et splendidissime consensus universalis omnium sclatum demonstrat traditionem divinam. Quod ergo ubique, semper, ab omnibus tradilum est, non potest non esse revelatum et divinitus traditum. Mais il n’est pas vrai sensu excludente : Potest aliquod doctrinæ caput contineri in objectiva revelalione, et potest etiam successu temporis, facta sufficiente explicatione et proposilione, pertinere ad veritates fide catholica necessario credendas, quod licel semper contentum in deposito revelationis, non tamen semper, ubique et ab omnibus explicite erat creditum aut necessario credendum. Quamvis ergo characteres in canone enumerati si adsint, evidenler demonstrent doctrinam cui competunt esse dogma fidei catholicse ; non tamen si desint, ex ipso jam constat doctrinam non contineri in deposito fidei, aut doctrinam, hoc ipso quod aliquo tempore ob defectum sufficientis propositionis non erat explicite credenda, nullo tempore esse credendam. Canon ergo verus est sensu affirmante, non tamen potest admitti sensu ne gante et excludente. Franzelin, De divina Tradilione et Scriptura, Rome, 1875, p. 295-296.

Le progrès.

Entendu au sens strict, le canon

de saint Vincent semble interdire d’une manière absolue toute nouveauté et même tout progrès dans la pensée de l’Église. Il rejoint, mais en appuyant avec plus de force encore, la règle posée jadis par le pape saint Etienne, à propos du baptême des hérétiques : Nihil innovetur nisi quod traditum est, et nous avons rappelé que c’est surtout afin de s’opposer aux nouveautés dont saint Augustin se serait rendu coupable dans les questions relatives à la prédestination, que le moine de Lérins affirme avec tant de force le quod semper, quod ubique, quod ab omnibus. Cependant, Vincent ne peut pas tellement fermer les yeux à la lumière qu’il ne soit obligé de reconnaître l’existence d’un véritable progrès dans l’enseignement formulé par l’Église. Ce progrès, il en admet la légitimité dans des limites qu’il essaie de marquer :

1. Progrès dans la formule.

< Taille les pierres précieuses du dogme divin, sertis-les fidèlement, orneles sagement ; ajoutes-y de l’éclat, de la grâce, de la beauté ; que par tes explications, on comprenne plus clairement ce qui, auparavant, était cru plus obscurément. Intellegatur, te exponente, illustrius, quod antea obscurius credebatur. Que grâce à toi la postérité se félicite d’avoir compris ce que l’antiquité vénérait sans le comprendre. Mais enseigne les mêmes choses que tu as apprises, dis les choses d’une manière nouvelle sans dire pourtant des choses nouvelles. » xxii, 6-7.

2. Progrès dans la ferveur de la foi et de la prédication. — « Quel but l’Église s’est-elle efforcée d’atteindre dans les décrets des conciles, sinon de proposer à une croyance plus réfléchie ce qui était cru auparavant en toute simplicité ; de prêcher avec plus d’insistance les vérités prêchées jusque-là d’une façon plus molle, de faire honorer plus diligemment ce qu’auparavant on honorait avec une plus tranquille sécurité ? Voilà ce que, provoquée par les nouveautés des hérétiques, l’Église catholique a toujours fait par les décrets de ses conciles, et rien de plus : ce qu’elle avait reçu des ancêtres par l’intermédiaire de la seule tradition, elle a voulu le remettre aussi, en des documents écrits, à la postérité ; elle a résumé en quelques mots quantité de choses et, le plus souvent pour en éclaircir l’intelligence, elle a caractérisé par des termes nouveaux et appropriés tel article de foi qui n’avait rien de nouveau, et plerumque propler intelligentise lucem non novum fidei sensum novse appellationis proprietate signando. » xxiii, 18-19.

3. Progrès analogue à la croissance de l’enfant ou de la plante. — « Qu’il en soit de la religion des âmes comme du développement des corps. Ceux-ci déploient et étendent leurs proportions avec les années et pourtant ils restent constamment les mêmes. Quelque différence qu’il y ait entre l’enfance dans sa fleur et la vieillesse en son arrière-saison, c’est un même homme qui a été adolescent et qui devient vieillard ; c’est un seul et même homme dont la taille et l’extérieur se modifient, tandis que subsiste en lui une seule et même nature, une seule et même personne. Les membres des enfants à la mamelle sont petits, ceux des jeunes gens sont grands ; ce sont pourtant les mêmes… Ces lois de progrès doivent s’appliquer également au dogme chrétien : que les années le consolident, que le temps le développe, que l’âge le rende plus auguste ; mais qu’il demeure pourtant sans corruption et inentamé, qu’il soit complet et parfait dans toutes les dimensions de ses parties et, pour ainsi parler, dans tous les membres et dans tous les sens qui lui sont propres ; car il n’admet après coup aucune altération, aucun déchet de ses caractères spécifiques, aucune variation dans ce qu’il a de défini. » xxiii, 4-5, 9.