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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/765

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VINTHAS (MIOIFI.)


lui conféra le sacerdoce avec le droit de consacrer et d’absoudre. Tous ces rites furent complétés et précisés dans des apparitions ultérieures. Fort de ces assurances, Vintras, dès le 10 mai suivant, commença d’exercer les fonctions de son sacerdoce. Les cérémonies étaient calquées sur celles de la messe catholique, mais les prières étaient dites en langue vulgaire, elles variaient d’ailleurs d’un « sacrifice » à l’autre, seul le thème général demeurant le même. Le prophète n’hésitait pas à prononcer les paroles de la consécration du pain :

Uni d’esprit et de cœur à la très immaculée Mère de mon Sauveur, ainsi qu’à son chaste et virginal époux, saint.Joseph, je vous offre de nouveau, Seigneur, ce pain que je bénis en votre nom et auquel nous prendrons part, après avoir prononcé sur lui les saintes et adorables paroles de votre divin Fils, lorsqu’il dit en rompant le pain pour ses douze apôtres : Ceci est mon corps qui est donné pour tous. Faites ceci en mémoire de moi.

Et de même pour la consécration du calice :

Ame très pure de Marie, âme sainte du bon et juste Joseph, unissez-vous à mon âme et à celles de mes frères, afin que je présente au l’ère des miséricordes ce calice que je bénis en sa présence. Père saint, agréez cette visible offrande qui est la coupe de notre action de grâces et de notre supplication. Comme Notre-Seigneur Jésus-Christ, votre divin Fils, la veille de sa mort, je prononce sur ce qu’elle contient, les paroles qu’il prononça lui-même en disant aux douze qui étaient avec lui : Ceci est mon sang qui sera répandu pour des multitudes en rémission des péchés.

Après l’élévation, la prière pour les morts et la fraction du pain, l’officiant distribuait la communion aux fidèles sous les deux espèces. Le ciel lui-même se chargeait de démontrer à tous la vérité du nouveau sacerdoce. L’hostie qui servit au premier sacrifice portait l’empreinte d’un cœur sanglant, et dorénavant les miracles de ce genre se multiplièrent. En même temps, les théologiens de la secte s’efforçaient de démontrer, par preuves logiques, la réalité du sacerdoce de Vintras et la validité des consécrations qu’il effectuait. Entre autres parut une brochure de l’abbé Héry, Le Précurseur ; on y lisait que « le sacrifice (vintrasien), prodigieux développement de la charité de Jésus-Christ et du sacerdoce du chrétien, garantissait la prééminence et l’exaltation du souverain sacerdoce que Jésus-Christ a légué à son Église aux grands jours de son règne visible sur la terre ».

Restait à multiplier ce sacerdoce pour les besoins de tous les adeptes de l’Œuvre de la Miséricorde. Divinement institué « pontife provictimal » par Notre-Seigneur lui-même, Vintras allait ordonner à son tour d’autres pontifes. Le 20 mai 1850, il créait sept pontifes divins, entre autres les abbés Charvoz et Héry et même l’abbé Maréchal, venu à résipiscence ; avec eux, quatre autres abbés, ordonnés régulièrement dans l’Église romaine. Trois jours après, le 22 mai, par réciprocité, les sept prêtres pontifes divins imposèrent, à leur tour, les mains à Vintras. Puis ils s’en retournèrent chacun dans sa Septaine pour affermir et répandre les rites et les croyances de la nouvelle religion.

Encore que se déroulant en des sanctuaires bien gardés, ces rites nouveaux ne pouvaient guère demeurer inaperçus de l’autorité ecclésiastique. À l’été de 1850, le concile provincial réuni à Rouen condamnait les présomptions sacrilèges de l’hérésiarque et interdisait sous peine d’excommunication l’assistance aux conventicules, rites et cérémonies de la secte. Texte dans Mansi-Petit, ConciL, t. xliv, col. 38. Rome approuvait ces décrets par lettres du 19 juillet 1851 et, dans un mandement du 18 avril 1852, l’archevêque de Rouen en donnait connaissance aux fidèles. Antérieurement le pape Pie IX avait d’une manière aussi

explicite réprouvé la secte dans un bref à l’évêque de Nancy, en date du 10 février 1851. Cet acte pontifical avait été sollicité par l’Ordinaire de Nancy pour mettre un terme aux agissements de Vintras dans le diocèse. Trois prêtres, les frères Baillard, venus à Tilly, y avaient été promus pontifes par l’Organe et avaient assez vite recruté un petit troupeau dans leur paroisse de Sion, un des centres de la dévotion mariale en Lorraine.

Au cours de l’hiver Î850-1851, Vintras était venu en personne au sanctuaire de Sion pour les sacrer. Trois jours durant les cérémonies de la nouvelle Église s’étaient accomplies devant un nombre relativement considérable de fidèles. Comme les Baillard n’avaient plus libre accès à l’église du pèlerinage, elles se déroulèrent dans l’ancien réfectoire du couvent. C’est pour couper court à ce mouvement, à qui le nom vénéré de Sion pouvait donner crédit, que le bref pontifical reprenait avec plus de force encore les condamnations portées par Grégoire XVI : « Les partisans de cette abominable association, disait-il, ne craignent pas, avec une hypocrite ostentation de vertu, de rêver une œuvre prétendue de Miséricorde et un nouvel apostolat composé de laïcs ; d’assurer que l’Église est plongée maintenant dans les ténèbres et dans une corruption complète ; d’annoncer dans l’Église de Jésus-Christ un troisième règne, qu’ils osent appeler Règne du Saint-Esprit… Attaquant, par des manœuvres infernales la vraie doctrine de Jésus-Christ et pleins de mépris pour la chaire de Pierre et son autorité, ils mettent tout en œuvre afin de détacher les fidèles de la foi catholique et de les précipiter dans le péril de la damnation éternelle. »

Toutes ces manifestations non équivoques de l’autorité ecclésiastique furent accueillies, dans les cercles vintrasiens, par des ripostes de plus en plus véhémentes. Il n’était plus question, comme en 1842, de soumission aux décisions de l’Église romaine. Sous le titre Bref contre Bref, un affidé publiait Les merveilles de l’Œuvre de la Miséricorde, devenues plus éclatantes que jamais par l’aveuglement et les malédictions mêmes de leurs dénégateurs ; antérieurement le même auteur avait fait paraître : La grande apostasie dans le lieu saint, dont le titre indique assez l’esprit. Maintenant qu’elle avait rompu définitivement avec l’Église officielle, la secte n’avait plus à se gêner : puisque les évêques avaient laissé descendre la religion au niveau de la nature humaine, puisque le rationalisme les avait pénétrés, il n’y avait plus qu’à se tourner vers le prophète qui s’était levé, vers le nouvel Élie, qui, de son Carmel de Tilly, prêchait la venue des temps nouveaux et agissait en précurseur du règne du Paraclet.

Cependant, les événements politiques des années 1848 à 1851, événements où les vintrasiens voulaient voir d’abord les signes avant-coureurs de la grande catastrophe, allaient tourner à la déconfiture de l’Œuvre de la Miséricorde. Le gouvernement issu du coup d’État du 2 décembre 1851 travaillait à éliminer soit à Paris, soit en province tous les foyers d’agitation. Toute pacifique qu’elle fût — il semble qu’à cette date on n’y parlait plus guère de Naundorf — l’Œuvre de la Miséricorde excitait les soupçons de la police. Sous main, vraisemblablement, l’évêché de Bayeux encourageait une action. Le 16 mars 1852, un arrêté du préfet du Calvados décidait de disperser l’association prétendue religieuse de l’Œuvre de la Miséricorde. Le lendemain les autorités se présentaient à Tilly ; Vintras, prévenu à temps, venait de partir pour la Belgique ; la maison qu’il occupait et où se trouvait le sanctuaire fut mise à sac et on s’attacha à anéantir tout ce qui avait rapport avec le culte vintrasien. Trois des prêtres adhérents de Vintras,