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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/771

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VIOL


exigences différentes suivant les conditions dans lesquelles a été accompli le viol. Le cas de l’oppression d’une femme mariée ayant été traité au mot Adultère, t. i, col. 468, nous ne parlerons ici que du viol envisagé dans une triple hypothèse : la femme a donné son consentement au stupre, sans conditions et sans qu’aucune promesse de mariage soit intervenue ;

— elle a consenti, mais sur promesse de mariage ; — enfin elle a subi une contrainte injuste (physique ou morale).

1° Dans le premier cas, c’est plutôt une fornication, notent Génicot-Salsmans, Theol. moralis, t. i, n. 569, ou tout au plus un stuprum non injustum, c’est-à-dire accompli sans violence, dit Merkelbach, Theol. mor., t. i, n. 394. En raison du plein consentement donné à l’acte, rien n’est dû à la femme ainsi corrompue, même si elle a été sollicitée par des prières instantes, cadeaux et autres moyens non injustes. Scienti et volenti non fît injuria. Génicot-Salmans vont jusqu’à affirmer que l’injustice n’existe pas, alors même que le fornicateur a usé de violence physique ou morale dans les actes préliminaires (prières ou sollicitations importunes, attouchements, baisers), pourvu que la victime ait consenti ad copulam. Saint Alphonse fait remarquer très à propos que, dans ce cas, le fornicateur a été en même temps un agresseur partiellement injuste (en raison des moyens utilisés pour obtenir le consentement). En conséquence, il sera tenu à réparer partiellement le dommage.

De même, si le séducteur a promis sincèrement et absolument à sa victime une somme destinée à compenser le dommage qu’il lui cause, il sera plus probablement tenu à s’exécuter, car même si le contrat est illicite, la chose promise est licite. On peut en dire autant si un amant très riche a séduit une fille très pauvre, on présumera que celle-ci n’a donné son assentiment que sous condition implicite de quelque compensation. Indirectement encore, le stuprator pourrait être tenu à réparer la réputation de sa complice s’il avait indûment fait connaître la faute restée secrète. Cf. Marc-Raus, Instii. morales, t. i, n. 957 ; Merkelbach, Theol. mor., n. 384.

Quant aux parents, il semble qu’ils n’ont droit à aucune réparation, au moins au titre de la justice (comme paraît l’exiger saint Thomas, IIa-IIæ, q. cliv, art. 6, ad 3um). Mais les deux complices devront, au nom de la piété filiale, faire des excuses et solliciter leur pardon (dans le cas où un déshonneur aurait rejailli sur les parents) et leur donner, s’ils veulent l’accepter, quelque signe de déférence et de respect.

La véritable obligation de justice sera à l’égard de la progéniture, s’il en survient et qu’elle soit imputable à l’unique séducteur. Comme la femme, en donnant son consentement, a accepté une part des responsabilités, les deux complices se partageront par moitié et in solidum les charges d’entretien et d’éducation de l’enfant. Dans le cas où la femme aurait vendu son corps à d’autres, elle serait tenue avant le père et plus que lui, de subvenir aux charges, car c’est elle qui aura créé un doute de paternité. Cette obligation des deux complices est de droit naturel, en vertu de l’équité aussi bien que de la piété paternelle. Elle existe donc, même si les lois civiles interdisent la recherche de paternité. C’était le cas du Code civil français, art. 340, jusqu’au 15 novembre 1912. L’article en question fut modifié dans le sens d’un certain droit à la recherche de paternité. Il suffira, pour que la justice soit sauve, que l’enfant soit élevé selon le rang de la mère.

Dans l’hypothèse où la femme aurait eu plusieurs amants, ceux-ci, pourvu qu’ils aient agi sciemment et d’un commun accord, sont tenus in solidum de

prendre en charge les dépenses que nécessite l’enfant. Si chacun a agi indépendamment de l’autre ou en l’ignorant, la paternité étant incertaine, on ne pourra imposer à aucun de restituer in solidum. On devra cependant conseiller à chacun de restituer (sur la moitié), au prorata du doute existant. À noter que la jeune fille, pas plus que ses parents ou tuteurs, n’a le droit de dénoncer l’un de ces amants comme étant le père de l’enfant. Cependant si la loi civile (p. ex. Code autrichien, art. 163) impose, à titre de pénalité contre la fornication, l’entretien de l’enfant à celui que la femme aura dénoncé, il n’apparaît pas que cette dénonciation constitue une injustice, si véritablement l’accusé est bien un des complices et si la paternité est vraiment incertaine. Cf. Noldin, Theol. mor., t. ii, n. 471.

2° Dans l’hypothèse du consentement donné sous promesse de mariage, l’opinion commune des théologiens était jadis que le séducteur était tenu d’épouser sa victime, que sa promesse ait été feinte, ou qu’elle ait été sincère. Cf. S. Alphonse, t. III, n. 662 ; Gousset, Theol. mor., n. 1015. À l’opposé cependant, d’autres moralistes soutenaient la nullité de la promesse faite sub condilione illicila. Cf. Code civil français, art. 1172 ; Carrière, Examen raisonné sur les commandements de Dieu, t. i, c. vii, art. 2. Saint Alphonse lui-même convenait de l’avantage qu’il y aurait pour la morale à proclamer cette doctrine, afin que les victimes se laissent moins facilement séduire par des promesses qu’elles sauraient être sans valeur. Mais il n’en professe pas moins la doctrine opposée. Cf. Homo apostolicus, De septimo præcepto decal., vi, n. 93.

Aujourd’hui, les auteurs se contentent d’affirmer que le séducteur est tenu de réparer tous les maux qu’il a causés, fût-ce par le mariage, si c’est le seul moyen de compensation adéquat et pourvu que ce mariage ne soit pas l’occasion de plus grands maux. Ce n’est donc pas précisément en vertu de la promesse faite que le coupable sera tenu d’épouser sa victime (en effet si la promesse est feinte, elle est nulle ; si elle est sincère, elle n’oblige pas davantage au mariage, can. 1017), mais plutôt pour réparer la fraude et la déception. Vermeersch, Theol. mor., t. ii, n. 632.

Cependant, le mariage ne pourra être imposé : 1. si l’on prévoit qu’il sera malheureux et source de plus grands dommages ; 2. si la jeune fille avait simulé la virginité : une fraude compense l’autre ; 3. si la jeune fille avait ensuite livré son corps à d’autres, car elle aurait elle-même violé la première la promesse ; 4. si la jeune fille n’était pas vierge, car en l’épousant le séducteur donnerait plus qu’il n’a reçu ; 5. si la victime a pu comprendre facilement soit aux paroles du séducteur, soit à d’autres indices (p. ex. grande inégalité des conditions) que la promesse n’était pas sérieuse, car alors elle s’est trompée elle-même ou feint d’avoir été trompée ; 6. si la jeune fille s’est diffamée elle-même en révélant par une indiscrétion la violence qu’elle a subie ; 7. enfin si la victime renonce librement à ses droits et passe condonation de tout.

3° Le troisième cas est celui du stupre perpétré en usant de violence, de menaces ou de moyens frauduleux. Le coupable sera tenu de réparer tous les dommages d’honneur et de fortune qu’aura subis la jeune fille et ses parents, attendu qu’il en est la cause certaine et injuste.

En conséquence, si la faute est publique et qu’un déshonneur en rejaillisse sur la famille, il offrira aux parents, si ceux-ci veulent l’accepter, une compensation faite de regrets et d’excuses. Quant à la jeune fille, il devra régulièrement ou l’épouser (si elle y consent) ou la doter, de façon à lui rendre le mariage aussi facile que si elle n’avait pas été violée. Cf. S. Alphonse,