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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/779

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VIOLENCE

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naturelle des êtres. Ainsi le mouvement d’une pierre lancée en l’air est violent, attendu que, par nature, la pierre est inerte, ou, si elle se meut seule, c’est pour tomber, descendre, en vertu de la loi de l’attraction ; il faut une intervention extérieure, allant contre la tendance de la pierre, pour qu’elle monte : Violentum est quod est contra inclinationem rei. I a, q. lxxxii, a. 1. Chaque être en effet se dirige vers ce à quoi il tend, selon son inclination propre, qu’elle soit volontaire ou seulement naturelle.

Appliquée à des êtres raisonnables, la violence prend plutôt le nom de contrainte (coactio) et revêt aussitôt un aspect juridique et moral en raison des effets qu’elle produit et des conséquences qui en résultent tant pour l’individu que pour la société. Ce qui caractérise la contrainte imposée à un homme, c’est la possibilité ou au moins le droit de résister à la violence qui lui est faite. C’est pourquoi le droit justinien définissait la violence : Majoris rei impetus cui resisti non potest. Dig., t. IV, tit. ii, fr. 2. Et les moralistes : Motio quædam ab extrinseco impressa subjecto rcsistenti, cf. Bouquillon, Theol. mor. fundam., 3e éd., n. 344. La résistance est donc, en définitive, une inclination volontaire contraire à un mouvement violent.

Conditions requises.

Il y en a deux :

1. Il faut que la motion, le mouvement vienne de l’extérieur (ab extrinseco), car nul ne peut, à proprement parler, se faire violence à soi-même ; sinon l’individu serait à la foi consentant et opposé. On note cependant que Suarez, De vol. et invol., disp. II, sect. vi, n. 5, suivi par un petit nombre d’auteurs, prétend qu’il y a violence chaque fois que la volonté subit les influences d’autres facultés, ainsi imaginations mauvaises des sens internes, mouvements de concupiscence de l’appétit sensible, doutes contre la foi venus de l’intelligence. Mais ces mouvements sont considérés comme appartenant davantage à la passion qu’à la violence.

2. Il faut, en second lieu, que ce mouvement soit contraire à l’inclination de la volonté, le patient résistant de toutes ses forces à la contrainte qui lui est imposée. On ne saurait donc qualifier de violent un acte, même ayant son principe à l’extérieur, qui trouverait dans la volonté une certaine connivence, un début de consentement, ou auquel la volonté ne résisterait pas efficacement.

Espèces.

1. C’est précisément en raison de ce

comportement de la volonté que l’on peut distinguer tout d’abord : la violence proprement dite (appelée aussi physique, absolue), qui se trouve réalisée lorsque le patient « résiste autant qu’il peut et ne consent en aucune manière » (ainsi la mort infligée à un individu qui défend sa vie) ; la violence au sens large (dite également relative, imparfaite, secundum quid), qui existe lorsque le patient s’oppose à la contrainte mais insuffisamment, pas autant qu’il le pourrait, soit qu’il se comporte passivement alors que la résistance est possible, soit qu’il se résigne à accepter une chose inévitable, toute résistance étant impossible (ainsi les martyrs aux arènes auraient pu opposer une certaine résistance, il préférèrent la résignation).

La violence se distingue donc nettement : a) de la nécessité, qui peut venir de l’intérieur ; — b) de V involontaire, qui, lui aussi, peut avoir son principe ab intrinseco, lorsque l’agent connaît mal ou ignore la fin. Il est vrai de dire que tout ce qui est violent est nécessaire, et par conséquent involontaire, si l’agent est libre ; mais on ne saurait dire que tout ce qui est nécessaire ou involontaire est violent. — c) de la violence morale, faite de menaces, d’objurgations, d’importunités ; celle-ci se rencontre avec la crainte grave, lorsque la résistance ne peut empêcher l’acte

violent d’être accompli : c’est le cas de celui qui sort de sa maison en marchant sur ses pieds, sachant bien qu’il en serait expulsé manu militari, s’il s’obstinait dans la résistance. Cf. Merkelbach, Summa theol. mor., t. i, n. 68.

Saint Thomas fait remarquer, Ia-IIæ, q. vi, a. 6, ad l um, que, dans le cas de violence physique (qu’il appelle sufficiens et compellens), la volonté ne pose absolument aucun acte, elle n’apporte aucune coopération ni consentement, cf. In // um Sent., dist. XXV, q. i, a. 2 ; tandis qu’elle apporte un certain concours (aliquid confert) à l’acte posé sous l’empire de la crainte. Voir Crainte, t. iii, col. 2013.

2. Outre les différents degrés de résistance, on peut distinguer les divers modes d’opposition à la violence.

Celui qui la subit peut résister de trois manières : a) à la fois intérieurement (par une opposition irréductible de la volonté) et extérieurement, par des gestes, efforts, prières, cris, menaces, qui manifestent son dissentiment intérieur ; — b) de façon purement interne, sans que rien ne trahisse au dehors l’attitude d’opposition de sa volonté ; — c) de façon purement externe, tout en acceptant intérieurement : tel serait le cas de la vierge opprimée qui crierait et se débattrait, tout en donnant un consentement interne à l’acte violateur.

II. Conséquences morales.

1° Violence et volonté. — On sait que la volonté produit deux sortes d’actes : les uns immédiatement par elle-même et se terminant en elle, par ex. aimer, vouloir ; on les appelle élicites (actus elicitus). Les autres sont commandés par elle, mais accomplis par d’autres puissances : par exemple une pensée voulue, une parole voulue, une marche voulue ; on les appelle impérés (actus imperatus).

Or, il est certain que la violence ne saurait atteindre les actes élicites de la volonté. Cf. l*-ll K, q. vi, a. 1. La raison en est, dit le Docteur angélique, que l’acte violent est, par définition, celui qui provient d’un principe extrinsèque et va à rencontre des inclinations du patient ; l’acte élicite au contraire a essentiellement un principe intrinsèque et dans le sens de l’inclination du sujet. Ibid., a. 4 et 5. Il répugne donc qu’un acte soit à la fois élicite et violenté, car il serait à la fois volontaire et involontaire. C’est pourquoi nul ne saurait, à proprement parler, être contraint d’aimer, de désirer, de consentir… Contra ralionem ipsius actus volontatis est quod sit coactus vel violentus, dit saint Thomas, I » -IIe, q. vi, a. 4. Et saint Anselme illustre cette même idée : Ligari potest homo invitus, quia nolens potest ligari… ; velle autem non potest invitus, quia velle non potest nolens velle ; nam omnis volens suum velle vult. De lib. arbilrio, c. v.

Mais la violence peut bien atteindre les actes impérés (actus imperatos). La raison en est que les facultés chargées d’exécuter Y imperium de la volonté exercent leur action par l’intermédiaire d’organes sensibles ; aussi sont-elles susceptibles d’être mises en mouvement par un principe extrinsèque. C’est ainsi que la violence peut les empêcher de suivre l’imperium de la volonté. C’est le cas, par exemple, de celui dont on fait plier les genoux devant une idole, dont on conduit la main pour lui offrir de l’encens ou encore dont on ouvre les yeux de force pour qu’ils voient.

On notera, avec saint Thomas, que cette contrainte exercée de l’extérieur sur la volonté, peut atteindre non seulement les puissances extérieures (membres, organes), mais encore les facultés inférieures de l’âme, telles qu’imagination et sensibilité. C’est ainsi que procèdent ordinairement les anges bons ou mauvais. IMI*, q. lxxx, a. 2. En regard de la volonté, ces actes sont des actes violents, puisque ces facultés inférieures sont mises en mouvement contre son incli-