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    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. LE DE TRINITATE D’AUGUSTIN

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plus loin. Elle cherche Dieu dans ses œuvres ; elle voit Dieu manifesté dans toute la création. Les cieux qui proclament la gloire de Dieu, ne le reconnaissent pas seulement pour leur Créateur ; ils le révèlent à l’esprit attentif. Malheur à qui fermerait les yeux pour ne pas voir les signes de la présence de Dieu !

Comme il est de l’essence de Dieu d’être trine, on ne sera pas étonné qu’il soit possible de découvrir de nombreux vestiges de la Trinité : on connaît les nombreux passages dans lesquels saint Augustin met en relief le symbolisme du nombre trois et découvre l’indication de la Trinité partout où il retrouve ce nombre. Ailleurs, ce sont d’autres indices que relève avec amour l’évêque d’Hippone : la triade mensura, numerus, pondus, De Trin., XI, xi, 8, t. xlii, col. 998 ; imitas, species, ordo, De vera relig., vii, 13, t. xxxiv, col. 129 ; esse, forma, manentia, Epist., xi, 3, t. xxxiii, col. 76 ; les trois parties de la philosophie : physica, ethica, logica, ou naturalis, rationalis, moralis, à quoi se réfèrent les trois excellences de Dieu comme causa subsistendi, ratio intelligendi, ordo Vivendi. De civ. Dei, XI, xxv, t. xli, col. 338. Cf. M. Schmaus, Die psychologische Trinitûtslehre des hl. Augustinus, Mua’ter, 1927, p. 190-194. Sans doute, saint Augustin n’attache pas plus d’importance qu’il ne convient à ces analogies : elles l’enchantent pourtant et son âme se réjouit de relever dans toute la création les traces que Dieu a laissées de sa vie intérieure.

Pourtant il tient à souligner que, parmi les créatures, il en est une que Dieu a faite spécialement à son image et à sa ressemblance : c’est l’homme. Il serait donc bien surprenant que l’on ne retrouvât pas dans l’homme la marque de l’image de Dieu. Cette marque est indélébile : elle a été déformée en nous par le péché ; elle doit être réformée par la grâce ; elle subsiste en toute hypothèse dans l’âme, ou, pour parler avec plus de précision, dans le mens qui est comme l’œil spirituel de l’âme. De Trinit., XV, xxvii, 49, P. L., t. xlii, col. 1096.

Saint Augustin relève dans le mens jusqu’à trois images de la Trinité : 1. mens, notilia, amor ; 2. memoria sui, intelligentia, voluntas ; 3. memoria Dei, intelligentia, amor. Chacune d’elles permet d’imaginer d’une manière plus ou moins approchée, ce qu’est la consubstantialité des trois personnes divines, puisque les éléments qui la constituent sont eux aussi consubstantiels. L’école augustinienne, au Moyen Age, se plaira à insister sur ce point et refusera, pour cela, d’admettre l’existence d’une distinction réelle entre l’âme et ses facultés ou entre les diverses facultés de l’âme.

Envisageons tout d’abord la pensée, le mens. Notre pensée s’aime elle-même et nous avons déjà deux termes relatifs l’un à l’autre, dont la relation est celle de l’égalité, car la pensée se veut tout entière : son amour pour soi n’étant que son affirmation naturelle de soi-même, ce qui aime est exactement égal à ce qui est aimé : Mens igitur, cum amat seipsum, duo quædam ostendit, mentem et amorem. Quid est autem amarc te, nisi sibi præslo esse velle ad fruendum se ? Ht cum tantum se vult esse, quantum est, par menti voluntas est, et amanli amor œqualis. De Trin., IX, ii, 2, col. 962. D’autre part, il est évident que l’on ne peut aimer sans connaître. La pensée ne peut donc s’aimer sans se connaître, ce qui lui est d’ailleurs facile, puisque, étant incorporelle, elle est essentiellement intelligible. Dès lors, la pensée, la connaissance et l’amour sont trois, et ces trois sont un, sont égaux, ce qui est l’image de la Trinité : Sicut autem duo quædam sunt mens et rjus amor, cum se amat ; ita quadam duo sunt mens et notifia ejux, cum se novil. Igitur, ipsa mens et amor et notitia ejus tria quædam sunt ; et hœc tria unum sunt ; et cum perfecta sunt, sequalia sunt. De Trin., IX, iv, 4, col. 963.

Selon Et. Gilson, Introduction à l’étude de saint Augustin, Paris, 1929, p. 286, « cette première trinité nous est donnée à l’état d’involution, tanquam involuta ; la pensée peut bien s’efforcer de la développer en quelque sorte au dedans de sa propre substance ; mais, même ainsi développée, elle reste une image virtuelle ; la Trinité des personnes divines est au contraire parfaitement actualisée. C’est pourquoi la deuxième image est plus évidente que ne l’était la première. Au lieu de se trouver dans la pensée, la connaissance et l’amour, elle se trouve dans la mémoire, l’intelligence et la volonté. »

Telle que saint Augustin la conçoit ici, la mémoire n’est pas autre chose que la connaissance de la pensée par elle-même, nous dirions la « conscience ». La pensée, en effet, est substantiellement inséparable de la connaissance de soi ; mais cette connaissance n’est pas toujours actuelle. Notre pensée ne s’arrête pas constamment sur elle-même pour se considérer. Il arrive donc souvent que, toute présente à elle-même qu’elle soit, la pensée ne s’aperçoive pas. Pour exprimer cette présence inaperçue, on ne peut lui donner un autre nom qu’aux souvenirs ou aux connaissances que l’on possède sans y penser. Je sais une science, mais je n’y pense pas ; je dis qu’elle est dans ma mémoire. De même, ma pensée m’est toujours présente, mais je ne la considère pas : je dis que j’ai la mémoire de moi : Sicut multarum disciplinarum peritus ea quæ novit ejus memoria continentur, nec est inde aliquid in conspectu mentis ejus, nisi unde cogitât, csetera in arcana quadam notifia sunt recondita, quæ memoria nuncupatur. De Trin., XIV, vi, 8, col. 1042.

« En droit, la pensée n’aurait rien d’autre à faire pour se

reconnaître que de prendre conscience de soi et de s’appréhender. En fait… elle ne saisirait guère par là qu’une fausse apparence, sa propre image déformée et matérialisée par un épais revêtement d’images sensibles. Pour s’atteindre dans sa vraie nature, la pensée doit donc traverser cette croûte de sensations agglutinées et se découvrir telle qu’elle est. Or, ce qu’elle est dans sa nature propre, c’est ce qu’est le modèle divin à l’image duquel elle a été formée. C’est pourquoi l’influence des raisons éternelles, combinée avec la mémoire latente que l’âme a de soi, est nécessaire pour que la pensée se découvre telle qu’elle est. Que cette influence s’exerce, la pensée va naturellement engendrer une connaissance vraie d’elle-même ; elle s’exprime ; elle se dit en quelque sorte et le résultat de cette expression de soi par soi est ce que l’on nomme un verbe.

Nous atteignons donc ici, dans l’acte par lequel la pensée s’exprime, une image de la génération du Fils par le l’ère. De même, en effet, que le Père conçoit éternellement une parfaite expression de soi-même, qui est le Verbe, de même aussi la pensée humaine, fécondée par les raisons éternelles du Verbe, engendre intérieurement une connaissance vraie de soi-même. Cette expression actuelle est évidemment distincte de la mémoire de soi latente qu’elle exprime ; cependant, elle ne s’en détache pas ; ce qui s’en détache c’est seulement le verbe extérieur par lequel notre connaissance interne s’extériorise sous forme de mots ou autres signes. Nous sommes ici à la racine même de l’illumination augusiiniciine. Si toute connaissance vraie est nécessairement une connaissance dans les vérités éternelles du Verbe, c’est que l’acte même de concevoir la vérité n’est en nous qu’une image de la conception du Verbe par le l’ère, au sein de la Trinité. Cf. De Trin., IX, vii, 12, col. 967 ; In Jean., tract, i, 8, t. xxxv. col. 1H83. « Mais cette génération du verbe à l’intérieur de la pensée Implique un troisième élément. Pourquoi en effet la pensée présente à elle-même a-t-elle voulu se chercher, se retrouver a travers le revêtement des images sensibles et, finalement, s’exprimer ? C’est que non seulement elle se connaît soimême, mais elle s’aime. De me -nie que mrmurin de la deuxième trinité correspond à mens de la première, elnsl UlUlllgtntia et uoliintnx correspondent a no&itia Si Oflior, Ce que nous engendrons, c’est que nous voulons l’avoir et le posséder ; ce qife nous avons engendré, nous nous y attachons et complaisons. L’amour est donc doublement intéressé à toute génération ; il la cause ; puis, l’ayant causée.