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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/805

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VITOKIA (FRANÇOIS DE]

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Le premier de ces droits est celui de la conservation, qui est la loi intrinsèque de tous les êtres. Et, comme il s’agit d’une personne morale, tel qu’est l’État, aucun intérêt, aucune convenance ne peut priver cette personne de l’existence, sinon pour un crime, qui constituerait un danger pour les autres États. Ce droit a pour conséquence celui de l’intégrité de la population et du territoire et aussi le vrai dominium sur les personnes et les choses que la nature donne en commun et qui ne sont pas divisées, comme sont les eaux, l’air, les mines. Vitoria défend avec vigueur l’idée de la mer libre, que nul ne peut s’approprier. Le même droit de conservation postule comme conséquence le droit pour l’État de se perfectionner en tous les ordres, le droit de grandir et de se donner l’expansion nécessaire, bien entendu sans préjudice pour les droits du voisin.

Analogue au droit de conservation est celui de l’indépendance, puisque dépouiller un État de son indépendance, c’est lui arracher la souveraineté et le détruire en tant qu’État. Mais il ne s’agit pas de l’indépendance juridique par rapport à cette souveraineté « surétatique » qu’impose le Droit des gens ; il s’agit de l’indépendance par rapport à un autre État. Vitoria se montre extrêmemement jaloux sur ce point. Même pour la cession volontaire de la souveraineté, il exige des conditions diverses, sans lesquelles celle-ci ne peut être tenue pour valide. En premier lieu, elle doit être cédée librement, non par ignorance, erreur ou crainte, comme il a pu arriver en certains cas pour la cession de souveraineté faite par les Indiens en faveur du roi d’Espagne. En second lieu, cette cession doit être faite par l’État intégralement considéré ; le prince ne peut la faire sans le consentement du peuple, cela dépasse ses fonctions et il n’a pas reçu le pouvoir pour cette fin ; pas davantage le peuple ne peut la faire sans tenir compte du prince, parce que, « quand dans une république il y a un prince légitime, toute l’autorité réside en lui, de telle manière que nul ne peut se mettre en paix ou en guerre, sans compter avec lui ». Le droit de légitime défense est inclus dans le précédent, non seulement le droit de défense matérielle de sa propre existence ou de son indépendance, mais le droit de défendre tous les droits qui lui appartiennent dans la réalité.

Au scandale de plus d’un, Vitoria établit l’égalité juridique entre les États. Pour lui, du point de vue juridique, sont identiques les États rudimentaires des Indiens et le puissant empire espagnol. Ce droit d’égalité est une suite de la reconnaissance de la personnalité des États, puisque les personnes, en tant que telles, sont toutes égales. L’inégalité de fait qui existe entre les personnes morales tout comme entre les personnes physiques — chose que le libéralisme se refuse à reconnaître — ne touche pas proprement à l’ordre juridique. La méconnaissance ou l’abandon de cette doctrine de l’égalité des États pour la théorie des Grandes puissances qui s’arrogent le droit de subjuguer le monde est ce qui a semé la méfiance dans le monde et a accumulé tant de maux à l’époque moderne.

Le droit de communiquer et de commercer, qui est la conséquence du droit de voyager et de résider, est de ceux que Vitoria définit avec le plus de minutie. Pour en prouver l’existence il amène des raisons très variées. Et en effet, c’est une conséquence logique de sa théorie de la société universelle, antérieure et supérieure, dans l’ordre de la nature, à la formation des États. Ce droit, Vitoria le considère comme si parfait qu’aucun prince ne peut s’y opposer et qu’il peut être exigé par la guerre même : les puissances européennes et américaines ont donc agi justement quand, au xixe siècle, elles ont exigé de la Chine et du Japon

qu’ils ouvrissent leurs ports au commerce international. Pourtant ce n’est pas ici la doctrine qui a prévalu dans son intégrité chez les États modernes et c’est là un des grands empêchements à la paix mondiale.

Un autre droit que Vitoria proclame et défend hardiment, c’est celui d’intervention. Dans le Syllabus est condamnée la doctrine de la non-intervention qui est celle qui a prévalu et continue à prévaloir, au moins de manière spéculative, dans les temps modernes. Pour Vitoria, l’intervention est non seulement un droit mais un devoir chaque fois que le Droit des gens est violé, et non seulement quand il s’agit de questions internationales, mais tout autant en matières de droit intérieur qui touchent au Droit des gens, par exemple le meurtre d’innocents dans un État. Et c’est justement parce que tout État peut considérer comme une injustice qui lui est faite toute infraction au Droit des gens, que c’est le droit de tous de se considérer comme investis de l’autorité de toute la terre pour juger l’État délinquant et réparer l’injustice qui est faite à toute l’humanité.

Certains auteurs prétendent que la proclamation de tels droits, en la forme sous laquelle Vitoria les a défendus, serait une source intarissable de guerres et de troubles. Nous croyons, au contraire, qu’on ne pourrait donner une base plus solide à la paix du monde, qui pour être véritable ne peut être fondée que sur la justice.

La guerre.

Dans la théorie de Vitoria la

guerre intervient comme la sanction qui s’impose à une nation ou État pour quelque infraction au Droit des gens. Comme telle, est est intrinsèquement licite, si elle réunit les conditions requises, et non seulement la guerre défensive, mais encore la guerre offensive, car, s’il n’y avait pas de châtiments pour les États délinquants, tout l’ordre de l’humanité serait troublé et les bons périraient victimes des malfaiteurs, comme il peut arriver à l’intérieur même d’un État.

La guerre, par le fait, est un acte de justice vindicative et ne peut être déclenchée que pour un grand délit, pour une grave injustice. Le délit commis par un État ne peut être autre chose que la violation du Droit des gens, lequel s’impose à tous les États. Il suit que la guerre n’est pas licite comme moyen de résoudre un conflit international quelconque, s’il n’y a pas un délit présupposé ; les autres conflits peuvent se régler par d’autres moyens pacifiques. Moins encore peut-on recourir à la guerre pour des causes douteuses ou simplement probables, attendu qu’il s’agit d’une peine atroce qui suppose un délit certain ; l’on ne peut non plus déclarer la guerre quand les maux qui doivent s’en suivre sont supérieurs à ceux qu’il s’agit d’éviter ou aux biens que l’on en espère. Cela seul suffirait pour rendre la guerre injuste, quoi qu’il en soit des motifs que l’on aurait de la déclarer. Ce n’est pas un titre légitime pour une guerre juste que. « l’infidélité » (au sens religieux) même contumace et coupable, ni que les péchés contre la nature ou tous autres d’ordre privé, parce que tout cela n’affecte pas le Droit des gens. Mais ce serait un titre suffisant que l’opposition faite par un État à la prédication de l’Évangile, la persécution des infidèles convertis, le sacrifice des innocents. S’il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir des Indiens qu’ils cessent de telles pratiques, la guerre contre eux est légitime, parce que tout cela va contre les vrais droits de l’homme. De même aussi serait un titre légitime l’opposition à quelque autre des droits fondamentaux dont il a été fait mention, comme celui de communication ou de commerce, de voyage ou d’établissement pacifique en un lieu donné. Et quant à la barbarie dans laquelle vivent les Indiens,