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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/872

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VŒUX DE RELIGION UN TOUT
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l’esprit : « Là une sainte liberté fait un saint engagement ; on obéit sans dépendre, on gouverne sans commander… La charité opère un si grand miracle. » I Oraison funèbre du P. Bourgoing. Cette conception — tout à fait catholique, faut-il le dire — coïncide fort bien avec un courant d’idées que l’on a senti se développer en France, en Angleterre, en Amérique au xixe siècle. Ces directives, faites de confiance réciproque, s’appliquent particulièrement bien à des associations religieuses à tendances intellectuelles ou apostoliques, là où la vie de l’esprit, les libres initiatives de l’apostolat demandent plus d’aisance.

Mais, enfin, ce ne sont pas là, aux yeux de l’Église, des instituts religieux : le Code canonique appelle ainsi « une société approuvée par l’autorité ecclésiastique légitime, dont les membres, selon les lois propres à leur société, émettent des vœux perpétuels ou temporaires mais alors renouvelables à leur échéance », can. 488, § 1. Saint Thomas d’Aquin entendait à son époque des ordres à vœux solennels. Aujourd’hui encore ces vœux solennels sont nécessaires pour constituer ce que l’on appelle « un ordre religieux » et confèrent à leurs membres le titre de « réguliers », can. 488, § 2 et 7 ; mais les vœux simples des « congrégations religieuses » suffisent pour que l’on soit engagé dans l’état religieux. Loc. cit. Les privilèges des ordres à vœux solennels sont-ils purement nominaux ? Il ne le semble pas, puisque les monastères de moniales de France et de Belgique ont été autorisés à demander au Siège apostolique « de pouvoir émettre des vœux solennels ». S. C. des Réguliers, déclar. du 4 juin 1923, cité dans Janvier, Conférences de N.-D., 1923, p. 349. De toutes façons, puisque l’Église a juridiction dans ce domaine de l’état religieux, elle demande que l’émission des vœux soit un acte public dont elle puisse connaître.

a) Dans son essence, « l’état religieux est condition stable de perfection, qui requiert qu’on s’oblige aux choses de la perfection ». C’est une tendance, rien de plus, mais qui doit d’autant plus s’affirmer par une attache solide à des moyens de perfectionnement moral. Or, par ce que nous avons dit aux trois articles précédents, « il est manifeste qu’à la perfection de la vie chrétienne se rapportent la chasteté, la pauvreté et l’obéissance ». L’Église a approuvé constamment ces trois voies de perfection. « Et c’est pour cela que l’état religieux requiert que chaque religieux s’oblige par vœu à ces trois choses. » A. 6, corp. C’est bien certainement l’Église qui a exigé, pour reconnaître officiellement cet état de perfection, que chaque membre de la congrégation se lie par une promesse formelle fiiite à Dieu. Mais combien cette disposition est sagel b) Dans sa durée, en effet, cet état est permanent, il embrasse des actes multiples échelonnés sur des années ; mieux encore, d’après l’enseignement de saint Grégoire et des auteurs monastiques, non seulement on promet à échéance, comme dans un vœu ordinaire, maison livre sur l’heure toute une part de son activité ; sai/it Thomas dit même : toute sa vie, parce qu’il parle des ordres à vœux perpétuels. Et donc « il faut que tout ce qu’il a promis à Dieu, le religieux le réalise sur-le-champ ; or, un homme ne peut livrer actuellement toute sa vie à Dieu, parce qu’elle n’est, pas simultanée, mais successive : il ne peut donc le faire que par l’obligation du vœu « , ad 2um, qui, elle, est actuelle et toujours le demeure. L’homme, fatigué du quotidien, du provisoire, ramasse autant qu’il peut toute sa vie en un acte, et cet acte de donation se continue autant que sa vie elle-même.

c) Dans sa totalité du moment. Dans une vie parfaite mais sans vœu, « il y a encore, parmi les biens qu’il nous est loisible de ne pas livrer, notre propre liberté, qui est pour tout homme le bien le plus cher ; aussi lorsque, spontanément, l’homme se dépouille par le vœu de la liberté qu’il a de se dispenser d’œuvres qui regardent le service de Dieu, ce sacrifice est très agréable à Dieu ». Ad 3um. La religion gagne donc par le vœu de faire un dernier et capital sacrifice. On comprend du reste que la charité n’y perd point en sa spontanéité de chaque instant : sans doute, « parmi nos bons services, avait dit saint Augustin, ceux-là nous sont plus chers, que nous aurions la liberté de ne pas rendre, et que nous donnons cependant par motif d’amour ». De adulter. conjug., t. I, c. xiv. Mais le vœu, qui fait bon marché de notre liberté morale, ne peut s’accomplir qu’en offrant de multiples actes libres, qui peuvent, eux aussi, devenir des actes de charité. C’est cependant, comme dit Bossuet, cette sauvegarde un peu ombrageuse des susceptibilités de l’amour qui inspire les instituts sans vœux. Cf. Mgr d’Hulst, Confér. de N.-D., 1893, p. 248.

Une fois fait cet examen général de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance en tant que vœu, étudions-les dans leur objet propre en fonction de l’état religieux.

2. Les trois vœux se complètent en un tout.

D’une façon universelle, les théologiens affirment que les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance sont de l’essence de l’état religieux, et que l’on est religieux au sens formel du mot dès lors que l’on a prononcé ces trois vœux en des conditions qu’ils déterminent. Cela signifie que les multiples instituts, pourvu qu’ils s’astreignent à prononcer ces trois vœux essentiels, sont vraiment des instituts religieux. Ces trois vœux sont requis, mais ils suffisent. Dans certains ordres, on prononçait un quatrième vœu, celui par exemple de racheter les captifs, d’évangéliser les noirs, etc. Mais, en vérité, ces obligations étaient implicitement comprises par les anciens ordres dans les trois autres vœux, seuls essentiels. Voyons donc comment il se fait que, à eux trois, il couvrent toutes les fins de la vie religieuse, tous ses exercices, toutes les vertus de l’âme, toutes les passions de la vie.

a) Le tout des fins religieuses.

La démonstration de saint Thomas, q. clxxxvi, a. 7, est fort connue et assez souvent reprise, mais avec des retouches ou des omissions qui font soupçonner qu’on ne l’a pas saisie dans son ampleur théologique et psychologique. Cf. Lemonnyer, op. cit., p. 520 ; O. Lottin, op. cit., p. 24. C’est, en effet, à l’universalité des buts religieux que nos trois vœux sont nécessaires et suffisants. Ne craignons point d’élargir la question à toutes les finalités de l’état religieux : essentiellement, c’est une donation de toute la vie en sacrifice de religion ; mais, éminemment, c’est aussi un régime de vie qui met à l’abri des inquiétudes du monde, selon la forme défensive qu’il avait prise au i.v siècle et encore au xi" ; finalement, ce n’est rien de moins que l’idéal primitif réglementé par l’Église, à savoir « un exercice déterminé pour tendre à la perfection de la charité ». (l’est surtout ce point de vue primordial que l’on voudrait voir parfois mieux exposé, avec les tempéraments que l’expérience et la réflexion théologique ont dictés à saint Thomas : parce qu’il a jugé plus logique de considérer avant tout l’état de perfection comme une institution de l’Église réglée sur la vertu morale de religion, il ne s’est pas interdit pour cela de replacer, comme l’avaient fait d’emblée les Pères de l’Église, cette institution dans l’ordre surnaturel de la charité et de la contemplation mystique : ici la religion parfaite, la devotio, comme il dit, devient dévotion au sens actuel du mot, c’est-à-dire une direction amoureuse vers Dieu et vers nos frères de toutes nos activités humaines. Cf. O. Lottin, op. cit., p. 19, et L’âme du culte, passim. Considérés à ce point de vue, nos trois vœux de religion appa-