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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/903

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VOLONTÉ. DE DIEU, L’OPTIMISME


double aspect de cette liberté, liberté d’exercice : Dieu peut librement créer ou ne pas créer, col. 2144 ; liberté de spécification : Dieu peut librement réaliser tel ordre de choses ou tel autre ordre, col. 2146. Aux affirmations positives de l’art. Création, il convient d’ajouter ici l’explication scolastique concernant le fait et le comment de la liberté divine.

1. Le fait de la liberté divine.

Deux arguments méritent d’être relevés. — a) Saint Thomas, I a, q. xix, a. 3, part de l’idée du « nécessaire ». Est absolement nécessaire ce qui, par sa seule analyse, apparaît clairement appartenir au sujet dont on l’affirme : il est nécessaire absolument qu’un nombre soit pair ou impair. Est hypothétiquement nécessaire ce qui, étant donnée telle supposition, ne peut pas ne pas être : si Socrate est assis, il est nécessaire qu’il soit assis.

Ainsi il est absolument nécessaire que Dieu se veuille lui-même, car le souverain Bien, objet primaire et formel de la volonté divine, n’est autre que Dieu lui-même. Mais les êtres créés, Dieu ne les veut que parce qu’il les oriente vers lui-même comme vers leur fin. Or, les êtres créés ne sont pas des moyens nécessaires pour atteindre le Bien souverain, qui est par lui-même parfait, peut subsister indépendamment de tout ce qui n’est pas lui-même et ne saurait être accru d’aucune perfection par l’addition d’un bien créé. Donc, aucune nécessité absolue ne s’impose à Dieu de vouloir les êtres créés, de vouloir ceux-ci plutôt que ceux-là. Cependant, à supposer que Dieu ait décrété d’appeler à l’existence tel ou tel être, il est nécessaire hypothétiquement qu’il veuille ces êtres, sa volonté étant immuable.

Cet argument fondamental est repris sous différents aspects dans la Sum. cont. Gent., t. I, c. lxxxi, plus abondamment c. lxxxii. Cf. De veritate, q. xxiii, a. 4.

b) Dans le De potentia, q. i, a. 5, on trouve un autre argument. C’est toujours l’idée du nécessaire, mais appliqué ici à la cause agissante. Un être qui agit par nécessité de nature ne peut pas se déterminer lui-même à sa fin, car, s’il le pouvait, il pourrait agir ou ne pas agir, ce qui est contraire à notre hypothèse. Cet être est donc l’instrument d’un autre être : telle, la flèche lancée par l’archer. De Dieu, on ne saurait parler ainsi : Dieu n’a aucune influence supérieure à lui pour lui imposer un but d’action. Si Dieu était incliné par nature à autre chose qu’à lui-même, il faudrait savoir d’où lui vient cette inclination ; en tout cas, il ne serait plus le premier, la source universelle, l’Inconditionné, l’Absolu que réclame sa prééminence. Faire agir Dieu par nécessité de nature en ce qui concerne les êtres qui se distinguent de lui, c’est supposer que l’univers est une émanation naturelle de Dieu ; le panthéisme ou l’athéisme est sousjacent à une telle théorie.

2. Le comment de la liberté divine. Nous ne pouvons nous former un concept analogique de la liberté divine qu’en partant de la notion de notre propre liberté, pour en éliminer tout d’abord les imperfections, pour affirmer ensuite, dans la mesure où nous pouvons balbutier des choses divines, le mode infiniment parfait, selon lequel le vouloir éternellement actuel de Dieu a fait sortir du néant des effets contingents.

Deux imperfections essentielles à notre liberté sont à éliminer de la liberté divine. — a) La première concerne la possibilité de nous détourner du Bien souverain et de placer notre fin dernière dans des biens apparents ; ou bien encore, tout en gardant notre orientation essentielle à notre véritable fin, de dévier, en choses secondaires, de cette orientation, et d’agir non contre l’ordre, mais en dehors. Péché mortel ou péché

véniel. C’est là la liberté de contrariété, qui nous permet de choisir le mal comme le bien. Ce défaut doit être éliminé des bienheureux qui, jouissant de la vision intuitive, s’attachent au souverain Bien d’une manière indéfectible.

b) La seconde imperfection, que rien ne peut corriger dans les créatures, c’est que la liberté réside dans la volonté, en tant qu’elle est en puissance seulement de vouloir tel ou tel acte. La volonté créée ne peut donc se terminer à des vouloirs différents que par des actes différents. C’est là la condition essentielle de l’être potentiel, limité et soumis au changement. Il faut, en effet, que la volonté créée passe de la puissance à l’acte ; de plus, elle est toujours limitée par la détermination qu’elle a prise ; enfin elle est soumise au changement, ayant pris une orientation, qui l’empêche d’en prendre une autre laquelle cependant eût été possible.

Ces deux imperfections doivent être éliminées de Dieu. En Dieu, on l’a déjà dit, aucune liberté par rapport au souverain Bien qui est sa propre bonté. En Dieu, aucune potentialité : la liberté divine ne peut consister que dans l’éminence du divin vouloir, capable à son gré, sans aucun changement en son être, de se diriger vers ses objets secondaires de la manière qui lui plaît. En Dieu enfin, l’acte libre n’est pas, comme chez les créatures, une opération procédant de la volonté d’une manière contingente ; il est le vouloir même, nécessaire et immuable, par lequel Dieu se veut lui-même, mais se terminant ultérieurement de façon absolument libre à l’être ou au non-être d’un bien contingent et participé. Il est impossible, en effet, d’ajouter ou de diminuer quoi que ce soit à cette actualité de l’être ou du vouloir divin. Il faut donc concevoir le vouloir divin comme nécessaire dans sa réalité physique, nécessaire même dans le terme intentionnel aboutissant à son objet primaire, mais non nécessaire dans le terme intentionnel aboutissant à l’objet secondaire. En bref, la liberté divine consiste simplement en ceci qu’à l’acte divin, en soi éternel, nécessaire et immuable, répond dans le temps un terme qui existe, alors qu’il aurait pu ne pas exister ou qu’un autre objet aurait pu être voulu de Dieu. Ce n’est donc pas, à proprement parler, dans l’essence divine comme telle que se situe la t liberté de Dieu, mais dans le rapport des différents termes de son activité à l’intention de sa volonté créatrice : les êtres créés, termes contingents de cette activité, auraient pu être produits ou non, être tels ou différents de ce qu’ils sont. De toute éternité ce choix libre est fait. Billot fait opportunément remarquer qu’on ne saurait concevoir la liberté divine comme constituée par un élément extrinsèque à Dieu. Le rapport de contingence que possèdent les êtres créés relativement au Créateur implique en Dieu un acte libre très réel, l’intention de la volonté créatrice. De Deo uno et trino, Prato, 1910, p. 237, note 2. Le P. Garrigou-Lagrange précise cette explication : entitas actus liberi Dei est quidem Deo inlrinseca, sed ejus de/ectibilitas est solum extrinseca. De Deo uno, Paris, 1938, p. 402. Voir, du même auteur, Dieu, son existence et sa nature (6e éd.), p. 427-440 ; 590-672. Cf. Chr. Pesch, Prselect. dogm., t. ii, n. 310 ; Van der Meersch, De Deo uno et trino, Bruges, 1928, n. 470.

III. Corollaire : l’optimisme. — Puisque Dieu crée les êtres par bonté, on peut se demander si ce motif ne l’oblige pas à choisir, parmi tous les ordres possibles, l’ordre le meilleur. C’est la question esquissée à l’art. Création, col. 2150 et qu’il faut exposer ici plus complètement. On rappellera tout d’abord les diverses opinions émises par les philosophes ; on apportera ensuite l’enseignement de la théologie catholique.