1713
- TRINITÉ##
TRINITÉ. TENDANCES RATIONALISTES
1714
3. Le début du XIIe siècle (suite) ; tendances rationalistes. —
La théologie en est encore à ses premiers essais et « tous les inconvénients d’une science encore débutante… devaient forcément occasionner bien des hésitations, des tâtonnements et des écarts ». De Ghellinck, op. cit., p. 106. Ajoutons que les excès de la dialectique et l’intrusion de la philosophie dans le domaine dogmatique poussèrent plus d’un esprit dans la voie de l’erreur. Trois tendances téméraires s’affirment ainsi et précisément en corrélation avec les trois solutions proposées pour le problème des universaux.
a) Le nominalisme de Roscelin († 1120) et le dogme trinitaire. —
Fidèle aux principes du nominalisme, Roscelin ne pouvait concevoir que des substances individuelles et concrètes. Cette position philosophique le fit aboutir logiquement au trithéismc. Saint Anselme rapporte l’argument de Roscelin : « Si les trois personnes sont une seule chose, una res, et non trois choses, très res, — chacune existant par soimême séparément, comme trois anges ou trois âmes, de sorte cependant qu’elles soient identiques en tant que puissance et volonté — il s’ensuivrait que le Père et le Saint-Esprit se sont incarnés avec le Fils. » De fide Trinitatis, c. iii, P. L., t. clviii, col. 266 A. Voir également, de Roscelin à Abélard, la lettre où le premier s’insurge contre les décisions du concile de Soissons. Dans bs lettres d’Abélard, Epist. xv, P. L., t. clxxviii, col. 357-372. On sait que le trithéisme de Roscelin fut, en effet, condamné, en 1092, au concile de Soissons, lequel nous est connu par la lettre d’Anselme à Falcon, évêque de Beauvais. Epist., t. II, xli, P. L., t. clviii, col. 1192 sq. Voir ici Roscelin, t. xiii, col. 29Il sq. Cf. Hefele-Leckrcq, Hist. des conciles, t. v, p. 365-367. On doit signaler que, de son côté, Abélard avait réfuté le trithéisme de Roscelin dans le De unilate et trinitate divina, publié en 1891 par R. Stolze, Fribourg-en-B. ; voir ici, t. i, col. 38.
b) Le conceptualisme d’Abélard († 1142) et le dogme trinitaire. —
La foi personnelle d’Abélard ne saurait être mise en doute. Voir t. i, col. 41. Croyant sincère, Abélard s’est soumis d’avance au jugement de l’Église. Cf. Theologia christiana, 1. III. P. L., t. clxxviii, col. 1228 CD. Pour s’en convaincre, il suffirait de lire ses brèves compositions sur le symbole des apôtres, ibid., col. 617 sq., ou sur le symbole d’Athanase, col. 629 sq. Mais, voulant expliquer le dogme par la philosophie, il tombe à plusieurs reprises en de graves erreurs où l’on ne peut voir de simples impropriétés de langage. Sous prétexte de réfuter le trithéisme de Roscelin, il ressuscite le sabclHanisme. Il ne voit dans la Trinité que trois concepts dont la révélation se sert pour décrire et recommander la perfection du Souverain Bien. Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 CD. Si parfois Abélard Indique le caractère relatif des personnes, cꝟ. t. IV, col. 1275 CD, ces rapports ne semblent pas dépasser l’ordre logique. Cf. col. 1277. Ainsi les noms de Père, Fils et Saint-Esprit sont pures appropriations. Professer que Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, c’est proclamer qu’il est le Souverain Bien, que rien ne lui manque de la plénitude de tous les biens et que, par sa participation, toutes les créatures sont bonnes. Intr. ad theol., I. I, c. îx, col. 990 A ; cf. c. vii, col. 989 B. La révélation de la Trinité aux Chrétiens a donc simplement consisté à désigner sous des noms nouveaux les trois propriétés du Souverain Bien ; la puissance (Père), la sagesse (Fils), la bénignité (Saint-Esprit). Theol. christ., t. I, c. ii, col. 1125 C, 1126 C.
Les processions divines sont expliquées en fonction de ce conceptualisme. La puissance, qui s’identifie avec le Père, est un terme général, dont la sagesse est une partie, restreinte a l’ordre de la connaissance. La bénignité n’est pas à proprement parler une puissance, mais une disposition affective de la puissance générale et de la sagesse. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, col. 1072 AB. En sorte que, si le Fils et le Saint-Esprit procèdent du Père, l’un en procède par génération et l’autre simplement : « La génération diffère de la procession parce que le Fils est engendré de la substance même du Père, puisque la sagesse est une certaine puissance. Quant à la disposition de la charité, elle se rapporte plutôt à la bénignité de l’âme qu’à sa puissance. Ainsi le Fils est engendré du Père parce qu’il est de la substance même du Père. Quant au Saint-Esprit, on ne dit point qu’il est engendré, mais qu’il procède simplement, c’est-à-dire qu’il s’étend vers un autre par la charité. » Theol. christ., I. IV, col. 1299 D1300 AB. Abélard est embarrassé pour expliquer comment en Dieu les personnes divines ne sont pas multipliées à l’infini selon le nombre infini des attributs divins. Cf. Theol. christ., 1. III. col. 1259 B-1260 C.
Abélard fut dénoncé à saint Bernard par Guillaume de Saint-Thiéry, lequel dressa dans la suite un double réquisitoire contre son adversaire : Disput. adv. Abœlardum ; Disp. altéra ado. Abselardum, P. L., t. clxxx, col. 249 sq. et col. 283 sq. On sait la suite. Au concile de Sens, saint Bernard dénonça dix-neuf articles tirés des œuvres d’Abélard. Des articles incriminés, six se rapportent au dogme trinitaire. Voir ici 1. 1, col. 44-46.
Les erreurs d’Abélard ont été reprises par un certain nombre de disciples. Voir t. i, col. 50-51. Très particulièrement Guillaume de Conches († 1145) accentua le sabellianisme du maître : « Dans la divinité, afflrmet-il, il y a puissance, sagesse, volonté. Ces attributs, les saints les appellent personnes, leur accordant, en raison d’une certaine analogie, des noms qu’on détourne de leur sens vulgaire : appelant « Père », la puissance ; « Fils », la sagesse ; « Saint-Esprit », la volonté. » Guillaume de Saint-Thiéry, De erroribus Guiltelmi de Conchis, P. L., t. clxxx, col. 333 C. Guillaume de Conches rétracta ses erreurs dans un dialogue intitulé Pragmaticon. Cf. Ccillier, loc. cit., p 388.
Touchant le Saint-Esprit, Abélard et son école professent une erreur que le concile de Sens n’a pas suffisamment relevée et qui semble poser le principe d’une âme divine du monde. D’où une accusation, imméritée peut-être pour Abélard. mais très exacte en ce qui concerne Guillaume de Conches et Bernard de Tours, l’accusation de panthéisme. Pour Abélard, en effet, le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils parce qu’il est leur bénignité dans I’ « affection » et 1’ « effection » qui ont pour terme les créatures. Intr. ad theol., t. II, c. xiv, P. L., t. clxxviii, col. 1072 AB. Il semble donc qu’une relation aux créatures soit essentielle à l’Esprit-Saint. Cf. Guillaume de Saint-Thiéry, Disp. adv. Abœlardum, c. iv, P. L., t. clxxx, col. 260 C-262 C. Tout en protestant de sa foi chrétienne, Guillaume de Conches va plus loin et paraît identifier le Saint-Esprit et l’âme du monde. De erroribus G. de C, col. 339 A. Ces tendances deviennent un système réel chez Bernard Silvestris de Tours dans son De mundi universitate ou Megacosmus et Microcosmus, éd. Barach et Wrohl, dans liibliotheca philosophica mediæ a’talis, Inspruck, 1876. On voit par lu qui était visé par Honoré d’Autun, au c. xv du De philosophia mundi ; voir ci-dessus, col. 1712. La même fâchl use tendance s’accentue au xiiie siècle chez Amaury de Bène († 1207) et, avec une aggravation matérlallstt, chi i David de Dînant. Voir ces vocables, t. i, col. 936 ; t. iv, col. 157 et plus loin, col. 1725.
Les décisions du concile de Sens provoquèrent de la part de Robert de Melun († 1167) une defens. des propositions 1 et 14 d’Abélard au sujet de la Trinité. A cette occasion, Robert a su mettre en relief la doc-