dans la Correspondance, 50 vol. in-8o et 2 volumes de Tables, Paris, 1883. C’est l’édition citée ici. Quelques œuvres séparées ont des éditions critiques.
1° Les premières œuvres. — Après quelques petites pièces insignifiantes, Voltaire se révèle disciple des libertins du Temple, mais épicurien plutôt encore qu’incrédule. Voir : VÉpître à M. l’abbé Servien, prisonnier au château de Vincennes, 1714 (x, 217-218) ; VÉpître à M. le prince de Vendôme, 1717 (ibid., 240) ; VÉpître à M. l’abbé de Bussꝟ. 1716 (ibid., 237).
Cette année même, à côté de la note d’épicurisme, apparaît la note d’incrédulité, dans VÉpître à Mme de G… (ibid., 237). « Votre esprit éclairé pourra-t-il jamais croire d’un double Testament la chimérique histoire. » « Le plaisir est l’objet, le devoir et le but. La voix de la Nature est sa première voix (de Dieu) ; elle parle plus haut que la voix de nos prêtres. » L’on peut encore cependant relever dans son œuvre comme une perplexité devant le problème religieux. Dans son Épître aux mânes de Génonville (ibid., 265), il se demande : Notre esprit « naît avec nos sens… Périrait-il de même ? » Et il conclut : « Je ne sais, mais j’ose espérer que Dieu conserve pour lui le meilleur de notre être. »
2° Dans Œdipe.(ii, 7), l’incrédulité se fait âpre. Derrière les dieux, il vise le Dieu chrétien, celui du jansénisme du moins. Comme lui, les dieux ont des exigences qui martyrisent la nature, ils poursuivent les humains pour des crimes qu’ils leur ont fait commettre. Se souvenant de l’Histoire des oracles, Voltaire fait dire à l’un de ses personnages : « Au pied du sanctuaire, il est souvent des traîtres qui… font parler les destins. Ne nous fions qu’à nous. » Act. ii, 5. Les prêtres sont à redouter, donc à combattre : « Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ; notre crédulité fait toute leur science. »
3° L’Épître à Julie, 1722, écrite pour Mme de Ruppelmonde qui, au milieu d’une vie dissipée, se pose le problème religieux, ou, peut-être, pour lui-même. Cette Épître, perdue aujourd’hui, est devenue, retouchée sans doute, VÉpître à Uranie ou le Pour et le contre, 1732 (ix, 308). Nouveau Lucrèce, Voltaire veut « arracher leur bandeau aux superstitions ». S’inspirant des Trois façons de penser sur la mort de Chaulieu, il proteste cependant qu’il ne parlera pas « en épicurien uniquement soucieux de s’affranchir de la loi morale », mais à la lumière de la raison. Que voit-il dans le sanctuaire ? Un Dieu — le Dieu du jansénisme encore — un Dieu, qui n’est pas un père, comme le demande notre cœur ; il est cruel : il nous a donné des cœurs coupables, pour avoir le droit de nous punir ; inconséquent : il crée l’homme et il s’en repent ; il le fait périr par le déluge et il « tire de la poussière une race pire encore » ; il a « noyé les pères » et il « meurt pour les enfants ». Le Rédempteur ? Comment le croire Dieu ? Il est de race juive, « race odieuse » ; il connaît « les infirmités de l’enfance » ; « vil ouvrier », il prêche trois ans et périt du dernier supplice. Si encore son sang, le sang d’un Dieu, nous sauvait 1 Mais, toujours inconséquent et cruel, ayant versé son sang pour expier nos crimes, il nous punit de ceux que nous n’avons point faits », autrement dit. « de l’erreur d’un premier père ». Dieu frappe ceux qui ne savent pas, parce qu’il l’a voulu, « qu’autrefois le fils d’un charpentier expira sur la croix ». Le cœur dit que Dieu est tout autre et Voltaire conclut, disant à Dieu : « Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux. » C’est là le Contre.
Le Pour est bref. L’on fait valoir, dit Voltaire, « le Christ puissant et glorieux », vainqueur de la mort, annoncé par les prophètes, glorifié par ses martyrs et par ses saints, qui promet et console. Vraiment, . si sur l’imposture il fonde sa doctrine, c’est un
DICT. DE TIIKOI.. r.ATIIOL.
bonheur encor d’être trompé par lui ». A Uranie de choisir ; mais la religion naturelle s’impose à qui réfléchit. « La sagesse éternelle l’a gravée dans nos cœurs » ; elle répond aux exigences de Dieu ; elle nous conduit à la vertu et « Dieu nous juge sur nos vertus, non sur nos sacrifices ».
4° La Ligue ou Henri te Grand, in-8o, Genève (Rouen), 1723, qui deviendra la Henriade, 1728 (vm, 43-263). Voltaire en avait conçu l’idée auprès de Caumartin, l’avait dédiée au roi en 1720, mais le privilège lui avait été refusé. Il en donna donc une édition clandestine en 1723. En Angleterre, il y ajouta un 10e chant, en modifia les 6e et 7e, par vengeance, y substitua partout au nom de Sully celui de Mornay. Ce fut la Henriade. Il en fit précéder l’apparition par un ouvrage intitulé An Essay upon the civil wars of France. And also upon the Epick poetry, Londres, 1726, traduit en français en deux ouvrages en 1728, le premier, Essai sur les guerres civiles en France, par l’abbé Granet, le second, Essai sur la poésie lyrique, par l’abbé Desfontaines. De la Henriade, Voltaire donnera, en 1728, à Londres, par souscription une édition de luxe, in-4o, dédiée à la reine et une édition plus simple, in-8o.
Envoyant la Henriade au P. Porée, Voltaire lui écrivait : « Je vous supplie de m’instruire si j’ai parlé de la religion comme je le dois » et dans son Idée de la Henriade, la préface du poème, il se vante d’avoir parlé avec une précision rigoureuse de la Trinité : « La puissance, l’amour avec l’intelligence, unis et divisés, composent son essence », ch. x, v. 623-625 ; de l’eucharistie : « Le Christ, de nos péchés victime renaissante, de ses élus chéris nourriture vivante, descend sur les autels… et nous découvre un Dieu sous un pain qui n’est plus. » Ibid., 489-493. Cela n’empêche pas la Henriade d’être une machine de guerre contre l’Église. « C’est dans la Henriade, écrit La Harpe, qu’il déclare aux préjugés, à la superstition, au fanatisme cette guerre qui n’admet jamais ni traité, ni trêve. » Cité par G. Ascoli, op. cit., 30 avril 1924, xi, p. 130. La matière y prêtait. Dans le sujet, « il trouvait, dit G. Lanson, op. cit., p. 19, de riches occasions de dire leur fait… à l’Église et aux moines. » Il condamne, exaltant la tolérance, « le fanatisme », par où il entend l’attachement à sa religion, d’où qu’il vienne. Mais il s’acharne contre le catholicisme. La Rome papale a hérité, dit-il, du fanatisme de la Rome païenne. C’est l’intolérance de Rome qui a fait la Saint-Barthélémy et armé le peuple de Paris « pour de vains arguments qu’il ne comprenait pas ». Ch. il. Il juge durement la papauté, entre autres Sixte-Quint, « qui devait sa grandeur à quinze ans d’artifice », ch. m ; les prêtres de Paris, qui, « loin de partager les malheurs publics, vivent dans l’abondance, à l’ombre des autels », abusant les fidèles, ch. x ; les moines : « sous l’habit d’Augustin, sous le froc de François », ils apprennent aux Français que « c’est servir leur Dieu que d’immoler leur roi ». Ch. iv ; cf. Essai sur les mœurs, c. xxxix (xiii, 334).
5° L’ode sur le fanatisme, 1732 (vm, 427), dédiée à la i sublime Emilie ». Apologie du déisme et condamnation des querelles dogmatiques. La raison condamne l’athéisme et le fanatisme, mais l’athée vaut mieux que le fanatique. Il y a des athées vertueux, Spinoza. Desbarreaux ; et l’on offense moins Dieu à l’ignorer qu’à le représenter « impitoyable, jaloux, injuste ». Il n’y a pas de fanatique vertueux. « Stupide, farouche », le fanatique est toujours prêt à immoler voyez l’Inquisition et le philosophe de Toscane, la Saint-Barthélémy ; aujourd’hui les jansénistes et les molinistes se combattent à coups de sophismes, faute de mieux. La vraie religion, c’est la charité de Belzunce.
T. - XV. — 107.