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    1. VULGATE##


VULGATE. VALEUR CRITIQUE ET LITTÉRAIRE

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œuvre soit encore moins satisfaisante, et ressemble plus à une simple revision, un peu sommaire, de l’ancienne version, qu’à une traduction originale. De plus, saint Jérôme, comme dans sa revision du Nouveau Testament, a cherché à s’écarter le moins possible du texte latin en usage, et par conséquent des Septante, quand la divergence avec le texte original était peu importante. De là certains grécismes ou même hébraïsmes qui viennent des Septante par l’intermédiaire de la version latine, sans parler de ceux qu’il a lui-même conservés volontairement dans sa traduction par souci d’exactitude littérale. On a remarqué d’ailleurs (A. White, dans Hasting’s Dictionary oj the Bible, t. iv, col. 885) que, là même où saint Jérôme faisait une traduction nouvelle, il modelait son style, inconsciemment sans doute, sur le latin des anciennes versions, ce qui explique la présence dans la Vulgate d’expressions et constructions empruntées à la langue populaire. Cependant, le plus souvent, saint Jérôme s’est préoccupé de la correction et de l’élégance latines plus que de la fidélité littérale au texte qu’il traduisait. Son principe de traducteur, tel qu’il l’a formulé lui-même, était d’ailleurs de s’attacher au sens plus qu’à la lettre du texte : non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu, méthode, remarque-t-il, qui était celle des apôtres et des évangélistes dans l’usage qu’ils faisaient de l’Ancien Testament. Un des traits principaux par quoi se marque le souci littéraire qui l’animait, c’est le soin qu’il a pris de varier la traduction de certaines expressions qui reviennent fréquemment dans le texte hébreu, même parfois aux dépens* du sens (par ex. dans le ch. i de la Genèse, le même mot est traduit tantôt par genus, tantôt par species), ou aux dépens de l’effet littéraire lui-même (suppression de certaines répétitions voulues qui, dans l’original, accentuent le caractère poétique d’un morceau ou en fixent la strophique). Cf. Mangenot, art. Vulgate, dans Dict. de la Bible, t. v, col. 2462, qui donne de nombreux exemples, surtout d’après A. Condamin, Les caractères de la traduction de la Bible par saint Jérôme, dans Recherches de science religieuse, 19Il et 1912. Quant à l’interprétation proprement dite du texte, on sait avec quel soin saint Jérôme s’efforça d’atteindre le plus exactement possible la veritas hebraïca, en utilisant le savoir de ses maîtres juifs. Il signale lui-même par exemple comment, afin de rétablir dans les longues listes des Paralipomènes la teneur exacte des noms propres, très altérés dans le grec et le latin, il collationna le texte de ce livre avec un célèbre rabbin de Tibériade. Il utilisa aussi les versions grecques de l’Ancien Testament faites par les Juifs Aquila, Symmaque et Théodotion, versions reproduites dans les Hexaples d’Origène, dont il put consulter l’original à la bibliothèque de Césarée. On peut même juger excessive la confiance que saint Jérôme témoignait à l’égard de la tradition rabbinique, à laquelle il doit dans ses Commentaires certaines interprétations fantaisistes et, dans sa version même du texte hébreu, certaines fausses traductions. Le P. Lagrange a relevé quelques cas de ce genre dans la Vulgate de la Genèse, Rev. bibl., 1898, p. 563-566. En voici un exemple. Dans Gen., ii, 8, il est question du Paradis qui, d’après la Vulgate, aurait été planté a principio : ces mots traduisent l’hébreu miggedem, qui beaucoup plus probablement doit se traduire : à l’Orient, comme il est rendu par Septante. Saint Jérôme a adopté au contraire la traduction d’Aquila, Symmaque et Théodotion, inspirée de l’opinion juive, d’après laquelle le Paradis aurait été créé en premier lieu, avant toute autre création. Par contre, en réaction contre les traducteurs juifs qui, estimait-il, avaient en maints endroits atténué la signification prophétique et la portée messianique des textes de l’Ancien Testament, il arrive que saint Jérôme ait fait siennes des traductions des Septante qui introduisent un sens messianique, là où l’original ne semble pas le comporter (exemples cités dans Kaulen : Geschichte der Vulgala : Is., xi, 10 ; xvi, 1 ; Hab., iii, 18 ; Jer., xxxi, 22), ou du moins accentuent et précisent ce sens, Is., xlv, 8 ; li, 5 ; Jer., xxiii, 6 ; Dan., ix, 24-26.

2. Texte ayant servi de point de départ. — Le texte hébreu traduit par Jérôme est naturellement celui qui était répandu de son temps dans les milieux juifs : il s’était procuré le manuscrit hébreu utilisé à la synagogue de Bethléem, et l’avait copié luimême. Ce texte ne devait pas différer beaucoup de celui qui a été fixé par les massorètes. Quelques désaccords entre la Vulgate et le texte massorétique peuvent venir de ce que le manuscrit utilisé par Jérôme ne possédait pas de points-voyelles, et qu’une différence de vocalisation a pu introduire en certains cas une leçon qui s’écarte un peu de la leçon massorétique. Mais ces différences sont peu importantes, et les ressemblances sont beaucoup plus significatives, car la Vulgate concorde avec le texte massorétique même en des endroits où celui-ci est sûrement fautif (mêmes coupes défectueuses de mots, mêmes omissions mêmes gloses, etc.). Reste à se demander si le texte traduit par Jérôme, et qui est substantiellement conforme à l’hébreu actuel, reproduisait exactement le texte primitif, et si en particulier il lui était toujours plus fidèle que la version grecque des Septante. Sur ce point, il semble que le sentiment des critiques ait évolué, et qu’ils accordent plus de crédit à la version alexandrine. Il est certain que, grâce au travail des massorètes qui a commencé au ve siècle de notre ère, le texte de la Bible hébraïque n’a pas subi de variations notables, depuis cette époque, sauf quelques fautes de copistes, rendues d’ailleurs plus rares par tout un ensemble de signes destinés à garantir l’inaltérabilité. Mais avant ce travail des massorètes, depuis l’époque de la composition de ses diverses parties jusqu’à saint Jérôme, l’Ancien Testament hébreu a été soumis aux conditions ordinaires des manuscrits de ce temps, des fautes s’y sont forcément introduites du fait des copistes, sinon des revisions systématiques ; il devait donc nécessairement s’écarter de l’original en bien des endroits. Par contre la version des Septante, qui fut commencée à Alexandrie au milieu du iiie siècle avant J.-C, correspond à un état du texte hébreu notablement plus ancien, où certaines altérations du texte actuel n’existaient pas encore. De sorte que, dans les cas très nombreux de divergence entre les Septante et la Vulgate, il peut se faire que la leçon originale soit mieux conservée dans la version grecque que dans le texte hébreu suivi par saint Jérôme. Il faut tenir compte d’autre part du fait que les traducteurs alexandrins ont pris beaucoup de libertés avec le texte hébreu qu’ils traduisaient, et l’on ne saurait s’étonner que saint Jérôme ait jeté en principe la suspicion sur les omissions, additions, interversions, ainsi que sur les divergences de sens résultant souvent de la mauvaise lecture des mots hébreux, qu’il constatait entre les Septante et les manuscrits utilisés de son temps dans les synagogues et les écoles rabbiniques. D’autant plus que de nombreuses altérations s’étaient glissées dans les manuscrits de la version alexandrine pendant les quatre premiers siècles de notre ère, du fait des copistes, et aussi des recenseurs. Cf. sur ce point l’article Versions de l’Ancien Testament.

Il est probable que, si à la suite d’un travail délicat de critique textuelle on possédait aujourd’hui une édition des Septante qui reconstituât à peu près le texte primitif authentique de cette version, on en