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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.2.djvu/35

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CALVIN

lement parmi les libres-penseurs, mais parmi les catholiques, contre une pareille conception ; tout subordonner à la doctrine et à la morale, ce n’est contraire ni à l’esprit du christianisme, ni à celui de l’Église catholique ; que les catholiques reprochent à Calvin d’avoir mis ce principe au service d’une fausse doctrine, ils ont raison ; mais ont-ils le droit de s’élever contre le principe même ?

Dès les premières leçons de Calvin, les murmures éclatèrent. Il était chargé, disait-on, d’expliquer l’Écriture : de quel droit se mettait-il à censurer les mœurs et à jouer le rôle de confesseur et de pénitencier de la cité ?

Pour arriver au but que se proposait le réformateur, il fallait d’abord déterminer avec précision les règles disciplinaires et les croyances de la nouvelle Église. Le 10 novembre 1536, les articuli de regimine Ecclesiæ étaient lus et examinés par le Conseil : leur rédacteur était Calvin. Les articles s’occupent avant tout de la cène et des conditions requises pour y participer : « Pour ceste cause, nostre Seigneur a mise en son Esglise la correction et discipline d’excommunication, par laquelle il az voullu que ceux qui seroyent de vie désordonnée et indigne d’ung crestien, et qui mespriseroyent, après avoyr esté admonestez de venir à amendement et se réduire à la droicte voye, fussent déjectéz du corps de l’Esglise et, quasi comme membre pourris, couppez jusques à ce qu’ils revinssent à résipiscence, recognoyssent leur faulte et paovreté. » Des personnes seront désignées dans chaque quartier de la ville pour avoir l’œil sur la vie de chacun et dénoncer ceux dont la conduite serait repréhensible. Le 16 janvier 1537, les articles étaient définitivement adoptés par les deux Conseils.

C’est au commencement de 1537 que parut, en français, le premier Catéchisme calviniste, réimprimé en 1878 : « Ce catéchisme, dit M. A. Rilliet, est, vu la brièveté et la netteté de l’exposition, la source où l’on peut le plus souvent puiser, sous une forme authentique, la connaissance de ce grand système religieux. C’est, pour ainsi dire, le calvinisme en raccourci. » Le premier catéchisme de Calvin était un bref résumé de l’Institution chrétienne ; l’auteur le publia l’année suivante, 1538, en latin, et en donna, en 1541, une nouvelle édition française, par questions et réponses, plus à la portée des enfants.

Les articles avaient décidé que les Genevois auraient à faire une profession de foi. Le Catéchisme fut donc suivi par un autre document rédigé par Farel ou par Calvin — la question n’est pas dirimée — et intitulé :

« Confession de la foy laquelle tous bourgeois et habitants de Genève et subjeetz du pays doyvent jurer de

garder et tenir, extraicte de l’Instruction dont on use en l’Église de la dite ville. » A Genève, dit M. Doumergue, t. ii, p. 237, « non seulement ceux qui n’ont pas la foi de l’Église n’en sont pas légitimement membres et devront être laissés en dehors : mais c’est le Conseil qui approuvera la confession de foi, qui commandera et recueillera les adhésions, c’est le secrétaire du Conseil qui montera dans la chaire de Saint-Pierre pour réclamer le serment, et les citoyens qui ne voudront pas le prêter seront punis par l’exil. » — « Pour produire une œuvre aussi exceptionnelle que la Genève nécessaire à la Réformation, ajoute le même auteur, p. 246, il fallait des moyens héroïques. »

Ainsi deux laïques, Farel et Calvin, sans autre mission que celle qu’ils s’attribuent à eux-mêmes, dictent à Genève ce qu’elle doit croire et ce qu’elle doit pratiquer ; ils requièrent de chaque Genevois une adhésion personnelle, sous peine de bannissement ; et Genève s’incline ; après quelques protestations du parti de la liberté, des Eidgenots, qui contribuèrent à retarder de plusieurs mois l’exécution de l’article relatif à la confession de foi, le 27 juillet 1537, « sur une grosse admonition » du Farel et de Calvin, le Conseil décida d’en finir. Le 29, les « prêcheurs » enlèvent le vote du Conseil des Deux-Cents. Les dizeniers sont appelés à rendre compte de leur croyance ; tous ceux qui ne feraient pas de réponse suffisante seraient révoqués ; les autres devraient exhorter les gens de leur dizaine à suivre les commandements de Dieu, avec commination de les dénoncer, s’ils ne se soumettent, et les amener à Saint-Pierre, dizaine par dizaine, pour déclarer s’ils veulent observer la confession. Les magistrats et une partie des habitants prêtent serment sans tarder. Mais l’opposition continue à agir : les abstentions sont nombreuses. Le 12 et le 15 novembre, le Conseil, puis le Conseil des Deux-Cents signifient aux récalcitrants que « s’ils ne veulent pas jurer la réformation, ils aient à vider la ville et aillent demeurer autre part, où ils vivront à leur plaisir ». Abandonnés par les Bernois, ils cèdent à peu d’exceptions près, au commencement de janvier 1538. Alors Farel et Calvin émettent de nouvelles exigences ; à la question de la confession de foi, ils font succéder celle de l’excommunication. De cette excommunication, c’est-à-dire de l’exclusion de la cène, les ministres entendent être juges ; à eux, la surveillance de la vie privée, et les conséquences qui en découlent. Cette sainte discipline de l’excommunication va devenir la cheville ouvrière du système de Calvin. Avec elle, il est le maître ; sans elle, il est réduit à l’impuissance. Aussi, livre-t-il à ce propos le combat décisif. Le Conseil des Deux-Cents décide d’abord (4 janvier) « qu’on ne refusera la cène à personne, même aux contrariants à l’union » ; le 3 et le 4 février 1538, les élections amènent au pouvoir quatre syndics et un grand nombre de conseillers du parti de la liberté ; alors commence une campagne du Conseil contre la prétention des prédicateurs de juger dans leurs sermons les actes du gouvernement et la conduite des particuliers ; puis les difficultés se doublent d’un conflit avec Berne, qui se croyait le droit d’exercer sur Genève une sorte de patronage spirituel. Déjà, en 1537, l’accusation d’arianisme portée par Caroli, premier pasteur de Lausanne, contre Farel et Calvin, la violente et grossière dispute qui s’ensuivit entre les novateurs, avaient rendu quelque peu suspecte aux Bernois la foi des prédicants français de Genève ; maintenant, ils incriminaient les innovations liturgiques de Farel et de Calvin. Ainsi Genève communiait avec du pain ordinaire, Berne avec du pain azyme ; Genève avait ôté les fonts baptismaux des églises, Berne les avait conservés ; Genève ne reconnaissait que le dimanche, Berne avait gardé plusieurs fêtes. Les Bernois réclamèrent la conformité. Le Conseil de Genève décida l’adoption des cérémonies bernoises. Calvin, pour détendre l’indépendance de l’Église et celle de son Église, réclama la réunion d’un grand synode. Berne avait convoqué un synode à Lausanne pour le 31 mars, mais les prédicateurs genevois n’y devaient être admis que s’ils avaient au préalable

« accordé de se conformer aux usages bernois touchant

les cérémonies ». Farel et Calvin allèrent au synode et n’y parlèrent pas ; les sessions closes, ils entrèrent en pourparlers et demandèrent l’ajournement jusqu’au prochain synode de Zurich. Berne refusa et notifia le 15 avril sa décision au Conseil de Genève ; l’approche de la fête de Pâques, qui tombait le 21 avril, rendait la crise imminente.

Le 19, le Conseil fit demander à Farel et à Calvin s’ils voulaient se conformer au cérémonial de Berne, c’est-à-dire distribuer la cène avec du pain sans levain. Ils déclarèrent que non. Le jour de Pâques, ils prêchent malgré la défense, Farel à Saint-Gervais et Calvin à Saint-Pierre ; ils refusent de distribuer la cène. Des troubles éclatent. Le 22 avril, le Conseil des Deux-Cents, le 23, le Conseil général prononcent le bannissement de Couraud, de Farel et de Calvin ; le Conseil général avait