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CHARTREUX


mais pour les édifier. Une humble foi, le silence, la prière, la pénitence, voilà essentiellement notre partage. » Ces principes, croyons-nous, réglaient la formation intellectuelle des jeunes théologiens chartreux avant le xvi c siècle. On leur faisait apprendre d’abord ce qui était indispensable à un prêtre avant son ordination, et l’on réservait à d’autres temps le soin de compléter les premières études. Les supérieurs étaient juges et modérateurs de cette instruction supplémentaire.

Quant aux ecclésiastiques d’âge mûr et aux religieux profès des autres instituts, qui devenaient chartreux, ils appartenaient parfois à des écoles théologiques adversaires. Ainsi, à la fin du XVe siècle, quand le célèbre Jean Heynlin, professeur et prieur de Sorbonne, ardent défenseur du réalisme, entra à la chartreuse de Bàle, le prieur de la maison, dom Jacques Louber, ancien professeur et vice-recteur de l’université de la même ville, avait enseigné le nominalisme, et le cloître contenait sept religieux docteurs en théologie. La chronique du monastère constate que la prudence du prieur réussit à maintenir l’union des intelligences et des cœurs parmi les religieux. Les théologiens qui venaient en Chartreuse gardaient les doctrines des écoles dont ils sortaient, les exposaient dans les écrits qu’ils composaient en cellule, mais dans les rapports conventuels avec leurs confrères, partisans d’enseignements divers, ils évitaient soigneusement les disputes théologiques. Deux faits l’attestent manifestement : 1° Le chapitre général de 1333 ordonna la célébration de la solennité de la conception de la Vierge Marie, et, en adoptant le mot de conception au lieu de sanctification, l’ordre suivait officiellement l’enseignement des scotistes. Or, en 1340, le célèbre Ludolphe, religieux dominicain, prit l’habit de Saint-Bruno à la chartreuse de Strasbourg et, dans cette solitude, composa la Vita Christi, qui a immortalisé son nom. Mais si Ludolphe avait changé d’habit et de religion, il ne changea pas d’opinion à l’égard de la conception immaculée de la Mère de Dieu, et nonobstant sa grande dévotion envers Marie, dont il célébrait tous les ans, avec ses nouveaux confrères, la fête de la conception, il enseigne dans son ouvrage que la sainte Vierge fut purifiée de la tache originelle dans le sein de sa mère. C’était la doctrine de l’école dont il était sorti, mais ce n’était pas le sentiment de l’ordre des chartreux. 2° Au siècle suivant, un chartreux illustre à bien des titres, mais surtout par sa sainteté et les légations apostoliques qu’il avait remplies avec succès, le B. Nicolas Albergati, cardinal et évêque de Bologne, assistait au concile de Bàle. Eugène IV l’avait chargé de ramener les Pères réunis à Bàle dans les voies de l’orthodoxie et de l’obéissance. Le saint chartreux n’y pouvant réussir quitta l’assemblée et se retira auprès du pape. Il ne voulut pas assister aux délibérations schismatiques du concile, au sein duquel il avait défendu la primauté du pape dans l’Eglise et sa supériorité même sur les conciles œcuméniques. Or, presque à la même époque, l’ordre comptait trois grands théologiens allemands qui, dans leurs écrits, professaient plus ou moins explicitement la suprématie des conciles œcuméniques sur le pape. Us suivaient les opinions admises dans leurs anciennes écoles. Mais l’ordre, dont le sentiment général était opposé, n’avait pas le droit de leur interdire un enseignement toléré par l’Église.

Beaucoup de religieux, sortis du monde avant d’avoir terminé leurs études, acquirent cependant en chartreuse une science profonde de la théologie. Gérard Pétrarque, frère de François, l’illustre poète, s’agrégea à l’ordre à l’âge de 31 ans. parmi les clercs rendus de la chartreuse de Montrieux, dans le Var. Or François, écrivant à Gérard, lui rappelle qu’avant son entrée en religion il était Ut ter arum expert ac pêne nudus. Quelques années plus tard, dom Gérard, affligé de la mauvaise conduite de son frère, essaya de ! > convertir par une

lettre fort longue et remplie de citations des Pères de l’Eglise, et par un livre composé à cette intention. Le grand poète, touché de tant de zèle, loua son frère d’avoir acquis une si grande connaissance de la science des saints et lui promit de suivre fidèlement ses conseils. Il tint parole et répara les scandales de sa vie. Cf. II. Cochin, Le frère de Pétrarque et le livre du Repos des religieux, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1901, t. vi, p. 42-69, 151-177, 493530 ; 1902, t. vii, p. 21-58, 155-166.

L’invention de l’imprimerie apporta une modification considérable dans le partage de la journée des religieux cloîtrés et fit cesser la transcription des manuscrits. La facilité de se procurer les œuvres imprimées des Pères et des écrivains ecclésiastiques ralentit tout d’abord, et finit ensuite par éteindre le zèle de se composer une bibliothèque d’ouvrages copiés parles religieux du monastère. Les chartreux continuèrent seulement à copier les livres liturgiques et les statuts. Une ordonnance du chapitre général de 1498 dit qu’un religieux transféré d’une maison à une autre ne peut emporter le bréviaire, le collectaneum et les statuts, que s’il les a transcrits lui-même, ou les a acquis légitimement. Le temps employé auparavant à la transcription des livres fut dès lors consacré à l’étude des saintes Ecritures, de la patrologie et de la théologie scolastique. Les sciences sacrées firent de véritables progrès dans les cloîtres, surtout à partir de la Benaissance et du protestantisme. A cette époque, la sollicitude des supérieurs de l’ordre se tourna nécessairement vers le choix des livres d’étude et de lecture.

Dom Jean-Juste Lansperge, vicaire de la chartreuse de Cologne, mort en 1539 en odeur de sainteté, donnait ses instructions aux novices sous forme de lettres personnelles. Après sa mort, on recueillit toutes celles qui existaient encore ; on se procura aussi des copies des lettres qu’il avait adressées aux personnes étrangères à l’ordre, et on publia le tout en deux livres intitulés : Epistolæ parœneticæ ac morales ad diversorum ordinum statuumque homines. Cf. Opéra Jo. Justi Lanspergii, Montreuil-sur-Mer, 1890, t. iv, p. 79-216. Or la lettre xi e du 1. I » r, adressée à un novice nommé Geoffroy, est un véritable traité sur la formation intellectuelle d’un jeune chartreux. Le pieux Lansperge signale à son élève le danger des lectures curieuses et opposées à l’esprit des solitaires. « Puisque, lui dit-il, vous êtes entré en religion, voire même dans un ermitage, vous ne devez plus imiter ceux qui, hélas ! même de nos jours, dans la solitude, vaquent à l’étude des langues ou à approfondir les arguties des philosophes et les questions difficiles des théologiens. Vous ne devez rechercher, lire et estimer que ce qui vous rend meilleur… Ne prenez jamais en mains un livre pour acquérir le nom de savant ou le paraître. Ne faites pas d’étude pour surpasser, par la doctrine, vos confrères. L’amour de Dieu, et quelquefois l’amourdu prochain, si vous devez lui donnerdes conseils ou des instructions, doivent être le Imt unique de vos lectures. .. Laissez aux vaniteux l’affectation de tirer de leurs lectures les citations rares et variées afin de gagner le renom d’hommes fort appliqués à l’étude et de grands savants. Tu Deum disce, Deum desidera, Deum qumre… Hoc sit ttudium tuum, hsec scientia tua… » Il lui indique ensuite les livres qu’il doit lire et lui dresse un catalogue d’ouvrages ascétiques et de trahis des Pères de l’Eglise ou des maîtres les plus célèbres. Tour l’étude de la théologie, il lui donne les conseils suivants : « Avant, dit-il, ou à l’approche de votre ordination sacerdotale, lisez Gabriel Byel sur le canon de la messe. Vous y trouverez non seulement l’explication du canon de la messe, mais encore à peu près toute la science nécessaire à un prêtre. Ensuite, vous lirez les œuvres de saint liernard, le Miroir historique de Vincent (de Beauvais), qui vous apprendra la vie des saint-- dune manière édi-