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BACON


tout, et aux raisonnements a priori, la science était demeurée stationnaire, impuissante, égarée dans un dédale de théories utopiques. Affranchie de cette double servitude, non est confidendum argumento aut auctoritati, et munie de la méthode que le génie de Bacon lui traça, elle atteindra peu à peu le prodigieux développement que nous admirons aujourd’hui.

L’illustre docteur semble avoir pressenti six siècles à l’avance cette étonnante effloraison. Son opuscule De secrclis operibus arlis et naturee est plein de ces visions d’avenir : les bateaux à vapeur, les chemins de fer, les ballons, les leviers à roue, les scaphandres, le télescope, le microscope, les terribles effets de la poudre y sont indiqués presque à la lettre. Lui-même se met à l’œuvre avec ardeur et non sans succès. Il a d’abord composé la perspective ; puis il a abordé une tâche plus diflicile, impossible pour ainsi dire à son époque : il a essayé de constituer une science générale ayant pour but de ramener à des principes mathématiques toutes les actions réciproques des corps et des agents naturels. Cette science toute nouvelle qui lui coûta dix ans d’efforts, Op. lert., c. xi, p. 38, est exposée dans le De mulliplicatione specierum. Cf. Op. maj., part. IV, dist. II-IV. C’est surtout en optique qu’il excelle. Non seulement il décrit exactement les lois de la vision et l’anatomie de l’œil, Op. maj., part. I a V*, dist. II-IX ; mais il approfondit les effets de la réllexion et de la réfraction ; il développe la nature et les propriétés des verres convexes et concaves, l’application qu’on peut en faire dans la confection des lunettes et des miroirs ardents. Il explique à peu près bien les phases de la lune, Op. maj., part. II a V*, dist. III, c. îv ; les étoiles filantes et la voie lactée, ibid., dist. III, c. I, les halos, ibid., part. VI, c. xii ; l’aurore et divers autres phénomènes atmosphériques, tels que la scintillation des étoiles, ibid., part. ll a V*, dist. III, c. vii, l’arc-en-ciel, ibid., part. VI, c. ii-xii. Outre qu’il démontre la décomposition Je la lumière, ibid., part. VI, c. ii, il soutient contre les docteurs de son temps que la propagation n’en est pas instantanée. Ibid., part. I a V 3 -’, dist. IX, c. iii, Op. tert., c. xxxv ; De multipl. specierum, part. IV, c. m. Ailleurs il émet des principes qui semblent faire corps avec la théorie des ondulations, Op. maj., part. I a V æ, dist. VIII, c. n ; De multipl. spec., part. III, ci ; part. VI, c. iii, ou même préparer la voie aux mystérieuses découvertes des radiations invisibles : « Il n’y a pas de milieu si dense, dit-il. que les rayons ne puissent pénétrer ; si beaucoup de corps denses arrêtent la vue et les autres sens de l’homme, c’est que les espèces sensibles sont trop faibles pour ébranler sa faculté ; néanmoins, en toute vérité, ces espèces ou rayons pénètrent, quoique insensiblement pour nous. » Op. maj., part. IV, dist. II, c. n ; De multipl. spec, part. II, c. v.

Ce n’est pas à dire qu’il ne se trompe jamais. Ses idées, viciées par les théories défectueuses de son siècle,

— et qui a réussi à s’en dégager tout à fait ? — notamment par les influences aristotéliciennes, ont parfois des points faibles. Ainsi en est-il de son explication de la lumière lunaire. Op. maj., part. IV, dist. IV, c. i. De même celle des marées, ibid., c. vi, empruntée à R. Grossetête, De refractionibusradiorum, c. ni, est-elle démodée depuis que les lois de l’attraction sont connues. Cf. Op. min., p. 359 ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. ii, dist. XIV, part. II, a. 2, q. n ; Scot, ibid., q. iii, n. 2, 3 ; II meteororum, q. ii, a. 2. Avec tous ses contemporains et le Stagirite, il parle de l’ingénérabilité et de l’incorruptibilité des astres, Op. tert., c. xxxviii, p. 123 ; Op. min., p. 370 ; mais il ne pousse pas l’exagération jusqu’à faire de chaque corps céleste un type unique dans son espèce ; au reste, l’explication qu’il donne de cet axiome scolastique réduit à néant bien des applications qu’on était tenté d’en faire. Cf. De multipl. spec, part. I, .c. v. Moins que tout autre, Bacon n’ignorait l’imperfec tion de son œuvre ; persuadé de sa propre faiblesse, il observe judicieusement qu’on aurait tort d’exiger de lui une précision absolue et des solutions toujours adéquates. Que de fois il se plaint de n’avoir pas les instruments voulus ! Aussi son ambition se borne à des. essais qui permettent d’entrevoir ce qu’il est possible d’obtenir. Op. maj., part. VI, c. xii. Cf. Op. min., p. 317. Ce n’est pas sans motif qu’il n’attribue à ses travaux d’autre mérite que celui d’être une persuasio prœambula. Au surplus, il apporte un soin scrupuleux à éviter que « sa physique se confonde avec la divination, sa chimie avec l’alchimie, son astronomie avec l’astrologie » . Il suffit de le lire loyalement pour se convaincre qu’il est plein de prudence et de réserve chaque fois qu’il touche ces points délicats. Op. maj., part. III, c. xiv ; part. IV, dist. II, c. viii ; Op. tert., c. ix, xiii, xxv, xxx, lxv. Ce qu’il dit au sujet de la transmutation des métaux, si en vogue au moyen Age, est frappant : « Vouloir faire de l’argent avec du plomb ou de l’or avec du cuivre, c’est aussi absurde que de vouloir créer quelque chose de rien. » Cf. Léon de Kerval, Revue franciscaine, Bordeaux, 1885, p. 310. Partout il établit avec netteté et précision les distinctions nécessaires, assuré que la meilleure façon de servir la science consiste à la dégager pleinement des attaches louches et compromettantes. C’est dans ce but qu’il adresse à Clément IV deux longs mémoires, dont l’un est annexé au traité des mathématiques dans l’Opus majus, et l’autre fut porté conjointement avec l’Opus tertium par Jean de Paris. Op. tert., c. lxv, p. 270 ; Comp. studii, c. iv, p. 432 ; De secret, op. artis, c. i, a, m. Cf. S. Thomas, Sum. theoh, I a, q. cxv, a. 3, 4, 6 ; IIa-IIæ, q. xcv, a. 1, 5 ; S. Bonaventure, In IV tient., 1. II, dist. II, part. II, a. 1, q. n ; Scot, In IV Sent., 1. II, dist. XIV, q. III, n. 6 ; I meteororum, q. ni, a. 3 ; De anima, q.xi. Cf. Apologia in H. Tarlarottum, Venise, 1750 ; Londres, 1859. En géographie, Bacon ne se contente pas de chercher la cause des différences de climats, Op. maj., part. IV, dist. IV, c. m-v, ni de prouver rapidement la sphéricité de la terre. Ibid., c. x. Plus vaste est son désir. Il eût voulu qu’on mesurât le globe, qu’on déterminât exactement les longitudes et les latitudes, qu’on fixât avec plus de précision la position des villes et des contrées et, pour cela, qu’on s’entendit sur un point comme origine commune des longitudes. « C’est une œuvre immense, écrit-il ; mais elle aboutirait si l’autorité apostolique, ou un empereur, ou un grand roi consentait à prêter assistance aux savants. » Pour donner au pape une idée de ce qu’on pourrait réaliser, il dressa lui-même une carte. D’un côté, in albiori parte pellis, il indiquait par des cercles rouges les principales villes de l’univers avec leurs degrés de longitude et de latitude ; de l’autre, in alia parte pellis, où la description était plus détaillée, il faisait sans doute le tracé des fleuves, des mers, des montagnes et des limites politiques des nations. Cf..1. H. Bridges, The « Opus majus » , p. 296, 300. Par malheur, cette carte est perdue ; seules les pages explicatives de YOpus majus nous restent. Elles sont curieuses et intéressantes. Bacon ne se contente pas de copier les écrivains anciens ; il les rectifie au besoin et les complète. Notons qu’il fait le plus grand cas des récits de Guillaume de Rubruquis et de Jean de Plan-Carpin. Il démontre qu’il y a des régions habitées au-dessous de l’équateur. S’appuyantsur l’examen attentif de certains textes d’Aristote, de Sénèque, de Pline et du IVe livre d’Esdras, VI, 42, il établit des données qui n’ont pas peu contribué à la découverte de l’Amérique. Sa conclusion est que la masse d’eau qui s’étend d’un pôle à l’autre entre l’Afrique et l’Inde n’est pas bien large, non magnse latitudinis, et que l’Inde occidentale approche de très près, accedens valde, l’extrémité ouest de l’Afrique. Il est hors de doute que Chr. Colomb eut connaissance des assertions de Bacon. Dans une