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BAPTÊME (SORT DES ENFANTS MORTS SANS)


exclus de la vision béatifique. Donc ils seront à gauche avec les damnés, puisqu’il n’y a pas de milieu entre la droite et la gauche, entre le ciel et l’enfer. Serm., ccxciv, 3, P. L., t. xxxviii, col. 1337. Cf. Opus imper f., 1. II, c. cxvii, P. L., t. xlv, col. 1191.

Ce raisonnement, qui peut paraître spécieux au premier abord, est loin d’être concluant. Le passage évangélique qu’allègue saint Augustin a pour unique objet, comme l’indique le contexte, le jugement final des individus, d’après l’examen ou la discussion de leurs œuvres personnelles. Or, les enfants morts sans baptême n’ayant ni mérites ni démérites personnels, il n’y a pas lieu de les comprendre dans un jugement qui concerne l’usage que les hommes ont fait de leur liberté. Les considérants de la sentence montrent bien qu’il s’agit uniquement des adultes : Esurivi enim et dedislis mihi n>anducare, etc. Il n’y a pas de milieu, dit saint Augustin, entre la droite et la gauche. Sans doute, mais il y en a un entre le ciel et l’enfer des damnés. Pourquoi n’y aurait-il pas, à la gauche du Christ, deux catégories distinctes, semblables sur un point, et différentes sur d’autres ; privées toutes deux de la vision béatifique, mais différentes pour le reste ? Le raisonnement de saint Augustin est donc discutable ; et il ne suffit pas, en tout cas, pour démontrer que l’Écriture condamne à la peine du feu et aux souffrances physiques en général les enfants morts sans baptême. Aucun texte n’a trait directement à cette question. Et quant aux conclusions indirectes qu’on peut tirer de tel ou tel passage, elles sont plutôt contraires que favorables à la doctrine augustinienne. Le texte de l’Apocalypse, xviii, 7, le prouve entre autres : Quantum glorificavit se et in deliciis fuit, tantum date Mi tormentum et luctum ; d’où l’on peut conclure, avec saint Thomas, que les divers degrés de la peine du sens sont proportionnés aux degrés de la jouissance coupable. Or le péché originel ne comportant aucune délectation de ce genre, il s’ensuit que la peine du sens n’a pas sa raison d’être pour le punir. In IV Sent., 1. II, dist. XXXIII, q. il, a. 1.

Opinions des Pères.

Les Pères grecs qui ont

parlé de cette question sont unanimes à dire que les enfants morts sans baptême n’endurent pas la peine du sens. Saint Grégoire de Nazianze déclare « qu’ils n’auront ni gloire céleste, ni tourments » : Neccœlesti gloria nec suppliciis a justo judice af/iciuntur utpotequi licet baptismo consignati non fuerint, improbitate tamen careant, atque hanc jacturam passi potius fuerint quam fecerint. Neque enim quisquis supplicio dignus non est, protinus honorem quoqite meretur, quemadmoditmnec quisquis honore indignus est, stalim etiam pœnam promeretur. Orat., XL, in sacr. bapt., P. G., t. xxxvi, col. 389. La même doctrine se retrouve, vers le Ve ou VIe siècle, chez l’auteur anonyme des Qusestiones et responsiones ad orthodoxos, q. lvi, P. G., t. vi, col. 1298, et chez l’auteur également anonyme des Quæstiones ad Antiochum ducem, q. cxv, P. G., t. xxviii, col. 670671 ; au VIe siècle, chez Cosmas Indicopleustes, Topogr. christ., 1. VII, P. G., t. lxxxviii, col. 378 ; chez saint Anastase le Sinaïte, Qusestiones, P. G., t. lxxxix, col. 710 ; au xir 3 siècle, chez Euthymius, Panopl. dogmat., tit. xxvi, P. G., t. cxxx, col. 1282.

Les Pères latins ne semblent pas avoir traité cette question avant saint Augustin. L’évêque dllippone partagea tout d’abord l’opinion des Pères grecs. « Soyons sans crainte, dit-il, quelques années après sa conversion ; il y aura place pour une vie intermédiaire entre la vertu et le péché, pour une sentence intermédiaire entre la récompense et le châtiment. » De liber, arbitr., 1. III, c. cxxiii, P. L., t. xxxii, col. 1304. Mais, plus tard, quand il eut à combattre le pélagianisme, les nécessités de la polémique l’amenèrent à changer d’opinion. Nous avons vu plus haut l’abus que faisaient les pélagiens du texte.IndomoPalris mei mansiones multx

sunt, et la distinction arbitraire qu’ils avaient imaginée entre le royaume des cieux et la vie éternelle. Saint Augustin n’eut pas de peine à réfuter ces arguties, et à démontrer que les enfants morts sans baptême sont exclus de la béatitude proprement dite, c’est-à-dire de la vision de Dieu. C’était la doctrine traditionnelle de l’Église. Mais, non content de faire cette démonstration, il crut devoir aller plus loin, sans doute pour ruiner jusqu’à la base l’objection pélagienne. Il nia résolument l’existence de tout lieu intermédiaire entre l’enfer et le ciel, après le jugement général. Et c’est alors qu’il employa l’argument biblique de la sentence du jugement dernier. Voir plus haut. De peccat. merit., 1. III, c. iv, P. L., t. xux, col. 189 ; 1. I, c. xxviii, col. 140 ; De anima, 1. I, c. ix, P. L., t. xliv, col. 481 ; 1. II, c. xii, col. 505. Le concile de Milève, dont nous avons parlé déjà, a-t-il également soutenu cette doctrine ? On serait tenté de le croire au premier abord, à cause de la similitude de ses formules avec celles de saint Augustin. Mais il faut remarquer que la négation du concile, en ce qui concerne l’existence d’un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer, est exactement calquée sur l’affirmation des pélagiens. Or ceux-ci, d’après le concile lui-même, enseignaient que les enfants morts sans baptême jouissaient de la béatitude pure et simple, c’est-à-dire surnaturelle, dans un lieu distinct du royaume des cieux. C’est précisément ce que nie le concile, en rejetant ce lieu imaginaire inventé par les pélagiens, et en refusant tout bonheur surnaturel aux enfants non baptisés. Le texte ajoute, il est vrai, ces paroles, qui semblent être un écho au moins indirect de la doctrine augustinienne : Quis catholicus dubitet participem fieri diaboli cum qui cohæres esse non meruit Christi" ? Qui enim dextra caret sinistram procul dubio incurret. Denzinger, Enchiridion, n. 66. Nous ferons d’abord remarquer que plusieurs critiques contestent l’authenticité de ce canon, qui est absent de la plupart des manuscrits. Voir Milève (Conciles de). Mais fût-il authentique, il ne serait pas un argument décisif pour la doctrine de saint Augustin. Le texte, en effet, ne parle ni de tourments, ni de flammes, ni de douleurs. Il établit, il est vrai, une association entre le démon et les enfants non baptisés. Mais rien ne prouve que cette association soit universelle et absolue. Elle peut très bien être partielle et relative, et ne porter que sur la commune privation de la vision béatifique, ce qui suffit amplement pour les associer au même malheur.

Au reste, saint Augustin lui-même sentait si bien les difficultés soulevées par son opinion, qu’il avoue, à plusieurs reprises, ses anxiétés et ses incertitudes. Cum ad pœnas ventum est parvulorum, magnis, mihi crede, coarctor angustiis nec quid respondeam prorsus invenio. Epist., clxvi, c. vii, P. L., t. xxxiii, col. 727. Ailleurs, il se déclare impuissant à dire la nature et l’intensité des peines endurées par les enfants non baptisés ; et il n’ose pas décider si l’existence est pour eux préférable au néant. Quis dubitaverit parvulos non baplizatos, qui solum habent originale peccatum nec ullis propriis aggravantur, in damnalione omnium levissimafuturosf Quse, qualis et quanta erit, quamvis definire non possim, non tamen audeo dicere, quod Us, ut nulli essent, quam ut ibi [in damnalione levissima essent, potius expediret. Cont. Julian., 1. V, c. xi, P.L., t. xliv, col. 809. Il répète souvent que cette peine, en tout cas, est omnium mitissima. Voir De peccat. merit., I. I, c. xvi, P. L., t. xlix, col. 120 ; Enchiridion, c. xciii, P. L., t. xl, col. 275. Cf. t. i, col. 2397.

L’opinion de saint Augustin paraît aussi avoir été celle de saint Jérôme, Dialog. adv. Pelag., 1. III, n. 17, P. L., t. xxiii, col. 587. D’autres Pères l’ont suivie, notamment S. Fulgence, De incarn. et grat., c. xiv, xxx, P. L., t. lxv, col. 581, 590 ; De fide ad Petr., c. xxvii, col. 701 ; S. Avit de Vienne, Carm. ad Fusein., P. L., t. lix, col. 370 ; S. Grégoire le Grand, Moral., 1. IX, c. xxi,