désastreuses pour l’Église catholique elle-rrtême dont le passé tout entier proteste contre les persécuteurs et dont l’apostolat deviendrait impossible dans les régions infidèles, si l’on y connaissait son esprit d’intolérance. De toutes les raisons qu’on allègue pour justifier cette interprétation, aucune ne tient debout. La violence, dit-on, peut amener à la réflexion des esprits opiniâtres, rebelles à toute autre influence ; Dieu du moins peut se servir de ce moyen pour toucher les cœurs : la loi mosaïque autorisait l’emploi de ce procédé et les princes protestants n’ont pas hésité à s’en servir. La violence, répond Bayle, n’est pas le vrai moyen d’éclairer les intelligences égarées ; son peu d’efficacité montre que Dieu se refuse à l’utiliser ; tolérée sous l’ancienne loi, mais rarement appliquée, elle ne servait que contre ceux qui bouleversaient jusqu’aux fondements de la loi mosaïque ; ce que les princes protestants persécutent dans le catholicisme, ce n’est pas sa fausseté, mais son intolérance. Si cette politique permet aux sectes les plus bizarres de naître et de se multiplier à l’infini, mieux vaut encourir « cette énorme bigarrure des sectes, défigurant la religion que les massacres, les gibets, les dragonneries et toutes les cruelles exécutions au moyen de quoi l’Église romaine a tâché de conserver l’unité sans pouvoir y réussir » . IIe part., c. VI. Qu’on laisse chacun à sa conscience, même s’il se trompe ; la conscience erronée qui se croit dans la vérité a les mêmes droits que la conscience orthodoxe. La III partie de l’ouvrage est consacrée tout entière à l’examen de la lettre de saint Augustin à l’évêque donatiste de Carthage Vincentius. Epist., xciii, P. L., t. xxxiii, col. 321. Le saint docteur y expose ses vues sur la répression de l’hérésie et les motifs qui expliquent et justifient l’intervention du pouvoir impérial en ces matières. Saint Augustin, qui connaît bien les droits de la vérité, ne soupçonne pas les droits de la conscience errante et raisonne en conséquence. Bayle suit pied à pied son argumentation, la critique d’après ses principes et trouve que l’évêque d’Hippone raisonne d’une manière pitoyable. Or, en ce moment même, Jurieu raisonnait comme saint Augustin et, dans son Traité des droits des deux souverains en matière de religion, Rotterdam, 1687, il affirmait que les princes doivent soutenir la vérité et combattre l’erreur et les sectes, que vouloir le nier est une extrémité si vicieuse qu’elle en est folle ; que la théorie des prétendus droits de la conscience errante est un acheminement vers le déisme. Une courte préface au Supplément du commentaire philosophique, in-12, Hambourg, 1688, contient la réponse de Bayle : il n’a fait que tirer les conséquences nécessaires d’un principe incontestable ; les protestants ne peuvent le renier sans se condamner eux-mêmes et Jurieu lui-même l’a formulé expressément dans son Vrai système de l’Église. Le Supplément du commentaire philosophique doit fournir une démonstration plus rigoureuse de ce principe et « achever de ruiner la seule échappatoire qui restait aux adversaires en démontrant le droit égal des hérétiques pour persécuter à celui des orthodoxes. »
Faut-il attribuer à Bayle le fameux Avis important aux réfugiés sur leur prochain retour en France, donné pour étrennes à l’un d’eux en 1690, par Monsieur C. L. A. A. P. D. P., in-12, Botterdam, 1690 ? Le mystérieux auteur de cet avis reproche vivement aux réfugiés français leurs libelles satiriques qui ne respectent rien et leurs écrits séditieux, où l’on exalte la souveraineté du peuple au mépris des droits du prince ; il les avertit qu’avant de songer à rentrer en France, ils devront s’astreindre à une quarantaine morale et purifier leur esprit des erreurs qui l’infectent. Jurieu crut reconnaître en ce libelle l’œuvre de Bayle et l’accusa ouvertement d’en être l’auteur ; il soutint même que Bayle trahissait la cause protestante et cabalait contre les réformés avec quelques autres complices à la solde
du roi de France. Bayle se prétendit calomnié et publia pour sa défense de nombreux opuscules dont les plus importants sont : La cabale chimérique ou la Réfutation de l’histoire fabuleuse et des calomnies que M. Jurieu vient de publier, etc., in-12, Rotterdam, 1691, et la Chimère de la cabale de Rotterdam démontrée par les prétendues convictions que leSr. Jurieu a publiées contre M. Bayle, Amsterdam, 1691. De Bayle ou de Jurieu, qui doit-on croire ? La question, autrefois discutée, reste encore douteuse. Cf. Realencyklopadie fur protestantische Théologie und Kirche, art. Bayle.
Jurieu ne cessait de reprocher à Bayle son indifférence et son athéisme ; las sans doute de se défendre, celui-ci prit l’offensive et publia, sous le titre de Janua cselorum reserata cunctis religionibus a celebri adrnodum viro D. P. Jurieu, in-4°, Botterdam, 1692, des remarques sur le fameux ouvrage de son adversaire, le Vrai système de l’Église. Il démontre, avec une logique rigoureuse, que les principes de son irréconciliable ennemi aboutissent nécessairement à un indifférentisme absolu. S’il est vrai, dit-il, que la véritable Église est universellement répandue et qu’elle se compose de toutes les sociétés qui n’ont pas erré in fundamentalibus, comme les sociétés protestantes ne peuvent prétendre au monopole de l’orlhodoxie, puisqu’elles ne possèdent pas à elles seules l’extension qui convient à la véritable Église, elles doivent nécessairement accepter comme orthodoxes d’autres sociétés chrétiennes. Mais lesquelles ? Les Églises schismatiques orientales, sans doute. Mais reconnaître les Grecs pour membres de la véritable Église, c’est s’obliger à reconnaître aussi comme tels les catholiques romains dont la foi est à peu près la même. On leur reproche comme une idolâtrie le culte qu’ils rendent à l’eucharistie et aux saints ; mais la bonne foi peut les excuser devant Dieu. Si l’on accepte comme orthodoxe l’Église romaine, il faudra, pour les mêmes raisons, accepter non seulement toutes les sectes chrétiennes, mais encore les sectes juives, musulmanes, et toutes les autres, fussent-elles polythéistes. A première vue, cette affirmation semble n’être qu’un paradoxe, car il n’y a rien de commun entre le christianisme et le paganisme. Mais entre ces deux extrêmes, il existe une série de sectes intermédiaires si voisines qu’elles paraissent se confondre, si multipliées que, les divergences s’accumulanl entre les premières et les dernières, il y a un abîme infranchissable. Et puisqu’il est impossible de dire quelles religions sont substantiellement fausses, il faut admettre que toutes conduisent au ciel et placer au-dessus des portes de la céleste cité cette engageante inscription :
Porta patens esto, nulli claudatur Iwnesto.
Jurieu fut extrêmement mortifié des critiques de Bayle r mais il n’y fit aucune réponse directe et il alfecla de les ignorer. Continuant la lutte sur un autre terrain, il dénonça son adversaire au consistoire flamand, rappela les théories impies émises dans le livre sur la comète, et finalement réussit à lui faire enlever sa charge de professeur, sa pension et jusqu’au droit d’enseigner. Bayle accepta philosophiquement cette disgrâce qui lui créait des loisirs, et, tout en continuant contre Jurieu sa polémique tantôt offensive tantôt défensive, il se donna tout entier à la composition du plus important de ses ouvrages, le Dictionnaire historique et critique, dont le premier volume parut en 1695, le second en 1697, à Botterdam, in-fol. ; 2e édit., Botterdam, 1792.
Bayle touche à toutes sortes de questions dans cette vaste encyclopédie : questions d’histoire sacrée ou profane, ancienne ou moderne, questions de critique littéraire ou philosophique, de théologie et de mythologie, suggérées par le nom des écrivains dont ii s’occupe. Mais l’étonnante érudition avec laquelle il traite des sujets si divers ne peut faire oublier l’extrême liberté de