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BEATITUDE

Boècc.

Le livre III du De consolatiane plnlosophica,

P. L., t. lxiii, est un monument littéraire élevé à la gloire de la vraie béatitude. Le philosophe passe sans cesse du ton de la dissertation à celui de l’enthousiasme poétique. Le « mètre » succède à la « prose » . On ne peut analyser sans le déllorer ce chef-d’œuvre que les scolasliques et spécialement saint Thomas ont mis largement à contribution dans leurs traités de la béatitude. Voici cependant la suite des idées principales :

1. Définition de la béatitude : status bonorum omnium congregatione perfectus, col. 724. La première condition de la félicité, c’est de rejeter les faux biens. Le désir du vrai bien est inné chez tous les hommes, mais beaucoup le mettent là où il n’est pas. Prosa il’, col. 723 ; metrurn ii, col. 728. Procès de ces iaux biens : richesses, prosa m a, metrurn iii, 731-735, honneurs, prosa IV, col. 735-739, pouvoir, prosa v a, col. 739-744, gloire, prosa VI » , col. 745-766, plaisirs, prosa vil » , col. 750. Conclusion de la discussion (prosa vin a, metrurn viii, col. 752) : « On cherche sur la terre les choses terrestres, les êtres aquatiques dans l’eau, les oiseaux dans l’air, … le lieu du souverain bien n’est pas ici-bas. » Les propriétés du souverain bien sont telles que lorsqu’on les attribue à des biens inférieurs, on se trompe fatalement. Trosa ix a, col. 754.

2. Prière au créateur pour qu’il fasse connaître le lieu du vrai bonheur. Metr., ix, col. 758. Recherche du vrai bonheur ; la démonstration qui y mène : l’imparfait suppose le parfait, le bien imparfait exige le bien souverain. Prosa x a, col. 764. Ce bien ne peut être que Dieu, car Dieu est le bien par soi, auquel tous les biens se réfèrent. Ibitl., col. 765, 769. Il est le seul bien que tout désire et la fin de toutes choses. Prosa et metrurn xi, col. 770, 776. Tout se tourne vers lui et rien ne peut lui résister. Prosa xii a, col. 777, 782. Mètre final et conclusion : ne pas regarder en arrière :

Félix qui potuit Boni

Fontem visere lucidum…

Orpheus Euridicen suam

Vidit, perdidit, occidit.

Vos hoec tabula respicit

Quicumque in superum diem

Mentem ducere quæritis.

Pierre Lombard.

Dans son étude sur La philosophie

de Pierre Lombard et sa place dans le XIP siècle, le docteur J. N. Espenberger consacre trois pages à la doctrine de la béatitude d’après ce théologien. On n’y trouvera pas de différence sensible avec la doctrine de saint Augustin touchant le frui et Vuti. Voir plus haut. Par contre, l’exposé de M. Espenberger est appuyé sur de nombreux textes de saint Augustin tirés des quatre livres des Sentences qui forment comme une petite somme lombarde de la question. M. Espenberger fait remarquer une particularité de la doctrine de Pierre Lombard en ce qui regarde le bonheur de la vertu. Pierre Lombard essaie de concilier sur ce sujet la doctrine de saint Augustin, regardant la vertu comme un instrument de la béatitude parfaite, et celle de saint Ambroise, plus rapprochée du stoïcisme, qui, appuyée sur la doctrine apostolique regardant certaines vertus connue des fruits, Gal., v, 22, les considérait comme objet par soi de jouissance. La conciliation consiste en ce que les vertus peuvent être considérées comme objets de jouissance valables en soi, sans être pour cela des objets derniers, des fins ultimes. Celte solution est évidemment selon l’esprit de saint Augustin, qui n’avait entendu combattre que la doctrine stoïque niellant la fin ultime dans la force de caractère. Voir plus haut, s.iini Augustin développe une solution analogue pour la licéité de la jouissance que l’on trouve dans le commerce des hommes.

Pierre Lombard, Sent., I’. i. disl i, P. L., t. cxcii, col. 528> 525 ; 1. IV, dist. XXIX, ibld., col. 958 f’our les autres textes : 3.

N. Espenberger, Die Philosophie des Peints Lombard us…. Munster, 1901 (collection des Beitrâge zur Uesch. der Phil. des Mittelalters).

Scolastiques antérieurs à saint Thomas.

Nous

passons directement de Pierre Lombard à saint Thomas d’Aquin, non pas que l’époque intermédiaire manque d’intérêt. On trouve en particulier, soit chez les théologiens originaux comme saint Bernard, Hugues et Richard de Saint-Victor, P. L., tables, t. clxxxv, clxxvi, ci.xxvii, CXCvi, soit chez les commentateurs de Pierre Lombard, comme saint Bonaventure. IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, et Albert le Grand, ibid., Ethica, I, x, les idées directrices des doctrines postérieures et de leurs diverses orientations. Mais, ce serait à des monographies spéciales comme celles d’Espenberger sur Pierre Lombard qu’appartiendrait de développer l’idée de la béatitude chez ces auteurs ; et ces monographies n’existent pas ou sont très imparfaites. Pour saint Bonaventure en particulier, rien ne serait désormais plus aisé, grâce aux deux Index qui terminent l’édition de Quaracchi, 1902, t. ix, X, aux mots Beatitudo, Félicitas. Saint Thomas, du reste, a rejoint directement, en passant par-dessus ses prédécesseurs immédiats, les représentants principaux de la tradition théologique et philosophique dont son traité de la béatitude développe et systématise les doctrines.

III. Saint Thomas d’Aquin. —1° Souires. — La doctrine de saint Thomas d’Aquin sur la béatitude humaine est exposée d’une manière complète et définitive dans la Somme théologique, I a II", q. i-v. Les lieux parallèles principaux sont : Contra gentes, 1. III, c. xvi-lxiii ; In 1 V Sent., 1. III, dist. XXVII ; 1. IV, dist. XLIX ; In /et X Ethic. ; Compendium theologise, ccxlix, cl, etc. On trouvera les références de détail sous les titres des articles de la Somme théologique (édition léonine de préférence).

Les sources principales du traité de saint Thomas sont les livres I et X de V Éthique à Nicomaque, les œuvres de saint Augustin, spécialement De Trinitate, De dociHna christiana, De civitate Dei, Liber lxxxiii quwstionu » i, les Confessions, les Lettres, etc., le IIP livre De consolalione philosophiea de Boèce. Il faut ajouter de nombreuses citations de la sainte Ecriture et des ouvrages d’Aristote qui, par leur entrelacement, constituent en quelque sorte le tissu du traité.

Exposé.

1. Comme Aristote, saint Thomas,

Simi. theol., I a II a q. i-v, dégage la question du souverain bien de l’homme de la question du bien en soi qu’il a étudiée. Ibid., I a, q. v. Voir plus haut. L’idée de la béatitude est rattachée, dès la question première, à la doctrine de la cause finale, mais envisagée en regard de l’agent humain, maître de ses actions par le libre arbitre, faculté volontaire et rationnelle. L’homme, nécessairement agit pour une fin, et celle fin a raison de bien (q. I, a. 1). Ce qu’il y a de caractéristique dans ce mou, vementde l’homme vers le bien, c’est qu’il est autonome et non passif comme chez les animaux. I.’homme se meut de lui-même vers sa fin (a. 2). fin tant qu’il connail et veut la liii, et donc en connaissance de cause, il détermine son action, qui dans sa racine même se trouve spécifiée par la raison de lin. L’acte ainsi accompli est l’acte moral (a. 3). Non seulement l’homme agit toujours pour une tin, mais il agit toujours pour une fin ultime, autrement son action se perdrait dans l’indéfini, n’ayant pas de point d’appui premier (doctrine des causes premières d’Aristote) (a. 4). lit cette fin ultime est unique pour chaque individu humain : c’est le bien qui le parfait et le complète (a. 5). C’est vers ce bien que tendent toutes les actions de l’homme sans exception (a, 6). El il est le

même pour Ions les lu nés, encore que chacun puisse

le placer dans un bien concret différent la. 71. Nous retrouvons dans ces deux derniers articles l’idée angustinienne de la détermination de la béatitude vis-à-vis de la

VOlonté-naturC et non vis-à-vis des volontés individuelles.