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BEATITUDE


philosophe : « Nous parlons du bonheur qui convient à des hommes. » — La quatrième est le secours divin, car la vision de l’essence divine dépasse la nature de toute créature : la nécessité de ce secours n’est pas I d’ailleurs pour l’homme une déchéance, car « ce que. nous pouvons par nos amis nous le pouvons en quelque sorte par nous-mêmes » , et il est plus parfait d’acquérir un meilleur bien par le secours d’autrui, que d’ei. rester, avec ses propres forces, à un bien d’ordre inférieur (a. 5). D’ailleurs Dieu seul peut conférer ce secours, la vision de la divine essence étant excl" vivement de son ressort. Les anges ne peuvent que concourir à certaines disposilions préliminaires à la béatitude, aux actes de vertu par exemple, car eux-mêmes doivent emprunter au secours divin la force de réaliser leur béatitude surnaturelle (a. 6). — Les bonnes actions sont la cinquième condition de l’acquisition de la béatitude, condition très relative, car Dieu pourrait réaliser d’un même coup la tendance et son terme. Mais il est dans l’ordre que l’homme, auquel n’appartient pas naturellement comme à Dieu la béatitude parfaite, y tende par le mouvement successif qui est sa loi et donc par l’exercice des vertus. A rencontre de l’ange, qui, suivant l’instantanéité de son mode d’agir, l’a obtenue par un seul acte méritoire. L’âme du Christ, rectiliée naturellement en vertu de l’union hypostatique, n’a pas eu besoin de cet acte pour être béatifiée dès le premier instant de la conception du Christ, et c’est en vertu de ses mérites que les enfants baptisés sont béatifiés. La loi du mérite, entendu comme disposition préliminaire à la béatitude, est donc une loi universelle des êtres créés (a. 7). — Ces cinq conditions d’adaptation à la béatitude parfaite : capacité radicale, disposilions individuelles créant l’inégalité de réception, rupture des liens de la chair, grâce, bonnes œuvres, semblent se heurter à l’obstacle de l’ignorance où sont certains hommes vis-à-vis de la béatitude parfaite et, conséquemment, à leur neutralité. D’où la portée de l’article 8 et dernier du traité, où l’on distingue le désir de l’objet explicite où est renfermée notre béatitude parfaite, le désir de Dieu, de son désir implicite, contenu dans l’appétit du bien parfait en général. Ce dernier seul est requis pour fonder la capacité radicale et amorcer ces conditions efficaces d’adaptation à notre objet dernier, qui sont l’œuvre de la grâce. D’un mot, tout homme, comme tel. en dépit de son ignorance du véritable objet de la béatitude, aspire à la béatitude (a. 8).

Albert de Bergame, Tabula aurea, aux mots Beatitudo, Felicilas ; Sclnitz, Thomas Lcj-icvn, ï’édit., Padcrborn, 1894, aux mêmes mots.

VI. Théologiens scolastiques.

La synthèse thomiste de la béatitude permet de grouper les opinions qui se sont fait jour chez les scolastiques postérieurs, soit pour contredire, soit pour confirmer certains points de cette synthèse. Ce travail a été fait par les Salmanticenses et poussé par eux jusqu’à ses derniers détails. Étant les derniers des grands scolastiques, et leur but avoué étant de dresser une encyclopédie critique de toutes les opinions avancées, nous n’avons qu’à renvoyer à leur œuvre. Cursus théologiens, tr. VIII, IX, Paris, 1878, t. v. L’index rerum notabilium de ce volume contient au mot Beatitmlo et au mot Finis un remarquable résumé de la doctrine thomiste.

Nous noterons seulement les principales controverses intéressant la notion de béatitude.

I" Sur la i" question de la I n II"’, Scot, conséquent à sa doctrine de la liberté, lient que l’homme dans toutes ses actions ne se propose pas une fin ultime. In IV Sent., 1. I, dist. I, q. îv ; 1. IV, dist. XLIX. q. x ; cf. Salmanticenses, loc. cit., disp. V, p. 18’t. Il y aurait donc des actions humaines, qui n’auraient pas pour objet le bonheur, procéderaient de l’arbitraire absolu delà liberté,

seraient purement indifférentes dans l’ordre rOral. 2° Sur la iie question de la Ia-IIæ, nous rencontrons d’abord l’opinion d’Henri deGand, niant que la béatitude subjective soit principalement un acte de l’âme et la mettant dans une perfection de son essence : quia in illa principalius habetur Deus qui est (inis et beatitudo quant in potentiis. Quodlibet, XIII, q. XII. Antérieurement à la publication de la Somme, saint Bonaventure la partage entre les actes et les habitus dont ils procèdent. In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, part. I, q. I, Quaracchi, t. iv, p. 100. Pour lui la béatitude, dans son essence, résultede plusieurs actes. Cette opinion éclectique a fait école. Tolet, Valentia et Suarez, De beatit., disp. VII, sect. ï, la professent. Cette opinion ne semble cependant pas toucher au point de la difficulté qui est de savoir par quel acte principalement le bien est possédé, en sorte que les autres actes ne soient que des conséquences et des compléments, concourant non à l’essence, mais à l’intégrité du premier.

3° Plus ad rem est l’opinion célèbre de Scot qui attribue à la volonté le pouvoir béatilicateur, fondée principalement sur cet axiome que lorsqu’il s’agit de possession du bien c’est à la puissance qui regarde expressément le bien, c’est à la volonté d’en connaître. A cela les thomistes ont opposé, avec leur docteur, que l’on pouvait connaître d’une chose en deux manières, par soi, ou par une puissance humaine sœur et mieux appropriée, — que, dans l’espèce, toute volonté étant ou désir de posséder le bien ou jouissance du bien possédé, se référait à un acte postérieur ou antérieur ou par lequel était réalisée, à proprement parler, la possession du bien, que cet acte est l’acte d’appréhension intellectuelle, lequel s’intercale entre le désir et la jouissance, toute jouissance étant conséquente à une intellection, que par l’intellection l’être intellectuel entrait vraiment en possession du bien d’une manière conforme à sa nature et d’ailleurs conforme à la nature du bien divin, bien essentiellement d’ordre intellectuel, étant la pensée de la pensée, que Dieu était là saisi dans ce qu’il a de plus actuel, partant de plus intime, et aussi de la manière la plus intime, puisque l’intelligence, puissance passive, réalise son acte par l’entrée en soi des objets, tandis que la volonté se porte sur eux comme sur une réalité extérieure. Les scotistes ont répondu surtout en atténuant la position de Scot pour la rapprocher de celle de saint Thomas, en montrant que leur docteur n’avait jamais entendu nier la nécessité de la vision comme acte préparatoire et initial de la béatitude. — A quoi les thomistes ont répliqué que c’est la jouissance qui est une conséquence et un complément et que lorsqu’elle intervient, l’essentiel de l’acte béatificateur est accompli. Scot, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. iv, v. — Pour la conciliation : de Rada, Controversiarum th. inter S.’Thom. et Scot. IV Sent., controv. xiii, Venise, 1617, t. IV, p. 339-iOi ; Salmenticenses, loc. cit., p. 231-268 ; Harnack, Lehrbuchder Dogmengeschichte, t. iii, p. 400 ; cf. notre article : Les ressources du vouloir, dans la Revue thomiste, 1899, p. 447.

4° Sur l’article 8 de la iiie question, nous rencontrons un nouveau dissentiment entre Scot et saint Thomas, au sujet de la portée du désir naturel de voir Dieu, qui sert au saint docteur à étayer sa thèse de la béatitude résidant dans la vision de l’essence divine. Nous avons exposé ailleurs ce débat. Voir Appétit, t. ï, col. 1098. Scot, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIX, q. VI1IJ 1. I, prolog., q. ï ; de Rada, op. cit., controv. ï, t. ï ; controv. xiii, t. îv ; Salmanticenses, op. cit., De visione Dei, tr. I, disp. I, t. ï ; tr. IX, disp. 1, q. ni, a. 8, t. v, p. 270.

T>" Sur les iv c et v’questions, nous rencontrons d’abord la continuation du débat précédent louchant le rôle de la jouissance dans la béatitude, puis les controverses relatives aux attributs des âmes et des corps de bienheu-