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BELLARMIN


pontificat qu’il ne le déposerait lui-même. Ibid., c. xxx ; De potestate summi pontifiais in temporalibus, c. xxii, t. Vil, col. 939.

En vertu de sa juridiction souveraine, le pape a sur tous les chrétiens un véritable pouvoir dans l’ordre spirituel, comme les princes sur leurs sujets, dans l’ordre temporel. Il peut faire des lois qui obligent en conscience, condamner et punir les transgresseurs de ces lois. De romatw pontif., 1. IV, c. xv sq. Son pouvoir coactif s’étend aux peines corporelles, même à la peine de mort, en droit du moins. Responsio ad anonyoïi epistolam, prop. 1 ; Responsio ad oppositiones f. Pauli, consid. ll a, t. vii, col. 1039, 1157 sq. Bellarmin traite, au cours des Controverses, des principales applications du pouvoir pontifical : jugement des causes majeures, en particulier des appels ; convocation et présidence des conciles ; élection ou confirmation des évêques ; canonisation des saints ; approbation des ordres religieux ; dispensation des indulgences, etc. Mais quelle que soit l’étendue de ce pouvoir, on fausse la doctrine du cardinal quand on lui fait dire, dans la Grande encyclopédie, que le pape « est un monarque absolu, auquel une obéissnnce inconditionnelle est due » . C’est abuser d’une preuve ab absurdo, dont se sert l’auteur des Controverses, De romano pontif., 1. IV, c. v, et dont il a compris lui-même l’équivoque, puisqu’il s’est expliqué dans le passage correspondant de la Recognitio : il affirme qu’en cas de doute la présomption est pour le supérieur qui parle ou commande, mais « si un pape enjoignait ce qui est vice manifeste ou proscrivait ce qui est vertu manifeste, on devrait dire avec saint Pierre, Act., v, 29 : Il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes » . Cf. Responsio ad tract, septem theologorum, prop. 12, t. vii, col. 1101.

Une autre conséquence de la primauté pontificale qu’il suffit de signaler, est le privilège de l’exemption, qui est de droit divin pour le vicaire du Christ. De potestate summi pontificis in temvoralibus, c. xxxiv, t. vii, col. 972. Si, au début de l’Église, les souverains pontifes comme les apôtres nous apparaissent soumis aux pouvoirs civils, on ne peut en conclure au droit, mais seulement au fait. Recognitio, de summo pontif., 1. II, c. xxix. Le pouvoir temporel du pape ne relève pas des mêmes principes ; il se rattache, dans son origine, à la piété des princes et repose sur une nécessité d’ordre moral. De romano pontif., 1. V, c. ix. Bellarmin s’est expliqué d’une façon défavorable à la donation de Constantin dans une lettre au cardinal Baronius, du 9 avril 1607 ; elle a été publiée par Lsemmer, op. cit., p. 364 sq.

Pouvoir indirect du pape sur le temporel.

Il

importe de déterminer exactement ce que Bellarmin entend par ce pouvoir, quel objet il lui attribue et sur quels fondements il l’appuie. D’après la définition donnée dans Recognitio, de summo pontifice, 1. V, c. vi, il faut entendre le pouvoir que le souverain pontife possède sur les choses temporelles in ordinead spiritualia, en vue des choses spirituelles, qui seules tombent proprement et pour elles-mêmes sous sa juridiction. Les mots direct et indirect ne s’appliquent pas précisément au mode dont le pouvoir s’acquiert ; ils en visent l’objet considéré dans son rapport avec le pouvoir lui-même, lequel, atteignant proprement et premièrement les choses spirituelles, ne s’étend aux choses temporelles que secondairement et par voie de conséquence. De potestate summi pontificis in temporalibus, c. v, xii, t. Vil, col. 867, 901. La comparaison, empruntée par le cardinal à saint Grégoire de Nazianze, éclaire bien sa pensée. Le pouvoir spirituel est au pouvoir temporel ce que, dans l’homme, l’esprit est à la chair. Semblables à deux sociétés qui ont leurs fins propres et leurs fonctions spéciales, l’esprit et la chair peuvent se trouver dans un double état, de séparation ou d’union mutuelle.

Qu’on les suppose unis, il y aura nécessairement connexion et subordination entre les deux éléments. L’esprit n’empêchera pas la chair d’exercer ses fonctions naturelles et de tendre à sa fin particulière ; mais, élément plus noble, il présidera et, s’il est nécessaire, réfrénera et châtiera la chair, lui imposera même de grands sacrifices, dans la mesure où sa propre fin l’exigera. L’application aux deux pouvoirs, le spirituel et le temporel, se comprend aisément. De romano pontif., 1. V, c. VI.

L’auteur des Controverses détermine au même endroit l’objet du pouvoir indirect. D’une façon régulière et comme en vertu d’une juridiction ordinaire, le souverain pontife ne peut pas déposer les rois, même pour un juste motif, comme il dépose les évêques ; il ne peut pas faire des lois civiles, ni confirmer ou annuler celles qui ont été portées par l’autorité compétente ; il ne peut pas juger des choses temporelles. Mais il peut faire tous ces actes par voie d’intervention spéciale, quand le salut des âmes l’exige et dans la mesure même où il l’exige. L’exercice de ce redoutable pouvoir a, du reste, ses règles et ses limites. S’agit-il, par exemple, de transférer l’autorité civile, « il n’est pas loisible au souverain pontife d’en disposer à sa guise, il doit la faire passer à celui que le droit de succession ou d’élection appelle au trône ; personne n’ayant droit, la raison guidera son choix. » De potestate summi pontificis, c. XII, t. vii, col. 901. Le pape n’en viendra que lentement et comme malgré lui aux dernières extrémités à l’égard des princes : « L’usage des souverains pontifes est d’employer d’abord la correction paternelle, ensuite de les priver de la participation aux sacrements par les censures ecclésiastiques, et enfin de délier leurs sujets du serment de fidélité et de les dépouiller eux-mêmes de toute dignité et de toute autorité royale, si le cas l’exige. L’exécution appartient à d’autres. » Ibid., c. vii, col. 87(3. Inutile de se forger des craintes chimériques sur les dangers que pourrait courir la vie des rois : « On n’a jamais entendu dire, en effet, que, depuis le commencement de l’Église jusqu’à nos jours, aucun souverain pontife ait fait mettre à mort, ou approuvé que d’autres missent à mort un prince quelconque, fùt-il hérétique, fût-il païen, fùt-il persécuteur. » Epist. ad Rlackvellum, t. vii, col. 662.

Bellarmin soutient sa thèse non comme une opinion nouvelle ou simplement probable, mais comme une doctrine ancienne et certaine. De romano pontif., 1. V, c. i ; De potestate summi pontificis, c. m. Il l’appuie sur des raisonnements théologiques et sur des faits d’ordre historique et juridique. Les faits nous sont déjà connus : actes pontificaux atteignant le temporel, comme la translation dé l’empire romain des Grecs aux Francs, et de ceux-ci aux Germains, puis divers cas où des rois ont été déposés par des papes, ceux surtout où la déposition s’est faite dans des conciles généraux, comme celle d’Othon IV sous Innocent III au concile de Latran en 1215 et celle de Frédéric II sous Innocent IV au concile de Lyon en 121-5. En principe, le pouvoir indirect du pape sur le temporel est, pour le cardinal, une simple conséquence de deux vérités dogmatiques : d’une part, la plénitude de juridiction conférée par Jésus-Christ au souverain pontife pour mener les âmes au salut éternel ; d’autre part, la subordination de la fin temporelle du pouvoir civil à la fin spirituelle de l’Église. Les deux sociétés sont, à la vérité, distinctes et parfaites, chacune dans sa sphère ; mais il ne s’ensuit pas, comme le prétendait Barclay, qu’elles soient totalement indépendantes, car si les fins sont subordonnées, il en doit être de même des pouvoirs. Si donc le pouvoir civil devient un obstacle au salut des âmes, il appartient au pouvoir spirituel d’apporter le remède. De là vient que, dans la décrétale Novit, Innocent III revendique le droit et le devoir de s’opposer aux crimes et aux scandales des