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BERNARD (SAINT)

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critiques sont d’accord sur ce point. Mais nombre de protestants ont essayé de prouver que Bernard, poussant plus loin que saint Augustin et que les docteurs du moyen âge l’examen de la doctrine paulinienne de la prédestination, avait, le premier, formulé la théorie calviniste de la justification par la non-imputation des péchés, et la théorie luthérienne du salut par la foi. Examinons les principaux textes qui ont donné lieu à cette interprétation abusive. « Celui-là. disait un jour Bernard à ses moines, est vraiment bienheureux à qui Dieu n’a pas imputé son péché. Car qui n’a pas eu de péché ? Personne ; tous ont pi ché et tous ont besoin de la gloire de Dieu. Cependant qui portera une accusation contre les élus de Dieu ? Pour toute justice il me suffit que celui-là seul me soit propice, contre qui seul j’ai péché. Tout ce qu’il aura décidé de ne pas m’imputer, est comme s’il n’avait jamais été. Ne pas pécher, c’est la justice de Dieu ; la justice de l’homme n’est autre chose que l’indulgence de Dieu. J’ai vu cela et j’ai compris la vérité de cette proposition : Tout homme qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que son origine céleste le préserve. L’origine cleste, la génération céleste, c’est la prédestination éternelle, par laquelle Dieu a aimé ses élus et les a gratifiés dans son Fils bien-aimé avant la constitution du monde, les plaçant en quelque sorte dans le Saint (des Saints) devant lui, alin qu’ils voient sa puissance et sa gloire et partagent l’héritage de celui dont ils reproduisent l’image et la ressemblance..T’ai remarqué que ceux-là étaient comme s’ils n’avaient jamais péché, parce que bien qu’ils paraissent avoir péché dans le temps, ils ne le paraissent plus dans l’éternité, car la charité de leur Père a couvert la multitude de leurs pèches. » In Canlica, serm. xxiii, n. 15, P. L., t. clxxxiii, col. 892.

A première vue, il semble vraiment que ce texte donne raison à ceux qui ont regardé l’abbé de Clairvaux comme un « précurseur du protestantisme » . Neander, Der heilige Bernhard umi sein Zeitalter, édit. Deutsch, Gotha, 1889, t. i, p. 193. Cf. Ritschl, Die christliche Lettre von der Rechtfertigung und Versohnung, t. i, c. ni, sect. xvii. Mais ce n’est là qu’une apparence trompeuse, qui provient des textes mêmes ou plutôt de certaines expressions bibliques que Bernard se proposait d’expliquer : Beatus vir cui non impulabit Dominus peccatum, Ps. xxxi, 2 ; Omnis quinatus est ex Deo, non peccat, quia generalio cealestis serval cum, I Joa., ni, 9 ; Chantas cooperit multitudinem peccatoruni. I Pet., IV, 8. Les mots non imputabit, generalio cxlestis, cooperit, sont ici de nature à faire illusion. Mais pour bien comprendre toute la pensée de l’abbé de Clairvaux, il faut rapprocher cette page des autres endroits de ses ouvrages où il a eu l’occasion d’expliquer les mêmes expressions. De gratia et libero arbitrio, c. ix, n. 29, /’. /, ., t. ci. xxxii, col. 1016 ; De diversis, serm. iv, n. 5, 1’. L., t. clxxxiii, col. 553 ; In Septuagesim., serm. i, n. I, ibid., col. 163. C’est de la comparaison de ces textes que ressort sa doctrine authentique. Or, il est manifeste que la non-imputation des péchés n’est autre pour lui que le pardon que le pécheur obtient par la grâce sanctifiante et par l’expiation de sa faute. Il n’y a pas de péché pour le prédestiné à la vie ; qu’est-ce à dire ? Cela signilie que le prédestiné, s’il pèche, « ne persévère pas dans le péché, » soit qu’il « l’expie par une pénitence condigne ou qu’il le fasse disparaître dans la charité’» , ou bien encore parce que la charité dont Dieu l’enveloppe efface tout, « couvre tout, i) Bossuet disait pareillement : « Dans la gloire éternelle, les fautes des saints pénitents, couvertes de ce qu’ils « Mil fait pour les réparer, et de l’éclat infini de la divine miséricorde, ne paraissent plus, j Oraison funèbre de Condé, E1 sûrement Bossuet n’entendait par là rien accorder à la doctrine protestante, Bernard pas davantage. Il ne conçoit pas la justification du pécheur sans une qualité intérieure que donne la grâce sanctifiante. Il y a, disait-il a ce propos, deux sortes de charité, la charité substantielle et la charité accidentelle. « En Dieu la charité est substantielle, en nous elle n’est qu’un don, une qualité. » De diligendo Deo, c. xii, n. 35, P. L., t. clxxxii, col. 996. Cette doctrine est si bien la sienne, que Neander lui reproche de ne pas savoir assez s’en dégager. « Il ne distingue pas toujours assez nettement, dit-il, la justification objective (la justification par la non-imputation des péchés) de la justification subjective qustification par la grâce intérieure), et il lui arrive quelquefois de retomber dans la manière de voir des théologiens de son temps, et d’employer leur langage. » Op. cit., t. i, p. 193. Cet aveu suffit pour justifier l’abbé de Clairvaux. S’il ne se dégage pas nettement île l’opinion îles théologiens île son temps, c’est qu’il n’a pas l’intention de les contredire ; s’il emploie leur langage, c’est qu’il partage leur sentiment. Pour faire de lui un « précurseur du protestantisme » , il faudrait prouver qu’il a voulu absolument opposer la doctrine de la non-imputation des péchés à la doctrine commune de la justification par la grâce intérieure ; et c’est ce qu’on n’oserait soutenir, et en tout cas, ce qu’on ne saurait établir.

Un a cru apercevoir aussi dans les écrits de l’abbé de Clairvaux la théorie protestante qui attribue aux prédestinés l’assurance de leur salut : « Que le pécheur, écrit-il, qui a la componction, quisqids pro peccatis compunctus, et qui a faim et soif de la justice, croie en vous, Seigneur, qui justifiez l’impie, et, justifié par la foi seule, solani justip.calusperfidem, i aura la paix auprès de Dieu. » In Cantica, serm. xxii, n. 8. P. L., lac. cit., col. 881. « Quiconque, en effet, est appelé par la crainte et justifié par l’amour présume (avec raison l qu’il est du nombre des bienheureux, sachant que Dieu glorifie ceux qu’il a justifiés. Rom., viii, 29-30. Qu’est-ce à dire ? Il entend qu’il est appelé, lorsqu’il est agité par la crainte ; il sent qu’il est justifié, lorsqu’il est comblé d’amour ; et il douterait de sa glorification ! Il est initié, il est élevé, et il désespérerait du couronnement ! La foi, l’amour, la glorification, tout cela se tient ; l’un est le gage de l’autre. L’homme qui vit attaché aux choses du siècle n’a pas d’inspiration intérieure qui lui rende témoignage que la prédestination éternelle lui réserre quelque chose de bon. Mais une fois converti, il reconnaît qu’il n’est plus l’enfant de la colère, mais l’enfant de la grâce… Alors paraît à la lumière, pour la consolation du malheureux, le grand conseil qui était caché de toute éternité dans le sein de l’éternité : à savoir que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Vous avez, ô homme, comme indice de cet arcane, l’Esprit qui justifie, et par là même qui atteste à votre esprit que vous aussi vous êtes le fils de Dieu. Je reconnais le conseil de Dieu dans votre justification, car votre justification présente est tout à la fois la révélation du conseil divin et une sorte de préparation à la gloire future. Ou plutôt c’i s ! la prédestination qui est la préparation ; la justification est quelque chose de plus, c’est dé’jà une approche, un commencement : appropinquavit regnum cxlorum. Que personne donc ne doute qu’il est aimé’quand il aime. Comment 1 amour de Dieu ne suivrait-il pas notre amour, quand il l’a déjà prévenu ? Aimer Dieu, c’est un commencement de la béatitude et c’est un gage de la béatitude. » Epist., cvii. ad Thomam « V Beverla, n. 5-10, P. L., t. clxxxii, col. 245-247.

Pour voir dans ces pages la doctrine protestante de la certitude du salut chez les prédestinés, il faut une disposition d’esprit toute spéciale. Bernard recommande surtout aux âmes justes la confiance dans la prédestination au bonheur éternel, confiance qu’autorisent leur état présent et les efforts qu’elles font pour s’y maintenir. Mais il est si loin de penser qu’une âme juste ne