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BIENS ECCLÉSIASTIQUES

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Cf. Girard, op. cit., qui renvoie à L. 1, § 1, D. III, iv ; L. 20, 21, D. XXXIV, v.

Aussi, pour les jurisconsultes, la personnalité juridique n’est pas une réalité qui exigerait pour naitre une intervention extérieure, mais une simple fiction admise pour les besoins de la pratique et dans la mesure de ces besoins. Le corpus, vicem personæ sustinet, vice personæ fungitur. Tout se passe en pratique comme si une personnalité distincte des associés existait.

Le formalisme étroit de la procédure romaine exigeait (à côté de cent autres créations arbitraires) cette fiction de droit qu’on cherche depuis des siècles à faire survivre. Les jurisconsultes de l’époque classique n’affirment donc pas que l’association est une personne, mais seulement qu’elle en joue le rôle, ce qui est bien différent.

Aussi, quand l’Etat romain dissout une association comme ayant un but illicite, il partage entre les mem bres le patrimoine commun. Le jurisconsulte Marcien et l’empereur Justinien après lui ne considèrent pas que les fonds mis en commun par les membres deviennent res nullius par la dispersion de l’association. L. 3, D. XLV1I, 22.

Le droit romain, malgré les modifications tardives que lui fit subir sur ce point le despotisme impérial, ne songea donc ni à affirmer ni à nier l’évidence, ni à accorder ni à refuser l’existence juridique aux associations jouissant de l’existence physique.

Faisons l’application de ces principes à la matière qui nous occupe. L’Église existe. Il faudrait fermer les yeux à l’évidence pour pouvoir le nier. L’Etat le plus mal intentionné à l’égard de la doctrine chrétienne ne peut que constater le fait et s’incliner devant lui. La raison et l’antique droit romain, invoqué si souvent contre l’Église, se trouvent d’accord pour dicter à l’État son devoir.

i K objection. — Mais, dira-t-on, la preuve que c’est le pouvoir civil qui concède à l’Église l’existence, c’est qu’il pourrait, s’il voulait, la lui ôter. — Nous répondons que sans doute le pouvoir civil peut, par un abus de force, traiter la société des chrétiens à la façon des associations de malfaiteurs, que la société supprime pour les mettre dans l’impossibilité de nuire. Mais l’oppression ne détruit pas le droit. Tout au plus peut-elle en suspei.ure pour un temps l’exercice.

Afin d’écarter complètement cette objection spécieuse, il faut aller plus loin. L’État arrivât-il même à atteindre l’Église dans son droit à l’existence, il ne suivrait pas de là que la société’spirituelle ait reçu cette existence de celui qui la lui enlèverait. Tous les jours la loi supprime des individus dangereux ou réputés tels, leur enlève une vie qu’ils ne tiennent pas d’elle, mais de la nature.

2e objection. — Il est vrai que l’Église ne tient pas de l’État son existence physique, mais n’est-ce pas du pouvoir civil que vient à la société des chrétiens la personnalité juridique ? L’État a sous sa dépendance les associations, il est juge de leur utilité ou du danger qu’elles peuvent présenter, pour l’ordre public.

Ne nous attardons pas à démontrer que l’Etat ne peut, sans sortir de son droit et tomber dans l’arbitraire, supprimer les associations même civiles tant qu’elles ne sont pas manifestement nuisibles à l’ordre public. En tout cas, on ne peut établir aucune parifé entre l’Eglise et des associations qui tendent, par des moyens purement humains, à une fin d’ordre exclusivement temporelle et sont forcément par suite dépendantes du législateur. « Qu’est-ce qu’une religion ? dit Ma r Afi’re, Traité de la propriété des biens ecclésiastiques, Paris, 18117, p. 9. C’est un enseignement, un culte, un sacerdoce, une réunion de croyants, que la loi n’a pas créés, qu’elle n’a pas même acceptés, qui oui existé avant elle, et qui, dans tous les cas, échappent à son empire. »

Les autres associations qui ont pourbut unique de développer la richesse publique, de faire progresser la science ou les beaux arts-, de moraliser les citoyens, travaillent dans le domaine de l’État, mettent en valeur les ressources de l’État, pour arriver à une fin qui est celle même de l’État. Rien de plus naturel que de voir l’Etat s’inquiéter de la manière dont on travaille, chez lui, à côté de lui, à la même œuvre que lui.

Mais quand il s’agit de la religion, des rapports personnels de l’homme avec Dieu, des promesses de l’autre vie, de la sanctification des âmes, etc., l’intervention de l’État est absolument injustifiée ; il ne peut, sans sortir de son domaine, intervenir pour empêcher de poursuivre par des moyens honnêtes une fin qui, d’une part, ne nuit ni au bien moral, ni aux progrès intellectuels, ni au développement matériel de la société, et se trouve, d’autre part, par sa nature même, en dehors du domaine du pouvoir temporel.

Ajoutons à cette série d’arguments de portée générale, que toute société religieuse pourrait invoquer en sa laveur, une réflexion d’ordre particulier qui s’impose quand il s’agit de l’Église chrétienne. Cette société, ses lois, ses dogmes, sa morale, ses rites sont antérieurs à la fondation de tous les États modernes. Qui donc pourrait nier que c’est elle qui a présidé à la naissance de ces Etats, et qu’ils lui doivent beaucoup de ce dont ils sont fiers ? Il ne viendrait à personne l’idée d’affirmer qu’elle a reçu l’existence de ces groupements qui lui sont tous postérieurs de plusieurs siècles.

2° Du droit de l’Église à l’existence découle rigoureusement le droit de posséder. — Le droit d’association serait, en effet, illusoire, sans la faculté corrélative d’acquérir, de posséder, d’administrer, de disposer. Il est aussi inique de contester à une association les moyens de vivre que de les refuser à chacun des individus qui la composent, puisque le droit de vivre n’est ni plus naturel ni plus sacré que celui de s’associer.

Si l’on reconnaît à l’individu le droit de posséder et de s’associer, il suit de là que l’homme, en s’unissant à d’autres, peut apporter à la masse commune non seulement sa vigueur physique, ses qualités intellectuelles ou morales, mais encore tout ou partie de ses ressources matérielles. Légitimement acquises par lui, elles sont un prolongement de sa personnalité.

Ceci est vrai de tout groupement. Mais quand il s’agit de l’Église la nécessité d’un patrimoine temporel s’impose bien davantage, par suite du caractère de perpétuité de la société religieuse. Des moyens précaires d’existence ne peuvent convenir à une association dont le but est d’accomplir une œuvre dont la durée n’est limitée à aucun temps. « Quelle législation, dit Ma r Alfre, op. cit., p. 13, que celle qui refuserait à la famille, à la commune la faculté d’acquérir des immeubles, des propriétés permanentes ! Elle serait barbare sans aucun doute. Hé bien, il n’y a pas de famille, pas de commune qui ait une perpétuité égale à celle de la religion. Concluons donc que l’Eglise a une existence que la loi ne lui a point donnée ni pu lui donner, qu’elle ne peut davantage lui ravir ; enfin que le fait de cette existence nécessaire et indépendante lui donne droit à acquérir des moyens permanents d’atteindre le but pour lequel elle est instituée, et par conséquent celui d’acquérir des propriétés. »

II. ARGUMENTS D’ORDRE TBÉOLOGIQUE ÉTABLISSANT

. 1 LÉGITIMITÉ m-
LA PROPRIÉTÉ ECCLÉSIASTIQUE.—

Les raisonnements juridiques par lesquels nous venons d’établir la légitimité de la propriété ecclésiastique mit une valeur 1res réelle, mais relative. Dans une société dont toute la législation est basée sur 1rs droits de l’homme, sans que ceux de Dieu puissent être invoqués officiellement, l’Église ne peut, en effet, revend ! quer que le droit commun des associations religieuses. Elle sauvegarde son droit d’exister et de subsister, dans