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BAIUS

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la bulle de Pie V, les docteurs de Louvain professent la même doctrine dans leur corps de doctrine, c. n ; ils donnent à la justice originelle le nom de grâce, dans le sens de don gratuit et de bienfait non dû à la nature, quia gratuitum munus et indebitum naturæ bene/icium, et, parlant de l'élévation du premier homme à la participation de la nature divine, ils en fondent la gratuité sur ce que « ni la condition de la nature humaine ni l’intégrité d’un simple état d’innocence n’exigeait un si haut degré d’honneur et de gloire » . Baiana, p. 163. Il taut donc conclure que la vocation effective du premier homme à la justice originelle constituait une élévation réelle et gratuite de la nature humaine au-dessus de son état et de son rang, et qu’elle n'était nullement sa condition naturelle.

Plus tard, on tenta d'éluder la censure en séparant les idées de surnaturel et de gratuité. Le pape, liton dans les Hexaples et autres livres jansénistes, le pape aura voulu condamner ceux qui prétendaient, à l’exemple de Luther et de Calvin, que l’amour de Dieu et la justice originelle n'étaient pas en Adam des grâces distinguées de la nature, que c'étaient des propriétés qui découlaient naturellement de son être, et qui lui appartenaient, comme le froid appartient à l’eau, et la santé appartient aux corps des animaux formés de la main de Dieu. De là cette proposition de Quesnel, où il conserve l’idée, ou du moins le mot de grâce par rapport à la personne, et rejette le caractère de gratuité par rapport à la nature : Gralia Adami crat seijuela creationis, et crat débita naturæ sanæ et intégrée. Denzinger, Encliiridion, n. 1250. C'était fausser la censure de Pie V, qui tombait sur la doctrine de Baius entendue dans le sens de son auteur ; car celui-ci, en appelant naturels les dons primitifs, n’entendait nullement dire qu’ils fissent partie intégrante de la nature humaine ou qu’ils en découlassent comme propriétés physiques, il prétendait seulement que l’intégrité de la première création les exigeait. En un mot, il affirmait ce qu’on peut appeler le naturel d’exigence, et non L> naturel de constitution. La proposition de Quesnel fut condamnée, comme l’avaient été celles de Baius. Le synode janséniste de Pistoie n’en reprit pas moins la même erreur, en traitant de cet état d’heureuse innocence où se trouvait Adam, état comprenant, outre l’intégrité ou exemption de concupiscence, la justice intérieure avec l’union à Dieu par l’amour de charité, et la sainteté primitive en partie restituée après la chute. Pie VI, dans la bulle Auctorem fidei, qualifia cette doctrine de fausse, déjà condamnée dans Baius et dans Quesnel, erronée et favorisant l’hérésie pélagienne, falsa, alias damnata in Baio et QuesnelUo, erronea, favens hseresi pelagiange. La raison de cette nouvelle condamnation, c’est que, prise dans son ensemble, la doctrine du synode insinuait que cet état était une conséquence de la création, qu’il ne constituait pas un bienfait gratuit de Dieu, mais était dû en vertu des exigences naturelles et de la condition de la nature humaine, debitum ex naturali exigenlia et conditione humanse naturæ. Denzinger, Encliiridion, n.1379. L'Église proclamait ainsi sa propre doctrine sur le caractère strictement surnaturel des dons primitifs, et le sens où celle de Baius avait été condamnée. C’est un commentaire authentique des propositions 21e et 26 e.

23. Absurda est eorum senC’est une absurdité d’avantentia, qui dicunt, hominem inicer que l’homme, au moment de tio, dono quodam supernaturali sa création, a été élevé auet gratuito, supra conditionem dessus de la condition de sa naturae suae fuisse exaltatum, nature par un don surnaturel ut fide, spe et charitate Deum et gratuit, pour honorer Dieu supernaturaliter coleret. De surnatuicllement par la foi, prima hominis just., c. vif ; l’espérance et la charité. Baiana, p. 93.

24. A vanis et otiosis homiIl faut considérer comme née nibus, secundum insipientiam de la lolie des philosophes et

renvoyer au pélagianisme l’opinion de ces hommes vains et oisifs qui s’imaginent l’homme formé de telle sorte que, grâce à la libéralité de son créateur, il ait été élevé à l’adoption des enfants de Dieu par des dons surajoutés à la nature.

philosophorum, excogitata est sententia, quae ad pelagianismum rejicienda est, hominem ab initio sic constitutum, ut per dona naturae superaddita fuerit largitate conditoris sublimatus et in Dei iilium adoptatus. Ibid., c. viii, quant au sens ; Baiana, p. 94.

Il faut distinguer, dans ces propositions, la doctrine qu’elles soutiennent et les qualifications qu’elles indigent à la partie adverse. La doctrine ne diffère pas de celle que nous venons de voir, et est réellement contenue dans Baius. Mais ce qu’il nie, ce n’est pas, comme l’ont dit à tort quelques commentateurs, l’existence même de l’adoption divine et autres dons de l'état primitif ; c’est seulement le caractère surnaturel et gratuit de ces dons ; il ne veut pas reconnaître en eux une perfection surajoutée à la nature et élevant l’homme audessus de sa condition normale. Pas de doute possible sur sa pensée, quelles que soient les chicanes de détail qu’il ait faites sur la rédaction des deux articles. Il n’ignorait pas, du reste, qu’il avait contre lui l’opinion commune des docteurs scolastiques : non suf/icit mi/ri nuda scholasticorum doctorum traditio, dit-il dans son apologie. Aussi ses deux assertions méritent-elles, dans leur partie agressive, d'être appelées téméraires et scandaleuses. Les raisons qu’il apporte ne justifient nullement son langage. Il s’est trompé gravement en comparant la doctrine qu’il rejette à une erreur pélagienne, relevée plusieurs fois par saint Augustin. Les ennemis de la grâce attribuaient au baptême le privilège d’introduire les entants dans le royaume des cieux, privilège que Dieu, suivant eux, ne devait pas aux non baptisés. Injustice ! s'écriait l'évêque d’Hippone, et il avait raison ad hominem, car les pélagiens admettaient, tout à la fois, que le royaume des cieux était destiné à ces enfants et qu’eux-mêmes étaient innocents ; dès lors, le royaume des cieux leur était dû. Mais de là il ne résulte nullement qu’en réalité et en dehors d’une élévation à l’ordre surnaturel, le royaume des cieux et les dons qui nous y préparent soient dus à la nature humaine. Voir Bipalda, disp. VIII, sect. viii.

22. Cum Pelagio sentiunt, qui C’est penser comme Pelage,

textum Apostoli ad Romanos, que d’entendre des gentils qui

h : Gentes, qux legem non han’ont pas la grâce de la foi, ce

bent, naturaliter ea, qux logis texte de l' Apôtre aux Romains,

sunt, faciunt, intelligunt de c. n : Les gentils qui n’ont

gentibus fidei gratiam non hapas la loi, font naturelle bentibus. De prima homin. ment ce qui est de la loi. just., c. vi ; Baiana, p. 92.

Dans son apologie, Baius se rejette sur l’exemple et l’autorité de saint Fulgence, Epist., xvii, de incarnat, et gratia, c. xxv, P. L., t. lxv, col. 481 ; mais il l’a interprété à sa manière. Comme cette proposition est l’une de celles où il importe de faire grande attention au sens propre de l’auteur, résumons le chapitre d’où elle a été extraite. Il a pour titre : Que la vraie justice était naturelle au premier homme. Baius apporte à l’appui de sa thèse les raisons déjà indiquées, puis il la confirme par le texte de l’Apôtre, entendu des gentils qui, convertis à la foi du Christ, recouvrent par la vraie justice l’image de Dieu reçue dans la première création. Les gentils, dit l’Apôtre, observent la loi naturellement ; si donc cette observation de la loi s’opère par la vraie justice, celle-ci, comme l’image de Dieu, était naturelle à l’homme dans sa première création. Telle est la preuve de Baius, certainement inefficace ; mais la question n’est pas là. L’argument développé, l’auteur ajoute : « Il y en a pourtant qui pensent avec Pelage que le témoignage de l’Apôtre doit s’entendre de ces gentils qui, se trouvant complètement en dehors de la grâce chrétienne, mais possédant encore quelques restes de l’image première et guidés