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BLASPHÈME CONTRE LE SAINT-ESPRIT


qui seront pardonnes, un blasphème contre le Saint-Esprit qui ne le sera pas. Mattli., xii, 22-32 ; Marc, m 22-30 ; Luc, xii, 10. Qu’est-ce que le blasphème irrémissible contre le Saint-Esprit ? La comparaison avec un autre blasphème, celui qui est fait contre le Fils de l’homme, nous le fera comprendre. D’abord, comme tout blasphème, c’est une parole injurieuse pour celui contre qui elle est prononcée. Voir col. 907. Le texte de saint Matthieu, xii, 32, et de saint Luc, xii, 10, est explicite : « Et si quelqu’un dit une parole contre le Fils de l’homme, il sera pardonné ; mais celui qui aura parlé contre le Saint-Esprit ne sera pardonné ni dans ce monde ni dans l’autre. » Par ailleurs, le blasphème contre le Saint-Esprit diffère du blasphème contre le Fils de l’homme. Or, le Fils de l’homme c’est Jésus lui-même, considéré dans sa nature humaine et l’humilité de son apparence sensible. L’expression araméenne bar 'ëntis ne signifie pas « fils d’un homme » , mais « homme » , et désigne un membre de l’humanité. G. Dalman, Die Worte Jesu, Leipzig, 1898, t. i, p. 191-197 ; V. Rose, Études sur les Évangiles, 2e édit., Paris, 1902, p. 165-173. Blasphémer contre le Fils de l’homme, c'était donc prononcer des paroles injurieuses contre Jésus en tant qu’homme, par exemple, le traiter, parce qu’il mangeait et buvait comme tous les hommes, parce qu’il s’asseyait à la table des publicains, de vorace, de buveur, d’ami des publicains et des pécheurs. Matth., xi, 19. Blasphémer contre le Saint-Esprit, c'était dire une injure soit, comme l’ont entendu la plupart des Pères et des commentateurs catholiques, contre la troisième personne de la sainte Trinité (et de là est venue la dénomination ordinaire de blasphème contre le Saint-Espril), soit plutùt contre la puissance, sinon même, indirectement du moins, la nature divine dont Jésus est investi. En effet, le Sauveur lui-même établit ici une opposition entre l’humain et le divin qui sont en lui. Blasphémer le Fils de l’homme, c’est injurier seulement son humanité ; mais blasphémer l’esprit de Dieu qui se manifeste en lui, c’est un péché plus grave, un péché irrémissible. Or, les pharisiens l’avaient proféré ce blasphème contre l’esprit de Dieu, en déclarant que l’esprit par lequel Jésus chassait les démons était l’esprit mauvais, Béelzébub, le prince des démons. Rose, op. cit., p. 178. D’ailleurs, saint Marc, iii, 30, dont le contexte est toutefois divergent, est formel : « Car ils (les pharisiens) disaient : Il a un esprit impur. » Donc, dans la pensée de Notre-Seigneur, blasphémer contre le Saint-Esprit c’est attribuer à l’action et à la puissance du démon un miracle éclatant, tel que l’expulsion des démons euxmêmes, qui ne pouvait être que l'œuvre de Dieu. Jésus chassait les démons par l’esprit de Dieu, Matlh., xii, 28 ; dire avec les pharisiens qu’il ne les chassait que par Béelzébub, prince des démons, ꝟ. 21, c’est blasphémer, dire une parole injurieuse à Dieu, à son esprit, que cet esprit soit le Saint-Esprit ou l’esprit divin par la puissance de qui Jésus agissait.

Cette interprétation, qui ressort nettement du texte évangélique, a été proposée par la plupart des Pères et des commentateurs. S. Pacien, Epist., ni, 15, P. L., t. xiii, col. 1073-1074 ; S. Ambroise, De psenitent., ]. II, c. iv, n. 21, 22, P. L., t. xvi, col. 502 ; De Spiritu Sancto, I. I, c. iii, n. 54, ibid., col. 717 ; Exposit. Ev. sec. Luc, 1. VII, n. 121, P. L., t. xv, col. 1729-1730 ; S. Jérôme, Epist., xlii, ad Marcellam, P. L., t. xxii, col. 477 ; S. Athanaso, Epist., iv, ad Serapionem, n. 15, 16, 19, P. G., t. xxvi, col. 660-661, 665 ; S. Basile, Moral., reg. 35 ; Reg. brevius tract., 273, P. G., t. xxxi, col. 756, 1272 ; S. Chrysostome, In Matth., homil. xii, 3, P. G., t. lvii, col. 419 ; S. Bède, In Marc, 1. I, c. iii, P. L., t. xcii, col. 164 ; S. Bruno d’Asti, Comment, in Matth., part. III, P. L., t. ci.xv, col. 180. Albert le Grand, In IV Sent., 1. II, dist. XLIII, a. 6, Opéra, Paris, 1894, t. xxvii, p. 684, distingue le blasphème contre le Saint Esprit du péché contre le Saint-Esprit. Saint Thomas, Sum. theol., II a II « , q. xiv, a. 1, cite en premier lieu cette interprétation, et Suarez l’adopte, In IIl* m Sum., q. lxxxvi, disp. VIII, sect. i, n. 18, Opéra, Paris, 1861, t. xxii, p. 136, ainsi que Bellarmin, Controv., Depsenit., 1. II, c. xvi, Milan, 1721, t. iii, col. 1013. Les exégètes modernes n’en proposent pas d’autre.

Saint Thomas, loc. cit., rapporte, il est vrai, deux autres explications du blasphème contre le Saint-Esprit. La première est celle de saint Augustin. L'évêque d’Hippone, qui estimait la question du blasphème du Saint-Esprit la plus difficile de toutes les questions scripturaires, a entendu par le blasphème irrémissible contre le Saint-Esprit l’impénitence finale del’homme qui meurt en état de péché mortel. Serin., lxxi, n. 8, 20, P. L., t. xxxviii, col. 449, 455 ; Epist., clxxxv, ad Bonifacium, n. 49, P. L., t. xxxiii, col. 814 ; Epist. ad Rom. inchoala expositio, n. 14, P. L., t. xxxv, col. 2097 ; Enchiridion, c. lxxxii, P. L., t. xl, col. 272. Cf. Liber de fide ad Petrum, c. iii, n. 41, P. L., t. xl, col. 766 (traité attribué à S. Fulgence) ; S. Fulgence, De fide, n. 39, P. L., t. lxv, col. 691 ; De remissionc peccatorum, 1. I, c. xxiv, ibid., col. 547 ; Liber de vera et falsa psenitentia, c. iv, n. 9, P. L., t. xl, col. 1116 ; Qusest. V. et N. T., q. en, P. L., t. xxxv, col. 2304. Ce blasphème qui a lieu, non solum verbo oris, sed etiam verbo cordis et operis, non uno, sed multis, est un blasphème contre le Saint-Esprit, quia est contra remissionem peccatorum, qu.se fit per Spiritum Sanctum, qui est charitas et Patris et Filii. Saint Thomas, qui résume en ces termes la pensée d’Augustin, est forcé par la vérité d’ajouter : Nec hoc Dominus dicit Judseis, quasi ipsi peccarent in Spiritum Sanctum, nondum enim erant finaliter impsenit entes. Il croit toutefois pouvoir interpréter Marc, ni, 30, dans ce sens : Sed admonuil eos, ne taliter loquentes ad hoc pervertirent quod in Spiritum Sanctum peccarent. Reconnaissons franchement que cette interprétation n’a aucun fondement dans l'Évangile.

La troisième explication rapportée par saint Thomas est aussi éloignée de la pensée explicitement formulée par Notre-Seigneur. D’autres disent qu’il y a péché ou blasphème contre le Saint-Esprit, quando a.liquis peccat contra appropriation bonitm Spiritui Sancto. Voir Appropriation, t. i, col. 1708 sq. Saint Thomas cite ici la bonté qu’on attribue au Saint-Esprit par appropriation. Il en conclut que le péché contre le Saint-Esprit est un péché de malice, commis ex ipsa electione mali. Or on agit par malice de deux façons, ou bien ex inclinatione habilus vitiosi, mais cette malice n’est pas le péché contre le Saint-Esprit ; ou bien, lorsque, par mépris, on rejette ou on éloigne ce qui pourrait empêcher l'élection du péché, par exemple l’espérance par désespoir ou la crainte par présomption. H sec autem oninia qusB peccati electioneni impediunt, sunt efiectus Spiritus Sancti in nobis ; et ideo sic ex malitia peccare, est peccare in Spiritum Sanctum. Cf. Albert le Grand, In IV Sent., 1. II, dist. XLIII, a. 1, Opéra, Paris, 1891, t. xxvii, p. 671.

Nous passons sous silence les nombreuses opinions particulières des Pères ou des commentateurs sur le ïilasphème contre le Saint-Esprit, parce qu’elles manquent de tout fondement exégétique et ne présentent plus qu’un intérêt historique et archéologique. Voir 1. 1, col. 899-900. IL Espèces. — Le blasphème contre le Saint-Esprit, tel qu’il ressort du texte évangélique, ne semble pas comporter d’espèces différentes. C’est, en effet, une parole injurieuse au Saint-Esprit, par laquelle on attribue aux démons une œuvre divine. Il peut avoir des objets différents selon les œuvres divines attribuées à la puissance diabolique ; mais ces objets ne changent pas l’espèce du péché. Cependant, depuis Pierre Lombard, Sent., 1. II, dist. XLIII, P. L., t. cxcii, col. 754-756, les théologiens admettent généralement six espèces de blasphèmes contre