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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/501

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BONIFACE VIII


ment (1297) ; en Franco, Philippe fit délibérer sur la bulle une assemblée du clergé et interdit par ordonnance de transporter l’or et l’argent hors du royaume. Il tarissait ainsi les ressources que Rome tirait du clergé de France. Tout en adressant encore au roi de vils reproches dans la lettre Ineffabilis amor (20 septembre 1296), le pape annonçait cependant des explications verbales d’un légat qui adouciraient ses défenses. La polémique n’en continuait pas moins : dans la hautaine déclaration : « Avant qu’il y eût un clergé, le roi de France avait la garde de son royaume, » qui fut composée mais non envoyée à Rome et dans d’autres pièces du temps, on voit énoncés les deux principes de l’indépendance complète de la couronne dans les affaires temporelles et du devoir pour le clergé, membre de l’Etat, de payer l’impôt. Si Boniface céda peu à peu tout le terrain, ce fut sans aucun doute à cause des difficultés très graves qu’il rencontrait en Italie dans sa lutte contie Frédéric de Sicile et des menaces de schisme que la famille des Colonna et la révolte des fraticelles donnaient lieu de craindre.

La maison des Colonna paraissait trop puissante à Boniface qui la tenait à l'écartdepuis le commencement de son règne. Les cardinaux Jacques et Pierre Colonna, ses chefs ecclésiastiques, virent se grouper autour d’eux tous les adversaires naturels du pape : les partisans de la maison d’Aragon en Sicile, surtout les fraticelles, héritiers des franciscains spirituels qui depuis trente ans luttaient contre la papauté pour faire prévaloir la pure doctrine de saint François et toutes les théories exagérées qu’ils couvraient de ce nom au sujet de la pauvreté absolue. Célestin V avait sympathiséavec ces exaltés qu’il avait réunis à sa propre congrégation d’ermites. Son successeur avait annulé l’union des spirituels avec les célestins. Pourchassés, errants dans les montagnes de l’Italie méridionale et jusqu’en Grèce, ils répandaient des bruits fâcheux sur l’abdication « contrainte » du pape Célestin, sur la nullité de l'élection qui l’avait suivie, sur le rôle suspect de Boniface dans la réclusion dernière et même dans la mort de son prédécesseur. Jacopone di Todi donnait, par ses poésies, un souffle, des ailes à ces griels ; ses pamphlets rirnés contre « le brigand Boniface » le firent enfermer dans une rigoureuse prison pour toute la durée du pontificat, et lui attirèrent une réputation de poète martyr. Boniface priva Jacques et Pierre Colonna de leurs dignités (10 mai 1297). L’oncle et le neveu se jetèrent alors dans l’insurrection ouverte, alléguant les fraudes qui entachaient l'élection de Boniface et invitant les fidèles à lui refuser obéissance jusqu’au prochain concile général. La guerre, la triste « croisade » qui s’ensuivit se termina par la soumission des Colonna dont les forteresses furent rasées. Palestrine, la dernière de leurs places et la plus puissante, fut détruite de fond en comble à la seule exception de l'église cathédrale. Le pape notifia cette vengeance à la chrétienté. Sur les ruines de la ville, il avait fait « passer la charrue et semer du sel comme jadis les Romains avaient fait pour Cartilage » (12 juin 1299). Les Colonna échappés de leurs prisons, accusant Boniface d’avoir manqué à sa parole de les réintégrer dans leurs honneurs, allèrent grossir dans la Haute-Italie, en Sicile et en France le nombre des ennemis du pape.

Toutes ces difficultés intérieures amenèrent Boniface à user de complaisance envers Philippe le Bel : il tempéra l’application de la bulle Clericis laicos en autorisant le clergé' à faire dis dons volontaires au roi sans la permission du pape (Roniana mater, 7 février 1297), il accorda les levées d’argent consenties par le clergé de France (28 février) ; il permil au roi « le décider des cis de nécessité où pour lever des taxes il pourrait se dispenserde consulter le pape i Etsi de statu, 31 juillet 1297). Même après ces concessions, Philippe ( tinua de récuser l’intervention par oir d’autorité du pontife dans

ses affaires. Quand il accepta l’arbitrage du pape en 1298, pour conclure la paix avec l’Angleterre, il spécifia que l’office d’arbitre serait rempli par Benoît Gaëtani comme personne privée, non par Boniface VIII en tant que pape. Sous l’inlluence des mêmes embarras en Italie, le pape essaya de consolider sa situation en refusant d’abord de reconnaître Albert de Habsbourg qui venait de renverser' et de tuer le roi de l’Allemagne, Adolphe de Nassau (1298), puis en essayant d’obtenir de lui la cession de Florence pour prix de cette reconnaissance.

Le jubilé de 1300 marque l’heure la plus glorieuse du pontificat et celle des décisions les plus graves pour l’avenir : les victoires des Tartares sur les musulmans (décembre 1299) avaient rouvert la perspective d’une conquête de la Terre-Sainte ; les plaintes des Flamands avaient persuadé Boniface que l’arbitrage de 1298 avait été mis abusivement à profit par Philippe le Bel ; le succès du jubilé qu’il avait décrété, l’influence de la papauté que révélait le concours de deux cent mille pèlerins aux tombeaux des apôtres, déterminèrent le pape à essayer de regagner le terrain que les circonstances lui avaient fait perdre, et de briser les résistances que rencontreraient ses projets sur Florence. Il revendique par la bouche de son homme de confiance, le cardinal d’Aquasparta, les droits les plus étendus. Dans un sermon du jubilé, le cardinal soutient en présence de Boniface « que le pape seul a la souveraineté spirituelle et temporelle sur tous les hommes, en place de Dieu » . L’année suivante, à l’occasion de l'élection du roi de Hongrie, Boniface écrira : « Le pontife romain, établi par Dieu au-dessus des rojs et des royaumes, dans l’Eglise militante est le chef suprême de la hiérarchie : il a le prineipat sur tous les mortels ; assis sur le trône du jugement, il prononce ses sentences avec tranquillité et de son regard il dissipe tout mal. » Il est vrai qu’en Danemark le roi Éric VIII ne cédait que lentement et à demi dans une lutte de plusieurs années au sujet de l’emprisonnement injuste de Grand, archevêque de Lund(129ô1302) ; qu’en Hongrie, le candidat du pape ne put obtenir le trône au détriment de Ladislas V, fils du roi de Bohême (1301) ; qu’en Pologne, Wencestas conserva et transmit la couronne à son fils malgré le pape ; mais ces défaites, très sensibles si l’on cjnsiileiv que la Hongrie et la Pologne passaient pour des fiefs du pontife romain, n'étaient pourtant que des épisodes lointains sans rapport immédiat avec le nœud central de la lutte.

Celle-ci ne pouvait manquer de renaître entre le pape et le roi de France que séparait une dissidence absolue de principes, et chacun d’eux poussant ses conclusions à l’extrême, la querelle devait se terminer par la défaite mortelle de l’un ou de l’autre. Le pape accentuait chaque jour vis-à-vis du roi de France ses réclamations au sujet des atteintes nombreuses portées aux immunités ecclésiastiques, notamment à Maguelonne, Cambrai et Narbonne. Divers incidents, en particulier le rapprochement de Philippe le Bel avec Albert d’Autriche et le refuge trouvé par Etienne Colonna en France lui ayant inspiré des soupçons sur les arrièrepensées du roi.il se résolut à l’action. L’incident qui détermina le revirement décisif dans la politique de Boniface fut l’arrestation de Bernard Saisset, que Boniface aimait, qu’il avait même nommée l'évéchéde Pamiers. Bernard était connu pour son hostilité et des propos agressifs contre le roi ; mais l’enquête ne démontra aucun des crimes graves dont le chargeai ! le mémoire adressé à Borne pour obtenir son jugement. Boniface informé' ordonna au roi de relâcher Bernard Saissii afin qu’il vint se justifier à Rome et il révoqua les concessions qu’il avait faites au roi touchant la levée des subsides ecclésiastiques (' ! décembre 1301, bulle Salvator mundi). En même temps la bulle Ausculta /ili (5 décembre 1301) énonçait la théorie de la suprématie du pape sur les rois et les royaumes, de sa mission qui est « d'édifier,