Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/536

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1059
1060
BOSSUET


dissiper des ignorances et des préjuges. Laissant toute dispute, il expose avec une iorte et lumineuse simplicité la doctrine catholique sur les points contestés, sur ceux qui, au siècle précédent, avaient occasionné la rupture. Il empruntait au concile de Trente l’expression authentique de la foi de l’Église. « Cette exposition de notre doctrine, disait Bossuet, produira deux bons effets. Le premier, que plusieurs disputes s’évanouiront tout à fait, parce qu’on reconnaîtra qu’elles ne sont fondées que sur de fausses explications de notre croyance. Le second, que les disputes qui resteront ne paraîtront pas, selon les principes des prétendus rélormés, si capitales qu’ils ont voulu d’abord le taire croire, et que selon ces mêmes principes, elles n’ont rien qui blesse les fondements de la foi. » Op. cit., i, Dessein de ce traité.

Et en effet, Bossuet montrait que, sur bien des points, les préjugés protestants avaient défiguré la doctrine catholique — par exemple, sur le culte rendu aux saints ; sur la justification, objet au xvie siècle de longs et ardents débats, que notre siècle, pénétré, hélas ! de pélagianisme et de naturalisme, comprendrait à grand’peine. Sans doute, sur tous les articles contestés, un loyal éclaircissement ne supprimait pas la dispute. Tel, l’article de la présence réelle, dont Bossuet disait : « C’est… la plus importante et la plus difficile de nos controverses, et celle en effet où nous sommes le plus éloignés » (xvi). Et cependant, sur ce point même, l’évêque veut montreraux dissidentsqu’un rapprochement leur seraitmoins mésaisé qu’ils ne le pensent. Les calvinistes, si opposés au dogme catholique, n’ont-ils pas, sur la présence qu’ils attribuent au Sauveur dans la Cène, un langage qui ne trouve que dans notre doctrine sa véritable explication et sa justification complète ? D’ailleurs, ils regardent comme exempte de tout venin la croyance luthérienne qui, contraire au dogme de la transsubstantiation, admet cependant la présence réelle de Notre-Seigneur dans l’eucharistie : ce pas qui les avoisine des luthériens, ne les rapproche-t-il pas aussi de nous ? Enfin, puisque les calvinistes, sourds aux objections qu’élèvent les sociniens, défendent contre ceux-ci l’incompréhensible mystère de l’incarnation divine, sont-ils autorisés à objecter aux catholiques l’incompréhensibilité du mystère eucharistique ? Et, pour indiquer la raison souveraine de ces deux mystères, le controversiste rencontre des accents dont nous goûterons, dans YOraison funèbre de la Palatine, et dans les Méditations sur l’Evangile, la douceur pénétrante. « Il suffit d’avoir appris par les saintes Ecritures que le Fils de Dieu a voulu nous témoigner son amour par des eflets incompréhensibles. Cet amour a été la cause de cette union si réelle par laquelle il s’est lait homme. Cet amour l’a porté à immoler pour nous ce même corps aussi réellement qu’il l’a pris. Tous ces desseins sont suivis, et cet amour se soutient partout de la même force… C’est pourquoi il ne laut plus s’étonner s’il donne à chacun de nous la propre substance de sa chair et de son sang. Il le lait pour nous imprimer dans le cœur que c’est pour nous qu’il les a pris, et qu’il les a offerts en sacrifice. Ce qui précède rend toute cette suite croyable ; l’ordre de ses mystères nous dispose à croire tout cela ; et sa parole expresse ne nous permet pas d’en douter » (xii).

Arrivé au terme de son Exposition, l’auteur était en droit d’écrire : « J’espère que ceux de leur communion {la communion protestante) qui examineront équitablement toutes les parties de ce traité, seront disposés par cette lecture à mieux recevoir les preuves sur lesquelles la foi de l’Église est établie ; et reconnaîtront, en attendant, que beaucoup de nos controverses se peuvent terminer par une sincère explication de nos sentiments ; que notre doctrine est sainte, et que selon leurs principes mêmes aucun de ses articles ne renverse les fondements du salut » (xxiij.

L’Exposition étonna beaucoup de protestants ; le catholicisme qu’elle leur révélait ne ressemblait guère à celui que, déçus par une tradition erronée et par des préjuges tenaces, ils avaient cru connaître jusqu’alors. Jurieu, surpris et cédant à un charme qu’il ne devait pas subir longtemps, la déclarait « le livre le plus doux, le plus sage, le plus modéré qu’on pût imaginer » . Pour combattre l’effet d’un tel ouvrage au sein de la Béforme, on prétendit^ que l’auteur avait dissimulé la véritable doctrine de l’Église ; on imagina la table d’une première édition, très différente de la seconde, et qui ensuite aurait été supprimée. De fait, comme le dit Bossuet, les différences entre une édition destinée uniquement à ses amis et l’édition destinée au public ne touchaient pas au dogme, et ne regardaient que le style. L’ouvrage avait été approuvé par onze évêques français ; mais, aux yeux des protestants, c’était là une médiocre garantie d’orthodoxie ; « il faut, disait l’un d’eux, que l’oracle de Borne parle sur les matières de la foi… Il a parlé, cet oracle que toute l’Église catholique a écouté avec respect dès l’origine du christianisme, » répond Bossuet ; deux brefs d’Innocent XI (4 janvier et 12 juillet 1079) honorèrent d’une approbation souveraine un livre où, en France et hors de France, d’illustres et nombreux suffrages avaient déjà reconnu la véritable doctrine de l’Église. Aucun ouvrage de l’époque ne fut autant répandu. Il fut tiré à plusieurs centaines de mille exemplaires. « Jamais, a dit de l’Exposition M. A. Bébelliau, le protestantisme n’avait été attaqué d’une façon plus sensible, et si, à partir de 1670, il y eut, surtout dans la société cultivée, d’assez nombreuses conversions, VExposilion y fut vraisemblablement pour beaucoup. » Bossuet, c. iv. L’une des plus célèbres conversions de cette époque (1678), la conversion d’une nièce de Turenne, M lle de Duras, n’eut lieu qu’après une conférence entre l’évêque de Condom et le ministre Claude qui, depuis la mort de Daillé et dans la vieillesse de Ferry, occupait la première place parmi les protestants français. M. Bébelliau, non sans raison, rapproche cette conlérence de la fameuse conférence de Fontainebleau (1600) qui avait mis aux prises Duplessis-Mornay et Du Perron, et où les derniers doutes qui subsistaient peut-être encore dans l’âme de Henri IV étaient définitivement tombés. Entre deux adversaires rompus aux controverses, la discussion avait été pressante ; à un certain moment, Bossuet avait ressenti la crainte de ne pouvoir faire à une objection de Claude une réponse qui parût décisive. « Je ne parlais qu’en tremblant, a-t-il dit dans sa Relation de la conférence, voyant qu’il s’agissait du salut d’une âme ; et je priais Dieu qui me faisait voir si clairement la vérité, qu’il me donnât des paroles pour la mettre dans son jour : car j’avais affaire à un homme qui écoulait patiemment, qui parlait avec netteté et avec force, et qui enfin poussait les difficultés aux dernières précisions. » Cette objection regardait un point qui depuis lors a été souvent traité par les apologistes et les théologiens catholiques : la genèse de l’acte de foi chez le baptisé, et les motifs qui le justifient. Bossuet fournit sur ce point délicat d’amples et décisives explications dans sa réponse au récit que Claude avait fait de la conlérence. Sixième réflexion sur un écrit de M. Claude.

L’illustre controversiste avait résolu de présenter dans un ouvrage spécial, destiné aux luthériens non moins qu’aux calvinistes, les preuves de la doctrine contenue dans l’Exposition. De l’œuvre projetée, nous avons cinq fragments où s’atteste la puissante maturité de l’auteur : Du culte qui est dû à Dieu ; Du culte des images ; De la satisfaction de Jésus-Christ ; De l’eucharistie ; De la tradition ou de la parole non écrite.

C’est la tradition sur un point de discipline qui avait pris aux yeux des protestants une importance capitale que Bossuet défend dans son Traité de la communion