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BOSSUET


attributs absolus (de Dieu), d’où les personnes divines, d’où Jésus-Christ même présent par la foi sont exclus. » Avertissement sur les écrits de M. de Cambray, n.

Le 27 avril 1697, Pénelon soumit son livre au jugement du pape ; le roi, qui avait consenti à cetle démarche, ne permit point à l’archevêque d’aller se défendre lui-même à Rome. Désireux d’une prompte décision, Louis XIV la demanda à Innocent XII dans une lettre du 26 juillet 1697, que Bossuet avait pu inspirer, mais dont il déclare avoir ignoré la propre teneur. Lettre à l’abbé Bossuet, 23 septembre 1697.

Pendant que la cause s’instruisait à Rome, le débat en France ne s’apaisait point. Invité à conférer à l’archevêché de Paris, avec Noailles, Godet des Marais et Bossuet, Fénelon refusa d’abord de s’y rendre, et ne finit par consentir qu’à certaines conditions qui ne furent point acceptées. Bientôt après (6 août 1697), les trois prélats signèrent une Déclaration de leurs sentiments sur le livre des Maximes, qui fut remise au nonce Dellini.

Entre les deux adversaires, si différemment et si merveilleusement armés, la controverse dura dix-huit mois : « une des plus belles choses qu’on puisse lire, une des plus tristes aussi. » F. Strowski, Bossuet, etc., 1. III, c. ii, § 3. S’il est vrai que, jusqu’à l’époque de la controverse, Bossuet eût ignoré les mystiques — Fénelon le lui a reproché non sans surprise et non aussi sans hauteur — le vieil évêque pénétra vite dans ces régions que tant d’autres travaux lui avaient fait sans doute négliger. Pour éclairer et pour rassurer les juges romains, Bossuet publia : Summa doctrinæ libri cui titulus : Explication des Maximes des saints ; Mystici in tuto ; Schola in tuto ; Quiclismus redivivus. Les écrits français aussi se succèdent sous sa plume inépuisable. La France, l’Europe s’occupaient du quiétisme. Leibniz, par une distinction ingénieuse, essayait de résoudre, comme il le disait, « l’énigme de l’amour désintéressé ; » le bénédictin Lami, dans son traité De la connaissance de soi-même, et Malebranche, dans son Traité de l’amour de Dieu, discutaient la question qui avait mis aux prises Bossuet et Fénelon ; Rancé, dans une lettre à Bossuet de mars 1697, jugeait Fénelon de ce ton sévère et hautain dont la pénitence monastique ne l’avait pas assez dépouillé. Parmi les jésuites, généralement amis de l’archevêque de Cambrai, Bourdaloue se prononçait contre le quiétisme ; son conlrère La Rue, dans un panégyrique de saint Bernard, dont le texte authentique a été publié naguère par le P. Chérot, allait jusqu’à désigner, dans de transparentes allusions, Bossuet sous les traits de l’abbé de Clairvaux, et Fénelon, sous ceux d’Abélard.

On a reproché à Bossuet l’âpre véhémence de sa polémique. Fénelon, qui, lui, a quelquelois des impertinences de grand seigneur, écrivait à son contradicteur qu’on « était étonné de ne trouver dans son ouvrage (dans ses ouvrages) contre un conlrère soumis à l’Église, aucune trace de cette modération qu’on avait louée dans ses écrits contre les ministres protestants » . liossuet répondait qu’il devait parler d’autant plus haul que le péril du quiétisme était tout ensemble plus redoutable et plus caché ; « qu’il s’agissait de dogmes nouveaux qu’on voyait s’introduire dans l’Église, sous prétexte de piété, dans la bouche d’un archevêque… l’our ce qui est de la manière d’écrire contre les hérétiques déclarés, ajoutait-il, quelqu’un niera-t-il qu’il ne faille être plus attentif contre une erreur qui s’élève que contre une erreur déjà condamnée ; qu’il ne faille prendre beaucoup plus de soin d’en découvrir le venin caché ; d’en faire voir les suites affreuses ? t>

L’évéque de Meaux disait vrai ; mais à ce qu’il dit, ne peut-on pas ajouter qu’il ei.iii d’autanl plus sévère pour l’erreur quiétiste qu’il la comprenait moins ? L’histoire lui avail révélé les causes multiples et profondes du protestantisme ; et nous verrons plus tard qu’il eut, non pas

pour le jansénisme, mais pour les jansénistes, certaines condescendances que nous tâcherons d’expliquer : il comprenait des erreurs qu’il réprouvait. Mais le quiétisme épuré de Fénelon était difficilement intelligible, était aisément odieux à son esprit dont la solidité fut une des qualités maîtresses. « Vous avez voulu raffiner sur la piété, écrivait-il à l’archevêque de Cambrai ; vous n’avez trouvé digne de vous que Dieu beau en soi ; la bonté par laquelle il descend à nous et nous fait remonter à lui vous a paru un objet peu convenable aux parlaits, et vous avez décrié jusqu’à l’espérance, puisque, sous le nom d’amour pur, vous avez établi le désespoir comme le plus parfait de tous les sacrifices ; c’est du moins de cette erreur qu’on vous accuse… »

La discussion ne demeura point dans la région des doctrines ; avec la Relation sur le quiétisme, elle passa sur le terrain des faits. Pourquoi Bossuet écrivit-il cette histoire dont les plus puissants pamphlets égalent à peine l’ironie sobre et la foudroyante éloquence ? C’est que dans Fénelon il retrouvait toujours l’opiniâtre défenseur de M ii, e Guyon, et que dans le quiétisme de cette femme, il voyait le principe d’erreurs et d’excès dont, à cette date même, sa province natale était le théâtre. Voir H. Chérot, Le quiétisme en Bourgogne et à Paris en dO’JS, Autour de Bossuet, Paris, 1901. « Il faut prévenir les fidèles contre une illusion qui subsiste encore, » écrivait l’évéque de Meaux, Relation sur le quiétisme, sect. n ; et il enlevait son auréole à la prophétesse en racontant les plus grotesques épisodes de son étrange apostolat.

Fénelon n’était pas plus épargné que M me Guyon. Son adversaire va au-devant de plaintes qui se produisaient alors, qui, dans des circonstances semblables, se sont produites bien des fois. « Si cependant les faibles se scandalisent ; si les libertins s’élèvent ; si l’on dit, sans examiner la source du mal, que les querelles des évêques sont implacables, il est vrai, si on sait l’entendre, qu’elles le sont en effet sur le point de la doctrine révélée. C’est la preuve de la vérité de notre religion et de la divine révélation qui nous guide, que les questions sur la foi sont toujours inaccommodables… » Relation sur le quiétisme, sect. XI, §9. Bossuet disait la vérité, et ces fortes paroles eussent suffi. Malheureusement, quelques lignes plus haut, abusant d’une de ces réminiscences que lui fournissait sa science de l’histoire, à propos de Fénelon et de M, , , e Guyon, il avait rappelé les noms à jamais tlétris de Priscille et de Monlan. Pour atténuer l’odieux d’une telle comparaison, il écrivit plus tard : « Priscille était une fausse prophétesse ; Montan l’appuyait. On n’a jamais soupçonné entre eux qu’un commerce d’illusion de l’esprit. » Remarques sur la réponse de M. l’archevêque de Cambray à la Relation sur le quiétisme, a. 11, § 4. Fénelon n’en avait pas moins le droit de s’indigner, et l’accent de son éloquente protestation nous émeut encore.

Et cependant, au cours de cette querelle, tous les torts ne furent pas du côté de Bossuet. Ne semble-t-il point que parfois, dans des matières d’importance capitale, l’ondoyant génie de Fénelon n’ait pas su éviter les imprécisions de langage ? Dans une lettre à M me de Maintenon (7 mars 1696), que celle-ci se crut tenue de communiquer à Bossuet (liausset l’en justifie, Histoire de Fénelon, 1. III, § 52), Fénelon avait écrit cette phrase : « M. de Meaux vous a redit comme des impiétés des choses qu’elle (M M Guyon) lui avait confiées avec un cœur soumis et en secret de confession ; » il a même paru accuser Bossuet d’avoir révélé une confession qu’il lui aurait faite. Réponse à la Relation sur le quiétisme, avertissement. L’évéque de Meaux n’avait jamais confessé ni M 11 "’Guyon, Relation sur le quiétisme, sect. ii, 2, ni Fénelon, De la Réponse à lu Relation sur le quiétisme, conclusion, 5 ; M""-’Guyon avait seulement ra-