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BOURSE (JEUX DE)

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baisse opportune lui donne la facilité de liquider ses opérations à terme avec avantage. Par ce moyen il compense, et bien au delà, sur les marchés à terme qui roulent sur des chiffres énormes, les pertes qu’il peut subir sur les marchés au comptant. Qu’importe une perte de 1 p. 100 sur 10 à celui qui se procure par ce moyen un gain de 1 p. 100 sur 50 !

Enfin il y a un moyen plus simple encore et plus infaillible de gagner : c’est d’acheter à petit bruit la plupart des titres d’une espèce qui existent sur le marché, puis de les acheter à terme, même à des prix très hauts. Les cours s’élèvent et dans la prévision d’une baisse les petits spéculateurs vendent à découvert. Mais comme il n’y a pas de titres sur le marché, la baisse ne vient pas et il leur faut racheter à des cours très élevés afin de liquider. Cette manœuvre, qui est du pur agiotage, s’appelle V étranglement. On peut citer de grosses fortunes acquises par ce procédé déloyal.

Si plusieurs spéculateurs de premier ordre opéraient en même temps en sens opposé, il s’établirait entre eux une lutte dans laquelle la victoire resterait à celui que le mouvement naturel des affaires sérieuses du marché au comptant viendrait à favoriser. Mais les grands capitalistes n’ont garde de se livrer à ce jeu plein de périls, ils préfèrent opérer à coup sûr contre les petits et les moyens spéculateurs.

VI. La bourse et la. morale. — 1° La bourse et la inorale individuelle. — Chacune des opérations de bourse que nous avons décrites, est en soi licite. Telle est l’opinion commune des auteurs contemporains de théologie morale : Gury, Lehmkuhl, Génicot, Villada, liucceroni, Ballerini, Palmieri. L’opération au comptant est un contrat parfaitement régulier de vente-achat. Le marché à terme à livrer n’est qu’un achat ou une vente à crédit. Que le vendeur à terme fasse payer la marchandise plus cher qu’au comptant, cette circonstance ne suffit pas pour entacher le contrat d’usure. La différence de prix compense le risque inhérent à toute opération de crédit, elle est d’ailleurs conforme à l’estimation commune des acheteurs et des vendeurs. Telle est aussi la solution donnée par saint Alphonse de Liguori. A cette question : « Est-il permis, suivant la coutume du lieu, en dehors de tout autre titre, de vendre à crédit une chose plus cher qu’au comptant ? » il répond : « Cette opération est permise ; en effet, l’estimation commune fait le juste prix des choses et la concurrence augmente le prix des marchandises à crédit. » Theologia moralis, 1. III, n. 811.

Les marchés différentiels de bourse comprennent un achat et une vente réels — sans livraison de marchandises

— avec l’intention de réaliser un bénéfice sur la différence des cours. Ils sont donc légitimes comme les achats et ventes à crédit ; le règlement par différence ne change pas la nature du contrat. En réalité, le marché fictif n’est point un acte de commerce au sens strict du mot, puisqu’il ne détermine aucun échange réel de marchandises, cependant dans un sens plus large on peut le rattacher aux actes commerciaux, parce qu’il se compose d’achats et de ventes à crédit.

Le marché à terme devient-il un simple pari ; il devra, pour être conforme à la justice, respecter les conditions requises pour ces sortes de contrats aléatoires. D’après saint Alphonse de Liguori, ces conditions sont les suivantes : 1) la matière du pari doit être aléatoire ; 2) de part et d’autre l’événement, objet du pari, doit être incertain ; 3) cet objet doit être compris dans le même sens par chacun des parieurs. L. III, n. 869.

Le marché à prime est un contrat d’assurance ou encore un marché conditionnel avec arrhes. La prime est la compensation pour la résolution du contrat, son juste prix est déterminé par l’offre et la demande en bourse.

Le report est constitué par deux contrats légitimes :

une vente au comptant et une vente à terme. Il en va de même du déport. Bien qu’il ait avec lui des affinités, le report n’est pas un simple prêt d’argent. Dans celui-ci en effet, l’objet du contrat est la seule utilité de l’argent ; dans le report, on cède la conservation de titres dont la valeur est susceptible d’augmenter.

De ce que les diverses opérations de bourse prises individuellement sont licites, il n’en demeure pas moins qu’elles sont assez souvent l’occasion de nombreuses injustices et que l’habitude des spéculations de bourse n’est pas exempte de dangers. Les fausses nouvelles, les bruits sans consistance lancés à la bourse dans le but d’influencer les cours constituent une manœuvre frauduleuse. La réclame faite par la voie de la presse n’est la plupart du temps qu’une vaste conspiration contre la vérité, un attentat à la bonne foi publique. Promesse de dividendes fabuleux, recommandation enthousiaste de valeurs avariées, dépréciation de titres de tout repos, rapports et expertises fictifs, rien n’est omis pour attirer l’argent des naïfs !

Un grand nombre de cas de conscience peuvent se présenter au moraliste et au directeur de conscience à l’occasion des opérations de bourse. Ils se résoudront facilement par l’application judicieuse et prudente des principes généraux. La bourse est en effet un théâtre où se rencontrent : 1) tous les cas de commerce ; 2) tous ceux de jeu de pari ; 3) tous ceux de vente et achat pour autrui ; 4) tous ceux de monopole. S’il se présente un cas exigeant des connaissances techniques, ou dépassant la compétence du confesseur, celui-ci pourra s’adresser ou renvoyer le pénitent à des hommes d’affaires honnêtes et honorables : banquiers, notaires, avocats, etc. Nous nous bornerons à indiquer quelques solutions.

Celui qui sait qu’une campagne de hausse est entreprise par de fausses nouvelles ou autres manœuvres frauduleuses peut-il licitement prendre part au mouvement ? Ce serait, dit-on, coopérer à une opération certainement injuste de la part des meneurs. Le prix vicié par de telles manœuvres est injuste pour ceux qui faussent la concurrence et par conséquent aussi pour tous ceux qui s’unissent, prennent part à la campagne de hausse. Telle est l’opinion de plusieurs moralistes. Gury, Theologia moralis, t. i, n. 914. D’autres font remarquer que l’on peut toujours vendre au prix courant quel qu’il soit. D’ailleurs dans le cas présent le vendeur, n’ayant pas répandu les fausses nouvelles, ne coopère en rien à la hausse factice des prix ; il use de son droit en achetant et vendant au cours existant. De Annibale, 3e édit., t. ii, n. 470, note 29. L’agent de change, chargé de vendre à un prix avantageux par des clients de bonne foi, pourrait profiter d’un mouvement de hausse, injuste dans ses origines.

Je charge un intermédiaire de m’acheter 10000 francs de rente italienne. Ce jour-là la rente est cotée 98 francs à Paris et 97 à Berlin ; le courtier marron achète à Berlin et me vend au prix de Paris. En soi c’est une injustice. Cependant si telle était la pratique reçue d’après les usages de la bourse, on ne saurait taxer cette opération de fraude.

Un coulissier, chargé d’acheter des titres dont le marché est restreint, se les procure à bon compte en banque, puis il charge un confrère ou un compère de se porter acheteur en bourse, il fait la contre-partie de manière à enfler le cours. Il fait payer à son client le prix de bourse et garde pour lui la différence. Il y a là une manœuvre injuste.

Un financier ne peut pas sans injustice émettre des titres avariés, ou coopérer à leur émission. Cependant une fois les titres lancés dans la circulation ou admis à la bourse, les agents de change ou coulissiers peuvent, pour leurs clients, faire des transactions sur ces titres ; leur rôle se borne, en effet, à celui d’intermédiaire.

La fraude et l’escroquerie se pratiquent sur une vaste