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BUFFIER

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Paris. 1712 ; Le bonheur du chrétiett ; Sentimens chrétiens sur les principales variiez de la religion, in-12, Paris, 1718 (voir le Journal des savants, 1718, p. 14—16) ; in-lG, Évreux, 1730 ; Exercices de la piété chrétienne pour retournera Dieu et lui demeurer fidèlement attaché, in-12, Paris, 1718 ; in-16, Dijon, 1737 ; & édit., in-12, Paris, 1737 ; Histoire du Nouveau Testament, avec de courtes réflexions, in-12, Rouen, 1719 ; La vie de V h ermite de Compiègne, décédé le 18 septembre iû’Jl, in-12, Paris, 1692, 1732, 1737 ; La vie de M. l’abbé du Yal-Jiicher, restaurateur de la discipline régulière de ce monastère, in-8°, Paris, 1696 ; La vie du comte Louis de Sales, frère de saint François de Sales, modèle de pi été dans l’état séculier, comme saint François de Sales l’a été dans l’état ecclésiastique, in-12, Paris, 1708 ; 19 éditions françaises et 4 italiennes.

Ouvrages philosophiques.

C’est surtout comme

philosophe que le P. Bufiier mérite d’être connu. Par le principe nouveau qu’elles dégagent et développent, par le tour d’esprit accueillant et libéral qu’elles dénotent et qui lui a valu les éloges de Voltaire, Catalogue des écrivains du siècle de Louis XI V, dans les Œuvres complètes, Paris, 1878, t. xiv, p. 48, par l’influence directe qu’elles ont exercée sur le développement de l’école écossaise et sur la genèse du système lamennaisien, ses œuvres philosophiques ont leur place marquée dans l’histoire de la philosophie française.

Le P. Buffier débuta par un petit ouvrage d’allure enjouée et spirituelle, où sous une apparence paradoxale et badine, se cache un grand fond de bon sens et une haute raison : Examen des préjugez vulgaires pour disposer l’esprit à juger sainement de tout, Paris, 1701, 1725. C’est une étude piquante des causes de nos erreurs, « un vrai exercice de métaphysique et de logique, pour regarder chaque chose sous les divers jours dont elle est susceptible, et pour faire l’analyse la plus exacte de nos idées et de nos jugements. » Op. cit., avertissement. L’auteur, qui fait preuve d’une remarquable indépendance d’esprit et de la plus large tolérance, développe, entre autres idées originales, cette thèse que la censure est plus nuisible qu’utile et « qu’on a tort de se plaindre de la multitude des mauvais livres » , c’est-à-dire, au sens du texte, des ouvrages médiocres. Le féminisme trouverait également en lui un précurseur : la troisième proposition établit « que les femmes sont capables de toutes les sciences » .

La logique, surtout la logique formelle, retenait alors tout entière l’attention de Bufiier. En 1714, paraissent à Paris Les principes du raisonnement exposez en deux logiques nouvèles. Avec des remarques sur les logiques qui ont eu le plus de réputation de notre temps. Cf. Mémoires de Trévoux, 1714, p. 1550-1578 ; Journal des savants, 1714, p. 513-519. L’ouvrage fut réimprimé en 1724, sous ce titre : Suite du traité des premières véritez, ou des véritez de conséquence, Paris. C’est que l’horizon philosophique de l’auteur s’était prodigieusement élargi ; d’un point spécial de la dialectique sortait une conception nouvelle de la pensée, ou du moins de la certitude, une méthode théorique et pratique, de la connaissance, en un mot une philosophie originale, que l’on pourrait appeler dans un sens elogieux la philosophie du sens commun, et qui trouvait comme naturellement sa place entre la métaphysique expirante de Descartes et l’empirisme naissant de Locke.

Buffier exposa ses vues et formula ses théories dans le Traité des premières veniez et de la source de nos jugements, oit l’on e. rumine le sentiment des p/iilosoplies sortes /o-eimeves notions des choses, Paris, 1724, ouvrage réédité la même année et qui devint aussitôt célèbre. Cf. Mémoires île Trévoux, 1724, p. 953 957, I 460 1486. Il esi reçu aujourd’hui de considérer le P. Buffier comme un cartésien ; cf. Alexis Bertrand dans La gronde encyclopédie, t. viii, p. 371, art. Buffier, mais un carté sien modéré qui se servirait de Locke pour corriger Descartes. Francisque Boullier, dans l’Introduction qu’il a écrite en tête de son édition des Œuvres pliilosopluques du Père Buffier, Paris, 1813, n’a pas peu contribué à vulgariser cette erreur. Il est vrai que Bufiier relève « les grands noms de Descartes, du Père Malebranche et d’autres semblables » . Œuvres, p. 4 ; il déclare que les « principes et la méthode de Descartes ont été d’une grande utilité, par l’analyse qu’ils nous ont accoutumé de faire plus exactement et des mots et des idées » , ibid., p. 220 ; mais ces principes, il les rejette généralement, et le procédé du doute méthodique n’est point du tout le sien. Sur l’essence de l’âme et du corps, ibid., p. 183, 224 ; sur la certitude de la réalité du monde extérieur, ibid., p.49sq. ; sur la preuve de l’existence de Dieu, ibid., p. 19, 191 sq. ; sur l’idée de l’infini, ibid., p. 107sq. ; sur la création continue, ibid., p. 185 ; sur l’hypothèse des tourbillons, ibid., p. 209 ; sur les esprits animaux, ibid., p. 184, Buffier pense autrement que Descartes et ne diffère en rien des scolastiques. Bien loin d’adopter au sens cartésien le critérium de l’évidence, de professer de l’estime pour le fameux : « Je pense, donc je suis, » et d’admettre les idées innées, comme on lui en fait honneur, Dictionnaire des sciences p/iilosophiques, Paris, 1875, art. Buffier, sous la signature de Francisque Bouillier, il repousse expressément les idées innées « à les prendre dans leur signification véritable » , Œuvres, p. 18, n’admettant qu’une « disposition » native à penser de telle ou telle manière et expliquant l’origine des idées innées par l’usage des sens, ou de la réflexion. Ibid., p. 170. De l’axiome cartésien, il dit formellement : « Celte fameuse conséquence, Je pense, donc je suis, est dans le fond vraie et légitime ; mais dans le fond aussi elle ne mériterait pas trop la peine d’être faite, et mériterait encore moins qu’on la fit valoir comme une découverte. » Ibid., p. 8. D’ailleurs, elle n’est ni la première ni la plus certaine de nos connaissances. Bemarques sur divers traités de métaphysique, p. 221. Quant au critérium de l’évidence, il le fait consister, et c’est précisément en cela qu’il est original et novateur, non plus seulement, comme Descartes, dans le sens intime, mais bien dans le sens commun : toute sa philosophie porte sur cette base. On ne voit donc pas très bien en quoi le P. Buffier aurait adopté « les principes fondamentaux » du cartésianisme, jusqu’à faire bon marché de « ces accidents absolus auxquels, selon les jésuites, tout philosophe était tenu de croire, sous peine d’impiété » . Ibid., introduction, p. VI, xi ; Dict. philos., loc. cit., p. 217. Car sur ce dernier chef, comme sur les autres, rien n’est plus net que ces déclarations : « Je suis en ce point très éloigné du sen liment des cartésiens et de quelques autres, qui nient absolument qu’il puisse y avoir des accidents absolus, sous prétexte qu’ils n’y comprennent rien : je n’y comprends rien non plus qu’eux ; mais je n’en comprends pas moins qu’il se méprennent manifestement, puisque Dieu peut faire des choses au-dessus de celles qu’eux et moi pouvons concevoir. » Ibid., p. 117 sq. Enfin, il est également erroné de découvrir dans le Traité des premières vérités la condamnation des idées représentatives. Ibid., p. 169, 187. Tous ces jugements superficiels sur la philosophie de Buffier ne sont donc pas recevables, el comment n’èlrc point surpris qu’on ait pu non seulement les formuler, mais leur donner cours jusqu’à celle heure, duranl plus d’un demi-siècle ?

L’inlluence de Locke n’est pas mieux établie. Si le P. Bufiier est souvent d’accord avec lui, c’est surtout pour combattre Descartes ; els’il relevé parfois ses opinions, c’est « sans les chercher » qu’il lésa trouvées sur sa route. Ibid., p. i. Au reste, toute sa théorie du sens commun est en opposition irréductible avec ie sensualisme de Locke. Voir aussi les Remarques sur Locke, p. 225 sq.