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BULGARIE

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motifs presque uniquement politiques : « Les Slaves de la Moravie, qui touchaient aux limites septentrionales des possessions bulgares, venaient d’embrasser le christianisme, convertis par Cyrille et Méthode ; Boris, que ses conquêtes avaient rendu voisin des Francs, se trouvait entouré d’États chrétiens. Il crut donc utile à ses intérêts de recevoir aussi le baptême. A la suite d’une campagne victorieuse contre l’empereur Michel III, il lui offrit la paix à des conditions peu onéreuses et profita de cette circonstance pour faire profession de la foi chrétienne. L’empereur lui servit de parrain et le nom de Michel fut choisi par Boris comme nom de baptême. » L. Lamouche, La Bulgarie dans le passé et dans le présent, in-12, Paris, 1892, p. 62. Voir aussi C. Jirecek, op. cit., p. 154, 155 ; A. Lapôtre, Le pape Jean VIII, p. 49 ; V. Lah, De Borisio seu Michæle I, dans Archiv f’ùr Kirchenrecht, t. XL, p. 274-293 ; t. xi.n, p. 81-120. Conformément aux usages du temps, le souverain contraignit ses sujets à partager ses nouvelles croyances, mais ce brusque changement ne fut pas goûte de tout le monde, surtout des boyars, les chefs de la nation. Une violente insurrection éclata pour renverser Boris du trône et lui substituer un païen ; elle fut étoulfée dans le sang des principaux meneurs.

La date de cet événement capital pour l’avenir de la péninsule balkanique doit se placer à la fin de 804, ou mieux dans les premiers mois de 865. En effet, dans une lettre écrite en 864, le pape saint Nicolas parle de la conversion de Boris comme d’un simple projet, P. L., t. cxix, col. 875 ; de môme, Hincmar écrit dans ses Annales, édit. Pertz, t. I, p. 465, à la date de 864, que l’on s’attend en Allemagne au prochain baptême du roi bulgare ; enfin, dans sa fameuse lettre encyclique, P. G., t. en, col. 724, Photius déclare qu’il ne s’est pas écoulé tout à l’ait deux ans entre l’arrivée en Bulgarie des missionnaires latins, fin de l’année 866, et la conversion des Bulgares opérée par les prêtres grecs.

III. HÉSITATIONS ENTRE HOME ET CONSTANTINOPLE, 866-924. —

Au lendemain de son baptême, Boris demandait à Photius, patriarche de Byzance, un archevêque, des évêques et le cortège obligé d’une hiérarchie régulière, mais soit qu’il méconnût la réalité de la situation, soit qu’il trouvât les Bulgares par trop dénués de culture chrétienne, celui-ci se contenta d’adresser au roi des missionnaires avec une fort jolie lettre. P. G., t. en, col. 627-696. Ce n’était pas ce que voulait Boris. Aussi, moins de deux ans après, envoyait-il une ambassade solennelle à Borne et une autre au roi de Germanie pour en obtenir ce que lui avait refusé Constantinople. Le but intéressé du souverain bulgare apparaît manifestement dans cette double ambassade. Au fond, il se souciait médiocrement d’une suprématie religieuse universelle, d’où qu’elle vint, de Constantinople, de Borne ou d’Allemagne, mais il voyait un empereur d’Orient couronné par le patriarche de Constantinople, un empereur d’Occident couronné par l’évoque de Borne, et son ilair de barbare lui suggérait qu’il ne serait empereur que lorsqu’il aurait son patriarche.

L’habileté, avec laquelle le pape saint Nicolas sut entrer dans les vues de Boris, rendit vains pour le moment tous ses calculs politiques. Une mission partit de Home ayant deux évêques à sa tête, Formose de Porto et Paul de Populania ; elle arriva vers la fin de l’année 866. Ces deux évêques devaient gouverner l’Église bulgare à titre provisoire, en attendant qu’on leur donnât des successeurs définitifs sous la haute juridiction d’un archevêque, dont l’investiture par le pallium appartiendrait au saint-siège. Saint Nicolas résolvait ensuite dans ses 106 Responsa ad Bulgarorum considta, P. L., t. CXix, col. 978 sq., une foule de questions dogmatiques, morales et disciplinaires, posées par le roi bulgare et qui, à défaut d’autre mérite, avaient au moins celui d’être claires, précises, pratiques ; ce qu’on ne

saurait dire de la métaphysique byzantine. Boris s’éprit d’une véritable affection pour Formose, le chef de la mission ; il lui laissa libre carrière pour organiser la chrétienté naissante et renvoyer dans leurs foyers les missionnaires allemands et byzantins qui lui déplairaient. Formose ne se fit pas faute d’user de la permission. Partout, le rite latin fut substitué au rite grec, les églises désaffectées, les chrétiens reconfirmés, au grand scandale de Photius qui dénonçait le fait à toute la chrétienté, en 867. En moins de deux ans, avec une rapidité que Photius lui-même compare à la marche de la foudre, Formose avait établi la foi chrétienne sur les ruines du paganisme. P. G., t. en, col. 721-734. A force de voir Formose à l’œuvre, Boris le réclama au pape comme archevêque, mais saint Nicolas refusa, alléguant le canon ecclésiastique qui prohibait le transfert d’un évêque d’un siège à un autre et, avant de mourir, 13 novembre 867, il mit fin à la mission du légat. Vita Nicolai, c. lxxiv, lxxv, dans le Liber ponti/icalis, édit. Duchesne, t. ii, p. 165 ; Sententia in Formosum, P. L., t. cxxvi, col. 676.

Formose parti, Boris réclama le diacre Marin et, cette fois encore, il se heurta contre un refus. Las enfin de toutes ces tergiversations, il députa une ambassade solennelle au concile œcuménique de 869, réuni à Constantinople, afin qu’il fût tranché définitivement si la Bulgarie relevait de Borne ou de Byzance. Dans une réunion extraconciliaire, tenue en présence de l’empereur Basile I er, des légats du pape, du patriarche Ignace, des représentants des trois patriarches orientaux et des députés bulgares, les Grecs décidèrent, malgré l’opposition des légats romains, que la direction ecclésiastique de la Bulgarie serait dorénavant accordée à l’évêque de Constantinople. Les motifs invoqués furent que la Bulgarie avait appartenu autrefois à l’empire byzantin et que, lors de la conquête, les Bulgares y avaient trouvé des prêtres grecs. Comme les envoyés du pape objectaient avec raison que l’administration de l’Église ne doit pas être subordonnée à des considérations politiques et que le pays des Bulgares formait une partie de l’Illyricum oriental, soumis jusqu’à Léon l’Isaurien aux évêques de Rome, les trois délégués orientaux, d’accord avec Basile et le patriarche Ignace, répliquèrent qu’il n’appartenait pas à des transfuges de l’empire grec, comme l’étaient les Romains, d’exercer la moindre juridiction sur les terres du basileus. Et, sur ce, les Bulgares trompés crurent qu’ils relevaient de Constantinople ; les missionnaires latins, expulsés par Boris, se replièrent sur l’Italie, pendant que l’archevêque Joseph et une dizaine d’évêques grecs prenaient officiellement, au nom d’Ignace, possession de l’Église bulgare, 870. Mansi, Concil., t. xvi, col. 10-13 ; Epistola Hailriani II ad Basilium, P. L., t. cxxii, col. 1310 ; Epistola Johannis VIII, dans Neues Archiv, t. v, p. 300 ; Vita Basilii imperatoris, P. G., t. cix, col. 357 ; J. Hergenrôther, Photius, Patriarch von Conslantinopel, Batisbonne, 1867, t. ii, p. 149-166. Vainement, les papes protestèrent-ils contre cet escamotage indigne et adressèrent-ils des menaces à Boris, à Basile et à Ignace ! Le roi bulgare, content de son archevêque, fit la sourde oreille ; Basile répondit presque par des insultes ; quant à Ignace, il manifesta la même obstination qu’il avait jadis montrée à l’égard de l’usurpateur Photius. Enlin, le pape Jean VIII, 872-882, somma le patriarche byzantin de venir s’expliquer à Rome, et, sur son refus, envoya deux légats à Constantinople avec l’ordre formel d’excommunier et de déposer Ignace, s’il ne rappelait pas de la Bulgarie le clergé grec. Mais, à l’arrivée des légats romains, Ignace était mort, 23 octobre 877, et Photius, réconcilié avec Basile, l’avait remplacé. Jean VIII le reconnut et, au concile de 878, Photius promit de s’entendre avec l’empereur pour le règlement définitif de la question bulgare. La promesse fut tenue, puisque,