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CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

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60000 aux ordres religieux. Ce clergé régulier, environ 23000 moines et 37 000 religieuses, a une bonne part des revenus de l’Église : les 1 272 religieux de l’abbaye de SaintMaur ont un revenu de 8 millions ; les’bénédictins de Cluny de 1 800000 livres. Malheureusement, si dans les 1 500 maisons de religieuses, « sauf dans les vingt-cinq chapitres de chanoinesses, qui sont des rendez-vous demi-mondains de filles nobles et pauvres, presque partout la ferveur, la sobriété, l’utilité sont incontestables, » il n’en est pas de même des congrégations d’hommes. « Toutes sont en voie de dépérissement, plusieurs périssent faute de novices ; » et ce qui est plus déplorable : « Parmi les religieux, une tiédeur générale, en beaucoup de maisons du relâchement, dans quelques-unes des scandales. » Puis, l’institution monastique sert de support à un abus révoltant, la commende, dont ne profite qu’une noblesse prodigue ou débauchée. Quant au clergé séculier, curés et vicaires 60000, prélats, vicaires-généraux, chanoines dos chapitres 2800, chanoines des collégiales 5600, ecclésiastiques sans bénéfices 3000, il souffrait d’autres abus, C’est la minorité, prélats, vicaires-généraux, chanoines, gros décimateurs qui détiennent les honneurs et les richesses. Aussi, ces situations sont-elles réservées aux jeunes gens sortis de la noblesse de cour ou de la haute finance. L’épiscopat lui-même se recrute presque exclusivement dans la noblesse ; il y a 3 ou 4 évêchés « crottés » réservés aux roturiers. Ces privilégiés constituent le haut clergé. La naissance, la situation, les richesses, le luxe ont établi une démarcation profonde, presque de l’hostilité, entre eux et le bas clergé, c’est-à-dire, les curés et les vicaires à portion congrue ; sortis du peuple, qui vivent pauvrement, sans autre espérance que l’espérance du ciel. Ils sont un peu comme ces bas-officiers que l’édit de Ségur arrête impitoyablement dans les rangs inférieurs de l’armée. Il faut le remarquer cependant : « L’épiscopat français en 1789, suivant le jugement de l’abbé Sicard, était bien plus régulier, bien plus recommandable qu’on ne le pense généralement et que ne l’ont dit la plupart des historiens. » Ce qu’on pourrait lui reprocher davantage, c’est de n’avoir pas su prévoir et de s’être tenu trop longtemps comme isolé du bas clergé et du peuple.

2° Les cahiers de 1789. — Quoi qu’il en soit, les cahiers de 1789, cahiers du clergé, auxquels le bas clergé a d’ailleurs participé, comme cahiers de la noblesse et du tiers, protestent contre ces abus : tous ou à peu près demandent, par exemple, une amélioration du sort des curés. Mais tandis que le clergé avait su borner les demandes de réformes et surtout demander qu’elles se fassent suivant les voies canoniques, le tiers et la noblesse ne se gênent pas pour demander des réformes radicales, comme la suppression des ordres religieux et l’attribution de leurs biens à des œuvres d’enseignement ou de charité. Certains cahiers du tiers et quelques cahiers du clergé vont jusqu’à demander avec le clergé du bailliage de Toul « le rétablissement de la pragmatique sanction, la suppression de tous les concordats et induits par lesquels les souverains pontifes auraient accordé à Sa Majesté la nomination aux places ecclésiastiques » . Cf. Brette, loc. cit. ; E. Champion, La France en ilSO d’après les cahiers des États généraux, in-12, Paris, 1897.

La Constituante.

Quelles étaient vis-à-vis de

l’Eglise les dispositions de la Constituante qui allait se proclamer l’héritière des droits et des prétentions du souverain ? De toutes les passions « l’une des plus obsédantes chez les constituants, comme chez la plupart des Français éclairés du xviiie siècle, a écrit M. Sorel, était la passion antireligieuse » ; mais les constituants ne s’en doutaient pas, de même qu’il y avait chez eux un état d’esprit républicain, tandis qu’ils protestaient de leur amour pour le roi. Sans doute, le

tiers comprenait < des libres-penseurs de profession, adversaires invétérés de toute croyance religieuse et de toute Église établie » . comme Mirabeau, des adeptes du néo-christianisme de Rousseau, comme Robespierre, « des protestants à peine affranchis des lois iniques, qui leur imputaient leur foi à titre de trahison et chez lesquels l’esprit de l’Évangile tempérait difficilement, lorsque la suprématie de l’Église catholique était en jeu, l’horreur d’un siècle entier de persécution » comme Barnave, et tous pèseront d’un lourd poids dans les questions religieuses ; mais la plupart des députés du tiers s’affirmaient catholiques et avaient des façons chrétiennes de parler et de vivre. Cette majorité était peu faite néanmoins pour traiter de sang-froid la question religieuse : 1° parce qu’elle est composée de bourgeois qui détestent dans l’Église « un corps privilégié et très opulent » ; 2° parce que ces bourgeois sont imprégnés de ce gallicanisme parlementaire, qui ne laisse aucun doute sur l’omnipotence de l’État, et qui fait d’eux les ennemis de Rome, suprême rempart de l’indépendance du clergé ; leur type est Camus. Il y a parmi eux « quelques représentants attardés du jansénisme » que distingue seulement une plus grande animosité vis-à-vis de Rome ; le type est ici Treilhard. Il faut le remarquer : le jansénisme n’a pas eu d’autre influence sur la constitution civile. Ses représentants les plus connus, en dehors de l’assemblée se diviseront même sur la question. Maultrol et Jabineau, par exemple, seront les adversaires irréconciliables de cette réforme ; 3° parce qu’enfin ils manquent d’esprit politique et d’expérience. Voulant reconstituer rationnellement la France, ils poseront des principes généraux dont ils prétendront réaliser toutes les conséquences logiques, plus ou moins utopiques. « Dans le Tiers-État, dit Taine, sur 577 membres, dix seulement ont exercé de grandes fonctions, celles d’intendant, de conseiller d’État, de receveur-général… La grosse majorité se compose d’avocats inconnus et de gens de loi d’ordre subalterne…, enfermés depuis leur jeunesse dans le cercle étroit d’une médiocre juridiction ou d’une routine paperassière, sans autre échappée que des promenades philosophiques à travers les espaces imaginaires, sous la conduite de Rousseau et de RaynaJ. » La noblesse, non seulement la noblesse libérale que conduit le duc d’Orléans, mais l’ordre presque entier, est indifférent en matière de religion. Beaucoup de nobles sont « philosophes » à la façon de Voltaire et peu seraient fâchés de voir frapper l’ordre rival, encore qu’eux-mêmes profitent de ses abus. Quant au clergé, sera-t-il uni pour faire front ? Ses 291 représentants comprennent 83 membres du haut clergé : 42 prélats et 35 abbés, et 208 curés. Or, entre ceux-ci et les premiers il y a une scission profonde, on l’a vu. Beaucoup de prélats, habitués à manier les hommes et les affaires, auraient de l’expérience, mais ils sont des chefs sans armée. Les curés ne les suivent pas. En beaucoup de bailliages, les curés se sont fait élire contre des membres du haut clergé ; à l’assemblée, ils suivront le tiers dont tout les rapproche : la naissance, les doctrines gallicanes et parfois jansénistes et les passions égalitaires. Ils veulent une amélioration à leur sort ; ils aspirent à plus d’égalité : or, ils ne sont pas habitués à regarder vers Rome ; de leurs chefs ils n’attendent rien : toute leur espérance est dans le tiers. Le type et en quelque sorte le chef des évêques députés est l’archevêque d’Aix, Boisgelin ; le type et en quelque sorte le chef des curés est Grégoire. Le lu juin 1789, cinq semaines après l’ouverture des États généraux, tandis que durait encore la crise provoquée par la vérification des pouvoirs, c’est-à-dire en réalité du vote par ordre auquel étaient hostiles la majeure partie de la noblesse et des évêques, Grégoire faisait paraître une Nouvelle lettre d’un curé à ses confrères députés aux États généraux,