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CROYANCE


n’: ions garde d’expliquer, avec Hume, la croyance tout entière par l’intensité de l’image, comme si les idées accompagnées d’un coloris plus vif et plus intense (lively ideas) arrivaient par cela seul à se faire donner

'i nos veux une valeur objective, à faire croire à leur

réalité, dette hypothèse est contraire à l’expérience ; le savant croit à des vibrations infinitésimales, d’une vitesse inimaginable, dans un milieu élastique qu’il ne peut se figurer ; tous nous croyons à des objets que nous avons beaucoup de peine à imaginer, et en revanche nous tenons pour irréelles des eboses que l’imagination nous dépeint avec la plus grande vivacité et la plus grande netteté.

Le sentiment.

Son iniluence sur nos jugements

est une vérité trop banale pour y insister. Observons seulement que cette influence est souvent occulte, de sorte qu’en obéissant à nos sentiments nous croyons obéir à la raison seule. « C’est que l’idée, par sa netteté, s’impose à l’attention qui la discerne facilement ; au contraire, nous avons la plupart du temps une difficulté extrême à démêler nQS sentiments, et parce que ce sont des états naturellement diffus, à contours vagues, et parce que trop subjectifs, peu faciles à communiquer, nous n’avons qu’un langage imparfait pour les exprimer ; il leur a manqué ce puissant instrument d’analyse et de distinction qu’est le langage. » Pavot, op. cit., p. 178. Rien d’élonnant d’ailleurs à ce que l’intelligence, comme le dit saint Thomas, connaisse mieux ses propres actes que ceux de la partie affective. Ce fait explique : 1. comment on a pu nier l’influence si réelle de nos sentiments sur nos jugements ; 2. comment on peut garder l’entière certitude d’une croyance, bien qu’elle soit en partie l’œuvre d’un sentiment subjectif et aveugle : averti, on commencerait peut-être à douter : mais, pour le moment du moins, cette influence reste ignorée ; 3. comment le physique réagissant sur le moral, la sensation sur le sentiment, nous sommes certains ou incertains d’une même chose après une bonne ou une mauvaise digestion, optimistes dans la force et la joie de la jeunesse, pessimistes dans rabattement et la tristesse de l’âge ; 4. comment le sentiment mobile et vague, puissant un jour, est souvent affaibli le lendemain, ou tourné dans un autre sens, tandis que l’idée, le motif intellectuel, grâce à la conscience plus nette que nous en avons, grâce au langage qui la précise, grâce à son objet qui est la vérité objective et immuable, se fixe vite et solidement dans la mémoire, s’y réveille aisément, garde sa force toujours jeune ; ainsi peut-elle, au moins à la longue, l’emporter sur l’émotion ; ainsi n’est-il pas à craindre que notre intelligence soit toujours, même dans ses assertions les plus contrôlées, le jouet d’un sentiment embusqué qui la surprenne.

Au reste, la bonne direction des sentiments et des affections est pour la vérité un précieux auxiliaire. Et ce n’est pas seulement en supprimant des obstacles, en dominant les passions troublantes, que l’amour du bien influe sur la certitude des vérités morales et religieuses : il peut donner des lumières positives, une appréciation plus délicate et plus sûre, qui, à raison de son origine affective, se rattachera à la catégorie de la croyance. « Il y a deux manières, dit saint Thomas, d’arriver à la rectitude du jugement. La première est l’usage parfait de la raison ; la seconde est une sorte d’adaptation morale à l’objet dont il faut juger. Par exemple, en ce qui concerne la chasteté, celui qui possède la science des mœurs en juge correctement à l’aide des recherches de la raison : niais celui qui a l’habitude d’une vie chaste a un jugement très droit en cette matière grâce à une certaine harmonie sympathique entre lui-même et cette vertu, per guamdam connaturalitatem ad ipsam. S ton. t licol., 1 1° II", q. m.v, a. 2 ; cf. q. LI, a. 3, ad l um. N’admet-on pas également

qu’un homme d’honneur a le sens profond des délicatesses de l’honneur, et en juge mieux qu’un autre ? qu’un homme de grande probité décider ;) bien les questions de probité et de justice ?

L’influence d’autrui.

Elle revêt deux formes

très différentes, l’une nous prend par la raison, l’autre d’une manière plus mystérieuse par l’imagination et le sentiment.

1 rc forme : l’autorité du témoignage. — Une fois prouvées la compétence et la véracité du témoin, c’est un véritable motif intellectuel, et l’une des sources les plus importantes de nos connaissances. Elle est tout dans les sciences historiques, beaucoup dans les autres sciences, et pas seulement pour leur vulgarisation, car les plus savants eux-mêmes doivent souvent se fier aux calculs et aux expériences des autres, et à l’autorité des spécialistes en dehors de leur partie ; plus les branches de la science et les spécialités se multiplient, plus s’en rapporter à l’autorité devient nécessaire. Aussi a-t-on peine à comprendre le préjugé moderne qui oppose en rivale la raison à l’autorité, ainsi que la lumière aux ténèbres : comme si l’autorité n’était pas une raison. « Le langage et les opinions populaires, observe M. Balfour, ont enraciné profondément dans les esprits l’idée que l’autorité ne joue d’autre rôle dans l’économie générale de la nature, que d’offrir un asile à tout ce qui est par excellence bigot et absurde. » C’est que, pendant trois siècles, on s’est battu sur ces mots d’autorité et de raison. « Ce sujet, comme tous ceux ayant eu le privilège de faire naître des débats passionnés, a subi l’influence perturbatrice et envenimée du mot d’ordre des partis. » Les bases de la croyance, p. loi, 160. D’ailleurs, rien de nouveau sous le soleil : les gnostiques et les manichéens attaquaient déjà la foi à l’autorité, en lui opposant la raison et la science ou gnose. Un thème fréquent chez les Pères de l’Église consiste à leur montrer quel grand rôle la foi au témoignage des autres joue dans toute notre vie.

2e forme. — Ce n’est pas seulement par leur autorité de témoins, par leur compétence de savants, que les autres hommes agissent sur nos jugements : ils ont une autre influence moins remarquée, mais souvent très efficace. On sait combien les mouvements de l’âme, exprimés sur les traits et dans tout l’extérieur, sont contagieux, avec quelle rapidité se communiquent spontanément la tristesse, les pleurs, le rire, l’enthousiasme, la terreur panique : soit sympathie des âmes, soit instinct d’imitation, soit effet nerveux. L’orateur persuade par la fascination de son regard, par l’énergie de son geste, parles vibrations, l’intensité et le timbre même de sa voix, par la fermeté sans hésitation avec laquelle il affirme. Les foules ont sur l’individu qu’elles enveloppent un pouvoir de suggestion encore plus grand.

Autres exemples. L’esprit de corps, de nationalité, dirige nos jugements en nous saisissant par le cœur, par les souvenirs, par l’amour du drapeau. La crainte ou le respect de ceux qui nous commandent, la sympathie pour nos amis, nous entraîne insensiblement à partager leurs croyances, leurs opinions. La tyrannie de la mode nous prend par l’amour-propre : nous aurions honte de paraître rustiques, naïfs, attardés, mal informés ; nous voilà forcés de nous occuper de telle « actualité » . et de répéter là-dessus le jugement qui circule, d’admirer tel artiste mis sur le pavois, d’adopter telle hypothèse en vogue, de condamner telle doctrine démodée. Ceux mêmes qui professent le culte de la raison se trouvent ainsi obéir à autre chose qu’à des raisons. « Le rationaliste, dit M. Balfour, rejette les miracles ; et si vous l’entraînez à une discussion, il tirera s ; ms doute des vastes magasins de la controverse ancienne une foule d’arguments à l’appui de son opinion. Mais ne croyez pas pour cela que son opi-