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CROYANCE


croyance sans aucun motif intellectuel, voir col. 21577. il ne l’est pas d’échafauder sur un molif peu sérieux une certitude subjective, en faisanl glisser l’esprit de l’opinion hésitante à la ferme croyance, c’est-à-dire en supprimant le doute sérieux et prudent qui se mêlait à 1 opinion. L’expérience prouve jusqu’où peut aller l’opiniâtreté dans un système, et comment l’on peut proclamer très certaines des théories qui ne le sont que pour leur auteur. « Certitudes en paroles, dira-t-on : affirmation des lèvres, et non pas de l’esprit. » Au début, oui, l’esprit avait plus ou moins conscience d’affirmer trop fortement, la volonté cherchait à s’encourager et à s’étourdir du bruit des paroles. Mais en s’obstinant elle finit par avoir raison du scrupule intérieur, du malaise primitif ; l’esprit finit par affirmer avec sérénité, il ne distingue plus cette certitude factice des certitudes les mieux fondées. « La certitude d’adhésion, dit saint Thomas, appartient non seulement à la croyance vraie, mais encore à la croyance fausse ; car la croyance, comme l’opinion, se divise en vraie et en fausse ; et l’on adhère avec la même fermeté à l’erreur qu’à la vérité. » Quodlib., VI, a. 6.

Ainsi le fait est matériellement possible. Est-il légitime ? Non. Si la volonté a le pouvoir de régir et de mouvoir toutes les facultés humaines et même l’intelligence, comme un père de famille gouverne tous les membres de la société domestique, elle a aussi le devoir de « se conduire en bon père de famille » , de ne pas léser les facultés, de ne pas les employer contre leur propre nature. Or, la nature de l’intelligence est d’affirmer comme certain ce qui paraît certain, mais aussi comme probable ce qui ne paraît que probable, a C’est une partie de bien juger que de douter quand il faut, dit Bossuet. Celui qui juge certain ce qui est certain, et douteux ce qui est douteux, est un bon juge. » Connaissance de Dieu, c. I, n. 16, p. 68. La volonté n’a donc pas le droit d’arracher l’intelligence à un doute sérieux et prudent, pour la précipiter dans l’affirmation absolue. Lui donner ce droit, ce serait justifier tous les fanatismes, toutes les illusions, toutes les folies. Il est vrai, quelques penseurs contemporains ne craignent pas ces redoutables conséquences. M. Payot, ne trouvant à la morale aucun fondement certain, parce qu’il faut pour la fonder, d’après lui, pénétrer dans « l’inconnaissable » , croit toutefois sortir de la « crise morale » par la volonté qui fera du certain avec de l’incertain, qui sur la base branlante d’une « hypothèse métaphysique » de son choix, bâtira le ferme édifice de la croyance, et décrétera qu’il n’y a^plus à douter : sic volo, sic jubeo, stat pro ralione vohinlas. « La moralité, dit-il, est une affaire de ehoix intelligent entre les hypothèses métaphysiques concernant la signification de la vie humaine, mais le clioix fait, nous avons le pouvoir de le transformer en une croyance d’une énergie incoercible. » Préface, p. XII.

Par tout ce qui précède on voit combien fausse est la thèse qui, au nom d’un intellectualisme exagéré niant l’influence de la volonté sur nos jugements, proclame que personne n’est responsable de ses états d’esprit, conviction, doute, etc. : pas plus qu’un miroir n’est responsable de refléter ce qui se présente à lui. C’est la thèse, par exemple, de Samuel Bailey dans ses Essays on the formation and publicatiori of opinions. Il est vrai, dans les questions difficiles et complexes, bien des hommes sont parfaitement excusables de douter de la vérité, parce que n’ayant pas tous les éléments nécessaires, sans qu’il y ail de leur faute, ils sont dans l’impossibilité de croire, ou bien parce qu’ils subissent à leur insu l’influence de sentiments ou de préjugés dont ils ne sont pas responsables ; tous les théologiens admettent qu’il y a des incroyants auxquels la foi n’est pas suffisamment présentée pour qu’ils soient tenus de croire, qu’il y a des hérétiques de bonne foi, des erreurs invincibles et excusables, même contre la foi naturelle ;

que la théorie, qui fait de toute erreur un péché, est me et fausse. Mais c’est tomber dans l’autre extrême, et contredire également la révélation et la raison, que de considérer généralement les convictions et les doutes connue des fatalités de l’esprit, dont notre personne morale ne serait jamais responsable. Elle l’est souvent : soit qu’elle se montre actuellement infidèle à sa conscience qui l’avertit, soit que le mal remonte plus haut et que la responsabilité’apparaisse plus indirecte et plus éloignée.

2° Croyances légitimes dont le motif intellectuel n’a qu’une suffisance relative. — Prenons comme exemple les croyances que nous voyons l’enfant retirer de son éducation. Ce ne sont pas des assertions chancelantes, des opinions ; ce sont bien des convictions très fermes, des croyances. Quelques vérités, d’une démonstration courte et facile, sont retenues par l’enfant avec leur démonstration même : alors la certitude vulgaire qu’il en a ne diffère pas essentiellement de la certitude scientifique, bien qu’elle manque de formules précises, d’analyse et de réflexion. Mais la plupart des convictions de l’enfant ne s’appuient que sur des motifs intellectuels qu’un esprit plus développé jugerait insuffisants pour lui-même, par exemple, celui-ci. perçu à l’état confus et implicite : « Mes parents ine disent la vérité. » Ce motif, qui ne suffirait pas à tout le monde, a pour lui une suflisance relative, grâce à la coopération de certaines causes que nous avons étudiées, voir col. 2372 sq.. l’ignorance des difficultés, l’imagination et l’action, le sentiment, l’influence d’autrui. l’habitude. Ces circonstances subjectives suppléent à ce qui manque au motif objectif pour produire la fermeté d’adhésion. Mais par le fait même qu’elles sont subjectives et n’ont pas dans le détail un lien nécessaire avec la vérité, elles ne garantissent pas chacune des croyances qu’elles contribuent à former, si vraies soient-elles par ailleurs : elles permettent même à l’ivraie de croître au milieu du bon grain.

Et cependant cette ferme adhésion de l’enfant est légitime, et suffisamment justifiée ; car non seulement elle est conforme au naturel développement de l’esprit, mais elle est la base nécessaire de l’éducation intellectuelle et morale. Veut-on que, sous prétexte de supprimer toute chance d’erreur, les enfants se mettent à douter des plus graves assertions de leurs parents et de leurs maîtres, remplacent la croyance par l’opinion, fassent de la critique, exigent des documents ? Qu’arrivera-t-il ? Us entreprendront des enquêtes impossibles à leur âge, ils n’aboutiront qu’à se rendre ridicules, ils manqueront des bases nécessaires de toute science, des vérités indispensables à la vie, ils rendront impossible l’éducation de leur esprit et de leur cœur, ils tomberont dans un scepticisme précoce, qui les rejettera dans l’animalité et qui sera bien autrement difficile à guérir que la trop naïve crédulité de l’enfance. Cf. Ralfour, op. cit., p. 155, 171. Et ce qui est vrai pour les enfantsl’est aussi pour la grande multitude des esprits que les conditions de la vie condamnent à ne pas monter, intellectuellement, beaucoup plus haut, surtout dans les peuples peu ou point civilisés. Voilà ce qu’auraient du méditer ces rationalistes et ces critiques, grands dévots de la « vérité à tout prix » , toujours préoccupés du but négatif d’arracher à quelque prix que ce soit tout préjugé et toute erreur, même inoffensive, et pas assez soucieux du but positif de donner à tous les esprits la formation la plus nécessaire et la santé fondamentale. Ils ressemblent à ces scrupuleux de l’hygiène, qui passent leur vie à fuir toutes les maladies, qui absorbent leurs forces dans les soins les plus minutieux, et nuisent à leur santé en y pensant toujours. « De même, observe Ward, si tous les hommes liaient ainsi occupés à élaguer ce qu’il y a de trop dans leur adhésion intellectuelle, et à renverser les certitudes dont ils ne peuven