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CLARKE

dance et cette autorité suprême par laquelle Dieu, le Père universel, se distingue. » Le Fils, quelles que soient la grandeur et la dignité divine que lui attribue l’Écriture, est évidemment subordonné au Père, de qui il tire son être, ses attributs et ses pouvoirs, p. 155. Le Saint-Esprit est aussi évidemment subordonné au Père ; l’Écriture le représente également comme subordonné au Fils ; cela par nature, et aussi par la volonté du Père, p. 179. En conséquence, l’honneur suprême ou adoration n’est dû qu’à la personne du Père, seul auteur suprême et origine de tout être et de tout pouvoir ; tout honneur rendu au Fils qui nous a rachetés, ou au Saint-Esprit qui nous sanctifie, doit être compris comme tendant finalement à l’honneur et à la gloire du Père, en vertu du bon plaisir duquel le Fils nous a rachetés et le Saint-Esprit nous sanctifie, p. 179-185. Dans une troisième partie, l’auteur examinait les différents textes de la liturgie anglicane où est exprimé le dogme de la trinité, et s’efforçait de les interpréter dans le sens de sa thèse.

Bien que Clarke protestât en maint passage de son livre de son horreur pour les doctrines ariennes, de nombreux adversaires se levèrent aussitôt contre lui, l’accusant à bon droit de manquer à la foi de Nicée. Wells, Nelson, Waterland engagèrent avec lui, au cours de l’année 1713, une violente polémique dans laquelle Clarke fut contraint de préciser encore ses opinions hétérodoxes. Works, t. iv, p. 225 sq. D’ailleurs, le recteur de Saint-James n’était pas seul ; et plusieurs de ses amis s’avouaient hautement pour les tenants des doctrines qu’ils appelaient « eusébiennes » . Whiston, Historical memoirs, p. 12 sq., 32 sq. ; Taine, Histoire de la littérature anglaise, Paris, 1895, t. iii, p. 281. Voltaire écrivait d’eux quelques années après : « Il y a en Angleterre une petite secte composée d’ecclésiastiques et de quelques séculiers très savants, qui ne prennent ni le nom d’ariens, ni celui de sociniens, mais qui ne sont point du tout de l’avis de saint Athanase sur le chapitre de la trinité, et qui vous disent nettement que le Père est plus grand que le Fils. » 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 55. La reine Anne, elle-même, avait dû s’élever en plein parlement, le 5 avril 1714, contre « ces hommes qui devraient se tenir tranquilles, et se mêler de leurs affaires, plutôt que de ressusciter des questions et des disputes d’une nature trop haute » . Clarke devait s’attendre à un procès en règle. Le 2 juin 1714, la Chambre basse de la « Convocation » ou concile provincial de Canterbury adressa une plainte aux évêques qui composaient la Chambre haute contre son livre, « comme contenant des assertions contraires à la foi catholique, telle qu’elle est reçue et expliquée par l’Église réformée d’Angleterre. » Le 23 juin, les passages qui semblaient les plus répréhensibles furent produits devant les évêques ; Clarke fut invité à s’expliquer. Le 26 juin, il se justifia, en ne rétractant rien de ses théories, mais en apportant à leur appui de nombreux textes des Pères de l’Église et des grands théologiens anglicans. Le 2 juillet, sur la demande des évêques, il condensa sa doctrine dans cette proposition : « Le Fils de Dieu est engendré de toute éternité par l’incompréhensible pouvoir et volonté de son Père ; le Saint-Esprit dérive de même du Père par le Fils. » Works, t. iv, p. 553. Clarke déclara de plus qu’il n’avait pas l’intention de prêcher ou d’écrire de nouveau sur la matière de la trinité, et se défendit d’avoir supprimé dans son église certaines parties du service divin, entre autres la récitation du symbole d’Athanase. Dana une lettre du 5 juillet 1714, adressée à l’évêque de Londres, il tint à bien spécifier qu’il s’expliquait, mais ne se rétractait pas. Le même jour, les évêques déclarèrent « qu’il n’y avait pas lieu de procéder contre les textes produits par la Chambre basse, et que les explications données par Clarke seraient conservées aux archives de la Chambre » . La Chambre basse protesta avec indignation, le 7 juillet, contre cette absolution donnée à Clarke « sans aucune rétractation de ses hérésies » ; mais les évêques tinrent bon, et l’affaire en resta là. Ibid., p. 557, 558.

Toutes les pièces de ce curieux procès, qui en dit long sur l’état des esprits dans l’Église anglicane au début du xviiie siècle, se trouvent dans les Œuvres de Clarke, t. iv, p. 542 sq.

A la suite de ce procès, Clarke fut vigoureusement attaqué par plusieurs de ses amis comme n’ayant pas soutenu ses idées avec assez de franchise, Winston, Historical memoirs, p. 66 sq. ; pris de remords, il se refusa, jusqu’à la fin de sa vie, à accepter aucun emploi ecclésiastique qui l’obligerait à souscrire de nouveau les 39 articles ; c’était se fermer la route des premiers honneurs. Voltaire, 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 56, raconte que la reine Anne ayanl pensé à lui pour l’archevêché de Canterbury, l’évêque Gibson arrêta la nomination par cette simple remarque : « Madame, M. Clarke est le plus savant et le plus honnête homme du royaume, il ne lui manque qu’une chose. — Et quoi ? dit la reine. — C’est d’être chrétien, » dit le docteur bénévole. Dans son emploi même de recteur de Saint-James, Clarke eut jusqu’à la fin de nombreuses difficultés avec ses paroissiens, qui plus d’une fois le dénoncèrent à l’évêque de Londres comme supprimant ou altérant dans l’office divin les textes liturgiques où le dogme de la trinité était clairement énoncé. Whiston, Historical memoirs, p. 53, 76 sq.

Pour dédommager Clarke des hautes situations ecclésiastiques que ses scrupules de conscience ne lui permettaient pas d’accepter, ses puissants amis de la cour lui firent offrir en 1727, à la mort de Newton, le poste de directeur de la Monnaie, que celui-ci avait occupé ; Clarke refusa noblement, l’emploi lui semblant incompatible avec ses devoirs de pasteur.

Pendant les dernières années de sa vie il se consacra tout entier aux questions de philosophie et de théologie naturelle qui ne l’engageaient pas dans d’aussi brûlantes controverses. « Cet homme, écrivait Voltaire, est d’une vertu rigide et d’un caractère doux, plus amateur de ses opinions que passionné pour faire des prosélytes, uniquement occupé de calculs et de démonstrations, aveugle et sourd pour tout le reste, une vraie machine à raisonnements. » 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 56.

Après la mort de la reine Anne, Clarke devint un des intimes de la princesse de Galles, plus tard la reine Caroline, femme de George II. Chaque semaine, la princesse réunissait un petit cercle de savants pour des entretiens philosophiques ; le recteur de Saint-James était un des plus assidus à ces réunions. En novembre 1715. Leibnitz avant publié une lettre où il se plaignait du progrès de l’incrédulité en Angleterre et l’attribuait en partie aux doctrines philosophiques de Locke et de Newton, la princesse Caroline invita Clarke à prendre la défense du grand astronome son ami, et se chargea de transmettre à Leibnitz sa réponse ; il s’exécuta, et une correspondance très intéressante s’engagea entre les deux savants ; elle dura jusqu’à la mort de Leibnitz (14 novembre 1716). Clarke la publia lui-même en 1717. Elle comprend cinq lettres de chacun des adversaires, reproduites dans les Œuvres complètes de Clarke, t. iv, p. 575 sq. Les questions les plus intéressantes, abordées sans grand ordre dans cette correspondance, se rapportent au dogme de la providence, aux notions de l’espace et du temps, à la défense de la liberté humaine.

Leibnitz avait attaqué Newton comme soutenant que Dieu était obligé continuellement de « corriger et retoucher son ouvrage par un concours extraordinaire » . « Selon mon sentiment, ajoutait-il, la même force et vigueur subsiste toujours dans le monde, et passe seulement