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CONSCIENCE

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I. La conscience psychologique.

îl y a deux consciences, la psychologique et la morale. Il nous faut brièvement déterminer la première, parce qu’elle est un des éléments constitutifs de la seconde qui nous occupe ici.

1° La conscience psychologique est Vaperceplion par laquelle l’homme se connaît lui-même dans une vue intérieure. Mon esprit agit, perçoit des élres, raisonne sur des idées, il sait qu’il agit, qu’il perçoit ou raisonne ; il a conscience de ses opérations. Ma volonté hésite, délibère, se décide, ordonne ; mon esprit suit les phases par lesquelles passe mon vouloir, il en a conscience. Un coup me frappe, froisse mes chairs, les déchire, irrite mes nerfs, une sensation violente me fait ressentir une vive douleur, j’ai conscience d’avoir été frappé et de souffrir. Telle est la conscience psychologique, c’est-à-dire l’aperception du moi, de ses actes produits, des opérations faites ou des impressions reçues. Par elle l’homme se connaît, mais incomplètement. S’il fut jamais vrai dédire que nous ne savons le tout de rien, c’est particulièrement quand il s’agit de nous-mêmes. Longtemps l’homme s’ignore : ce n’est que peu à peu que sa vie se révèle à lui, qu’il en prend conscience et qu’il arrive à se conduire dans le dédale des multiples séries d’actes dont se compose la trame de son existence. Et encore il n’atteint jamais, par la force de son regard intérieur, les dernières régions de son être. Il y a toujours chez nous de l’inconscient, des événements produits par notre évolution vitale en nous et à notre insu.

2° La philosophie scolastique nous donne deux règles en vertu desquelles il est possible d’établir les frontières de la conscience psychologique. Tout ce qui est en dehors de ces frontières appartient à l’inconscient. La première règle est ainsi exprimée par saint Thomas, Sum. (/i< ?oL, I a, q. lxxxvii, a. 1 : Unumquodquc cognoscibile est secundum quod est in aclu et non secundum quod est in potentia, ut dicitur Met., 1. IX, text. 20. Si l’on en croit Aristote, au 1. IXe de sa Métaphysique, une chose est connaissable quand elle est en acte et non quand elle est en puissance. Nous n’avons pas à développer ici tout au long cette théorie métaphysique appliquée à la psychologie. Visons-en seulement les conséquences utiles à notre sujet : il n’y a pour être connaissable, et donc conscient, que ce qui est acte ou opération de l’âme. Tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’activité n’est pas duressort de la conscience.

1. Il suit de là qu’il faut ranger dans le domaine de l’inconscient tout ce qui n’est pas acte ou opération. Ainsi se précise le champ de l’inconscience morale et de l’irresponsabilité. L’homme possède un corps, il n’en a pas conscience avant que ce corps ne se soit trahi dans une sensation, c’est-à-dire dans un acte. Il possède une âme, et il n’en sait rien avant que les opérations intellectuelles ne se soient levées à l’horizon de son esprit. Ce corps et cette âme sont unis, et leur union, n’étant pas un acte, échappe par là même au regard de la conscience. Le corps apporte en lui toute une hérédité — nous y reviendrons au sujet des origines de la conscience morale — toute une série de dispositions organiques à la santé ou à la maladie, une souplesse pour certains actes, une particulière apathie pour d’autres : tout cela encore est inconscient, jusqu’à ce que la vie active l’ait révélé. Les actes seuls tombent directement dans le champ de la conscience. Si je pense, si je veux, si je souffre, si je vois la plaine émaillée de fleurs, si j’entends le souflle du vent dans la forêt, si je respire le parfum répandu par le printemps dan3 la nature, j’en ai conscience, je le suis. parce que ces choses, étant des opérations vitales, sont aptes a impressionner ma conscience.

2. Si les acte manifestent, ils ne manifestent pas qu’eux à la conscience. A cause du lien nécessaire,

évident, qui les unit à la faculté qui les émet, à l’âme où ils naissent, celle-ci trahit en eux son existence, et quand la pensée fleurit en moi, elle ne s’y montre pas impersonnelle, mais vivante, mais jaillissant de mon esprit et de mon âme. Ici se trouve la source de la responsabilité, car je prends alors conscience à la fois de ma pensée et, en elle, de moi ; ma conscience s’exprime alors par cette formule : Je pense, je vois une pensée, cette pensée est en moi, à moi, et de moi.

Mon être, inconscient jusqu’au premier acte émis par lui, devient conscient par cet acte et en lui. Et encore ne l’est-il pas entièrement. Son existence se révèle dans son activité, mais sa nature reste cachée et il faudra à l’esprit une longue série de raisonnements, d’expériences et d’observations pour arriver à prouver la spiritualité, la simplicité, l’immortalité du principe pensant.

3° De cette loi de la conscience psychologique découle cette conséquence très grave pour la conscience morale que le surnaturel, étant un être et non un acte, est inconscient. Donnez, par le baptême, les Ilots de la grâce sanctifiante à un néophUe adulte ; avec la grâce arriveront dans l’âme et ses facultés, les vertus de foi, d’espérance et de charité ; ajoutez au baptême la confirmation, laquelle apportera avec elle les dons du Saint-Esprit ; le néophyte n’aura aucune conscience, c’est-à-dire aucun sentiment, aucune vue nette de la grâce, des vertus et des dons déposés en lui : il ne saura pas, par son expérience personnelle et inlcrne, qu’il est en état de grâce, qu’il possède les vertus théologales et les dons du Saint-Esprit. Dans ce sens, on peut dire avec l’Ecclésiaste, ix, 1 : Kescit homo atrum amore an odio dignus sit. L’homme ne sait pas s’il est digne d’amour ou de haine ; sa conscience ne lui dit pas si le surnaturel habite en lui et le rend digne d’amour, ou si, le surnaturel absent, il mérite la haine. Que ce néophyte récite l’acte de foi d’une volonté sincère, qu’il s’abandonne aux élans de l’espérance ou aux effusions de la charité : il prendra conscience de ces actes et, à leurs motifs, il les saura surnaturels, mais les opérations surnaturelles seules sont conscientes.

On ne pourra même pas dire qu’en elles les vertus qui les inspirent, la grâce sanctifiante qui leur sert de substratum, se trahissent à la conscience, comme l’âme et l’esprit se trahissent à la pensée. Car la pensée est essentiellement liée à l’esprit et à l’âme et ne peut pas vivre en dehors de l’un et de l’autre ; les actes de foi, d’espérance, peuvent être produits par une âme qui n’a ni la grâce sanctifiante, ni ces deux vertus : les actes de charité produisent cette vertu chez l’homme, mais peuvent naître sans elle ; s’ils lui sont liés comme le principe à ses conséquences, ils ne lui sont donc pas rattachés comme le ruisseau à sa source, comme l’effet à sa cause. Le surnaturel habituel, qu’il soit don, vertu ou grâce sanctifiante, échappe donc toujours à la conscience normale. Il faut en dire autant du prélernaturel, qui, lui aussi, est habitude ou action, et ne tombe sous l’intuition de la conscience que dans le second cas.

4° Nous avons observé qu’il y a une seconde règle qui permet de circonscrire le champ de la conscience. Si les acte : -, seuls sont conscients, fous les actes ne lr xi, ni pas. Il y a, chez moi, une circulation du sang qui est un mouvement et un acte perpétuels, mie multiple élaboration de sucs vitaux, des sécrétions variées, une assimilation et une désassimilation, en un mut, mie foule de phénomènes réellement actifs, appartenant à révolution de la vie et dont la conscience psychologique ne soupçonne pas d’ordinaire l’existence. I.a piaule n’a pas conscience, et cependant elle agit. L’animal et l’homme qui sont des plantes d’une certaine manière, par la vie végétative, n’ont pas d’habitude le sentiment de cette vie, ni de ses opérations.