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CLEMENT XI

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le pape blâmait ceux qui, par un silence respectueux, prétendaient obéir aux constitutions apostoliques, et ajoutait : « Le sens condamné dans les cinq propositions du livre de Jansénius, tel que les mots le comportent, doit être condamné par tous les fidèles comme hérétique, et cela non seulement de bouche, mais de cœur ; et on ne peut licitement souscrire avec d’autres dispositions le formulaire. » Voir Jansénisme.

L’assemblée du clergé de France reçut cette bulle au mois d’août, mais en l’accompagnant de commentaires qui blessèrent profondément Clément XI, car les prélats y enseignaient « que les constitutions des papes obligent toute l’Eglise, lorsqu’elles ont été acceptées par le corps des pasteurs » . Le Roy, La France et Rome, p. 187. Cf. Procès-verbaux du clergé, t. vi, p. 838 sq. ; Pièces, p. 319 sq. Des lettres patentes promulguèrent la bulle et furent enregistrées au parlement ; tous les évêques français la reçurent, sauf celui de Saint-Pons, Percin de Montgaiilard, dernier survivant des 19 prélats qui avaient amené en 1667 la paix de Clément IX. Dans un mandement, Montgaiilard se borna à enregistrer le fait accompli, opposant Clément IX à Clément XI ; son mandement fut censuré par le pape le 18 janvier 1710. Bullarium, p. 365.

Le 31 août 1706, Clément XI envoya deux brefs sévères l’un à Louis XIV, l’autre au cardinal de Noailles, pour se plaindre des commentaires dont le clergé de France avait accompagné son acceptation de la bulle Vineam Domini. Le pape blâmait les évêques « d’usurper la plénitude de puissance que Dieu n’a donnée qu’à cette unique chaire de Saint-Pierre » , et leur enjoignait « d’apprendre à révérer et à exécuter ses décrets, loin d’avoir la prétention de les examiner ou de s’en rendre juges » . Opéra, t. iv, p. 319 ; Le Roy, La France et Rome, p. 214. Louis XIV refusa de recevoir les brefs ; et comme des copies en circulaient en France, le parlement rendit un arrêt pour les faire saisir ; le bon sens du roi l’empêcha de laisser publier l’arrêt.

L’acceptation par écrit de la bulle Vineam Domini était imposée au clergé et aux communautés du diocèse de Paris. Le 21 mars 1706, les religieuses de Port-Royal des Champs refusèrent de donner cette signature sans une addition conçue en ces termes : « sans déroger à ce qui s’est fait à leur égard à la paix de l’Église sous le pape Clément IX. » Louis XIV sollicita aussitôt du pape une bulle supprimant l’abbaye des Champs, et transférant ses revenus à Port-Royal de Paris. Le 27 mars 1708, Clément XI donna cette bulle ; Port-Royal de Paris devenait propriétaire des deux maisons ; Port-Royal des Champs était supprimé ; mais les 26 religieuses, âgées pour la plupart, qui l’habitaient encore, en garderaient la jouissance jusqu’à la mort de la dernière d’entre elles, et recevraient une pension du monastère de Paris. Louis XIV fut très mécontent de ces délais qui ne lui permettraient pas « de voir de son vivant la destruction de l’ort-Royal » . Il refusa de recevoir la bulle pontificale et en sollicita une autre plus rigoureuse. Clément XI la donna le 15 septembre, en l’antidatant du 27 mars ; elle fut enregistrée au parlement le 19 décembre. Elle permettait à Noailles de transférer les religieuses des Champs, « ensemble ou séparément, dans le temps, la manière et la forme qu’il le jugerait à propos, suivant sa discrétion st conscience, en d’autres maisons religieuses ou monastères par lui choisis. » Le Roy, La France et Home, p. 263 sq. On sait comment Noailles usa de ces pouvoirs, et porta le II juillet 1709 la sentence de suppression de Port-Royal ; le 29 octobre, elle fui exécutée par d’Argenson ; dans la suite l’église fut rasée et le cimetière violé. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. vi, p. 224 sq.

Entre temps, de nombreuses dénonciations étaient

parvenues à Rome conlre l’ouvrage de Quesnel, Abrégé

la morale de l’Évangile. Voir JANSÉNISME. Le

13 juillet 1708, il fut condamné par Clément XI, Uulla rium, p. 327, comme contenant une doctrine « séditieuse, pernicieuse, téméraire, erronée et manifestement janséniste » ; la lecture en était défendue, de même que la réimpression. Les exemplaires possédés par les fidèles devaient être remis aux évêques ou aux inquisiteurs et brûlés par eux. Ce bref, donné motu proprw, et dont l’exécution était confiée aux inquisiteurs en même temps qu’aux évêques, ne fut pas reçu en France ; les documents pontificaux promulgués en cette forme y étaient considérés comme non avenus, et l’Inquisition romaine n’y avait pas de pouvoir. Il ne put donc circuler que clandestinement, et ne termina pas les controverses qui se multipliaient au sujet du livre de Quesnel. Louis XIV fit prier en novembre 17Il le pape de remplacer son bref par une bulle dans laquelle il éviterait toute formule contraire aux libertés gallicanes ; le roi promettait « de faire accepter cette nouvelle constitution par les évêques de France avec le respect qui lui est dû » . Le Roy, La France et Rome, p. 385. Une congrégation spéciale fut instituée pour la rédaction de cette constitution dont tous les termes furent pesés avec un soin scrupuleux, le pape tenant à étudier lui-même chacune des propositions dont la censure était proposée. Thuillier, La seconde phase, p. 144 ; Bliard, Saint-Simon, p. 278 sq. Le 8 septembre 1713, la fameuse bulle Unigenitus Dei Filins était promulguée à Rome. Après avoir rappelé les anathèmes du Fils unique de Dieu contre les faux prophètes qui, semblables aux loups couverts de peaux de brebis, « introduisent des sectes de perdition sous une apparence de sainteté, » le pape condamnait en bloc 101 propositions, extraites mot à mot du livre de Quesnel, « comme fausses, captieuses, suspectes d’hérésie, contenant diverses hérésies et spécialement celles renfermées dans les propositions de Jansénius. » La traduction même de l’Écriture, qu’accompagnait le commentaire de Quesnel, était déclarée défectueuse, comme reproduisant la version de Mons déjà condamnée. Rullarium, p. 574 sq. Pour le détail des propositions, voir Jansénisme. Thuillier, p.- 159 sq., renvoie aux passages mêmes de Quesnel. Noailles se soumit d’abord, dès l’arrivée de la bulle (28 septembre 1713), et révoqua par un mandement l’approbation qu’il avait donnée comme évêque de Châlons, en 1695, au livre de Quesnel. Sur l’avis de Fénelon et du P. Le Tellier, une assemblée des évêques présents à Paris se réunit à l’archevêché le 10 octobre ; 49 prélats y prirent part ; c’était à peu près le tiers de l’épiscopat chu royaume. Dès la seconde séance Noailles, revenant sur sa soumission à la bulle, déclara ne pouvoir l’admettre sans explications, surtout à cause des qualifications jetées en bloc sur les 101 propositions, sans que chacune d’elles fût l’objet d’une note spéciale ; huit de ses collègues le suivirent dans sa résistance, tous les autres votèrent l’acceptation pure et simple de la constitution. Le 15 février 1714, elle fut enregistrée en parlement ; le 28 mars, une instruction pastorale de Noailles, qui défendait à ses prêtres, sous peine de suspense, de recevoir la bulle sans son autorisation, fut censurée par le Saint-Office, en même temps que le pape envoyait des lettres pleines d’éloges aux Î0 évêques de la majorité. Dans les premiers jours de mars, la Sorbonne, contrainte par une lettre de cachet du roi, reçut à son tour et enregistra la bulle. Parmi les évêques qui n’avaient pas assisté à l’assemblée, une douzaine se joignirent à ceux de la minorité ; les autres acceptèrent sans restrictions l’acte pontifical. Thuillier, La seconde phase, p. 195 sq. Les pièces sont dans les Procès-verbaux ilu clergé, t. iii, p. 1255 sq.

Pour faire céder les évoques protestataires, Fénelon suggéra au roi l’idée d’un concile national qui jugerait, s’il le fallait, et déposerait les accusés, en même temps que le pape dépouillerait Noailles de la pourpre. Clément XI répugnait à cette idée, el aurait bien préféré que Noailles fut envoyé à Rome pour y être jugé ;