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est pragmatiste. The Limits of religious thouglit, p. 13, 14, 60, 61.

Sans aller jusqu’aux dernières prétentions du rationalisme abstrait, des philosophes chrétiens interprètent allégoriquement certaines expressions hibliques. Ils expliquent qu’un Dieu courroucé signifie un Dieu qui punit. L’amour de Dieu, d’après ces commentateurs raffinés, consiste uniquement dans les récompenses et les bienfaits qu’il accorde. Aucun sentiment ne répond à ce mot. Le pragmatiste n’éprouve pas cette fausse honte, parce qu’il connaît et la portée de l’intelligence humaine et les exigences de l’action religieuse. Sans doute la notion de colère ne représente pas une vérité spéculative. Mais la notion de châtiment ne nous introduit pas non plus dans le secret de la nature divine. Prenons donc l’enseignement divin tel qu’il nous est proposé. Ne rougissons pas de dire que Dieu nous aime et qu’il s’irrite. Ces expressions possèdent une valeur pratique, s’il est vrai qu’elles nous inspirent des sentiments caractéristiques d’ordre religieux, lbid., p. 181.

5. Nous connaissons Dieu analogiquement. Pour remplir le rôle même qu’on lui assigne, c’est-à-dire pour exercer une influence pratique, une vérité doit avoir une valeur spéculative. Une pure hypothèse, une simple conjecture, à plus forte raison, une fiction reconnue telle, ne peuvent susciter et soutenir l’action. Si nous savons que rien ne correspond en Dieu aux termes d’amour, de miséricorde, de justice, de courroux, ou si la réalité qu’ils désignent nous échappe entièrement, ces termes nous laisseront insensibles.

Mansel admet que nous pouvons connaître Dieu par analogie avec nous-mêmes. C’est sur la psychologie que doit s’appuyer la théodicée. Pourtant, Mansel se souvient de l’ouvrage de Butler, et il emprunte aux lois du monde matériel ses explications pour éclairer certains dogmes du christianisme. The Limits of religious thought, p. 132, 133, 135, 157 ; The Philosopha ofthe Conditioned, p. 22, 164-166, 169-173.

Le principal défaut de la théorie de Mansel est de ne pas définir assez nettement les différentes espèces d’analogie.

Mansel restera surtout dans l’histoire de la philosophie et de l’apologétique comme un des auteurs qui ont apporté la plus abondante contribution au développement de l’idée pragmatiste. Cf. H. Calderwood, Philosophy of Ihe Infinité, Cambridge, Londres, 1861 ; 7s theism immoral ? an examination of Mr J. S. Mill’s arguments against Mansel’s view of Religion, Swansea, 1877. On pourrait rapprocher son anthropomorphisme en théodicée, des idées anglaises sur l’usage des modèles dans les théories physiques. P. Duhem, La théorie physique, Paris, 1906.

John Stuart Mill (1806-1873) professe une théodicée plus critique que dogmatique. Voici d’abord les thèses négatives ou dubitatives : la notion d’un Dieu créateur ne peut être ni prouvée ni réfutée ; la providence peut s’admettre, pourvu qu’on entende par là le gouvernement du monde à l’aide de lois invariables ; Dieu est si peu le principe de l’obligation morale, que le senli nt du devoir exclut plutôt la nécessité d’un législateur divin ; l’existence de Dieu ne se prouve pas non plus par le désir et le besoin que nous avons de lui, car il n’est pas certain, surtout antérieurement à la croyance en Dieu, que la nature ne nous donne jamais de vains désirs. Essais sur la religion, trad. CaLelles, Paris, 187." », p. 121-153.

Les thèses positives peuvent se ramener à trois. D’abord, le monothéisme, quand il n’est pas imprimé dans l’esprit par. la première éducation, est une croyance qui exige « une grande culture intellectuelle », car elle respond à la notion scientifique de l’unité du monde. lbid., p. 121-124. La seconde des thèses positives soutenues par Stuart Mill, se rapporte à Dieu considéré comme ordonnateur. Il s’efforce de préciser l’argument classique, en en fixant le caractère et la portée. On a tort, pense-t-il, de demander au spectacle du monde la preuve que Dieu a voulu le bonheur de ses créatures. Mais on est en droit d’affirmer qu’il a poursuivi certaines fins, par exemple qu’il a fait l’œil pour voir, qu’il’a donné des ailes aux oiseaux pour voler, etc. Ainsi est restreinte la conclusion de l’argument traditionnel. Stuart Mill en précise le mécanisme, en montrant qu’il ne procède pas par analogie, mais par induction, et, plus particulièrement encore, par la méthode de concordance, lbid., p. 158. La troisième thèse positive, celle que l’auteur soutient avec le plus d’énergie, se rapporte au Dieu fini. Stuart Mill prend la contre-partie des assertions de Hamilton et de Mansel. D’après ces deux philosophes, les ^notions d’absolu et d’infini seraient inconcevables, mais réelles. L’intelligence ne saurait les appréhender ; mais la croyance les affirmerait légitimement. Mill, au contraire, estime ces notions rationnelles et représentables, mais l’objet qu’elles désignent irréel et fictif. Dieu n’est pas infini, ou bien nous ne devons pas l’appeler bon. L’existence du mal fait surgir ce dilemme. Il faut admettre, soit que la puissance de Dieu es ! limitée, soit qu’il ne possède pas l’attribut que nous appelons bonté. Mill soutient contre Mansel qu’il est arbitraire d’employer les mêmes mots pour signifier les attributs divins et les qualités humaines, si entre les unes et les autres il y a plus qu’une différence de degré. La philosophie de Hamilton, trad. franc., p. 116, 123 ; Essais sur la religion, p. 168-180.

Darwin (1809-1882) n’a pas entrepris ses travaux dans une pensée hostile à la religion révélée ou à la religion naturelle. « Lorsque je collectionnais des faits pour VOrigine des espèces, ma croyance en ce qu’on appelle un Dieu personnel était aussi ferme que celle du [)’Pusey lui-même. » Darwin raconte comment, de 1836 à 1839, il cessa progressivement de croire à la divinité du christianisme, et il ajoute : « Je n’ai sérieusement songé que beaucoup plus tard à l’existence d’un Dieu personnel. » D’après ses propres aveux, l’illustre naturaliste était « peu accoutumé aux pensées métaphysiques, » et souvent, il le déclare encore lui-même, il subit « des fluctuations » d’esprit au sujet des origines du monde et de la vie. L’ordre de l’univers lui semblait « l’argument principal enfaveurdel’existencedeDieu ; » mais le problème du mal l’empêchait de conclure avec assurance. Il incline toujours davantage vers l’agnosticisme. Cf. Marcel Hébert. Le Divin, Paris, 1907, p. 72-87.

Spencer (1820-1904) a-t-il, consciemment ou non, rendu hommage à la divinité ? Dans quelle mesure peut-on rapprocher sa théorie de l’Inconnaissable de la prédication de saint Paul sur le « Dieu Inconnu » ? Nous signalerons, au sujet de la religion, ou de l’irréligion, de Spencer, la controverse du lï. I’. Gruber avec Ferdinand Brunetière, Revue de philosophie, 1° février 1903, p. 237-250, et l’article que nous avons publié dans les Études, 5 janvier 1903, p. 81-97, Dernier » propos de M. Herbert Spencer.

Y. C. S. Schiller représente l’humanisme, cette forme plus générale et plus systématique du pragmatisme.

Le Dieu de M. Schiller est un Être déterminé par la nature même de ce monde particulier dont il est l’auteur. La théodicée traditionnelle a eu tort de vouloir prouver son existence et définir son essence par des considérations d’ordre général et valables pour tous les mondes possibles : par exemple, d’avoir invoqué les idées abstraites de contingence, de mouvement, d’ordre. Cet intellectualisme n’est qu’un platonisme moins clairvoyant } de même que le platonisme consiste en une méconnaissance de la signification humaine de la sophistique. La maxime de la philosophie, et, en particu-