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DONS DU SAINT-ESPRIT

Nous suivrons dans notre étude cet ordre : d’abord les’dons intellectuels, puis les dons volontaires, dans chacune des séries, nous suivrons l’ordre des vertus auxquelles ils correspondent, foi, charité, prudence, pour la première série, justice, force, tempérance pour la seconde, bien que la crainte de Dieu, qui correspond à la tempérance par un côté, soit rattachée principalement par saint Thomas, à la vertu d’espérance.

Le don d’intelligence.

Sum. theol., IIa IIæ, q. viii.

1. Son acte.

Le propre de l’intelligence, en tant qu’elle constitue une fonction de la faculté intellectuelle distincte de la fonction scientifique, c’est l’intuition, c’est-à-dire la pénétration profonde de son objet par un regard simple, ce qui n’exclut pas, comme le remarque Jean de Saint-Thomas, un jugement de simple discernement, mais seulement un jugement analytique, remontant aux causes de la vérité perçue, comme celui que contient la connaissance de la vérité d’une conclusion. Par analogie, le don d’intelligence pourra être conçu comme donnant une intuition pénétrante des choses divines, hoc. cit., a. 1.

2. Son objet.

Les choses divines, ici-bas, nous sont connues obscurément par la foi. Comment allier cette obscurité et l’intuition pénétrante dont nous venons de parler ? hoc. cit., a. 2. En distinguant les objets primaires, les objets secondaires et l’objet d’extension de la foi. Des premiers qui sont les mystères, le don d’intelligence ne saurait évidemment nous donner une intuition positive : ce serait supprimer la foi ; mais il peut nous donner des vues intuitives sur le second, par exemple sur de nombreux textes de l’Écriture sainte qui se rapportent aux mystères, nous manifestant d’une claire vue ce rapport. De plus, en ce qui concerne les mystères eux-mêmes, le don d’intelligence peut donner la claire vue de leur crédibilité extrinsèque, manifester quod profiter ea quæ exterius apparent, non est recedendum ab his quæ sunt fidei. Ibid. L’objet d’extension de la foi sont les règles supérieures de la pratique chrétienne, ibid., a. 3 ; par exemple les relations intratrinitaires des personnes divines provoquent chez les saints des efforts pour réaliser en eux-mêmes des vertus dont ces relations sont le modèle exemplaire : l’intuition de cette exemplarité, de ce rapport régulateur à l’action vertueuse, sainte, sera l’affaire du don d’intelligence. Un simple fidèle n’y voit rien. Cf. A. Gardeil, Le don d’intelligence dans sainte Catherine de Sienne, op. cit. En résumé, un objet inaccessible au don, à savoir la substance des articles de foi ; trois objets accessibles : ce qui est ordonné à la manifestation du mystère, sa vérité extrinsèque ou crédibilité, sa vertu régulatrice des mœurs.

3. Sa raison d’être et sa cause.

a) La charité, pour être parfaite, c’est-à-dire nous mener absolument, eflicacement au salut, requiert le don d’intelligence, pour cette raison spéciale que, pour vouloir toujours bien, il faut voir clair. Or, la foi salutaire, si elle incline efficacement à adhérer, ibid., a. 5, ad 3um, ne fait pas la clarté. Ce n’est pas de sa nature. De là des obscurités, des inintelligences, des erreurs sur les trois alentours de la foi : rapports du mystère, objet de la foi et du créé, théories philosophiques qui contrarient la crédibilité, préjugés ou aberrations morales qui peuvent faire tomber le fidèle, faute de lumière parfaite. Le don d’intelligence y pourvoit, du moins pour tout ce qui est nécessaire au salut individuel, n’étant pas un brevet d’omniscience. Ibid., a. 4, ad 1um, 2um et 3um. Comment cela ?

b) C’est qu’il est constitué essentiellement parle mouvement d’une intelligence sous l’empire de l’Esprit-Saint, dont la charité assure la demeure dans le juste. Hujusmodi autem motus consideratio in hoc est quod homo apprehendat veritatem circa finem. Quelles que soient donc les obscurités, les objections, etc., le juste, par le don d’intelligence, garde au milieu de tout cela le sens de la fin ultime qui l’empêche de dévier, ce que ne donne pas la foi informe. Sur ce point, qui est capital, il voit clair, il démêle, il perçoit. Ibid., a. 5. C’est une illustration intellectuelle, qui a une certaine analogie avec le jugement prophétique, qui en a l’infaillibilité, mais qui en diffère en ce qu’elle se borne à donner une juste estimation de ce qui tend à la fin ultime personnelle du juste. Ibid., ad 2um. Le juste a cette estimation spontanément, instinctivement, non par mode de jugement, ce qui appartient au don de sagesse, ibid., a. 6, mais par une sorte d’appréhension surnaturelle.

Les vices opposés au don d’intelligence seront, par suite, l’aveuglement de l’esprit et l’épaississement du sens spirituel. Le premier provient tantôt d’une volonté mauvaise, qui ne veut pas voir, attaquant ainsi le don d’intelligence dans sa racine même, la charité ; tantôt d’un amoncellement de préoccupations terrestres et d’affections charnelles, telles qu’elles empêcheraient, dit saint Thomas, interprétant un texte du Ps. lvii, de voir le soleil lui-même. On trouvera, dans la q. xv de la IIa IIæ, une analyse très étudiée de ces deux déformations de notre psychologie surnaturelle et, dans la q. xvi, a. 2, un répertoire des documents scripturaires qui contiennent les préceptes divins relatifs aux dons d’intelligence et de science.

Au don d’intelligence, qui produit l’intuition du divin en supposant et en entretenant la purification du cœur, correspond la première des béatitudes évangéliques, Beati mundo corde quoniani ipsi Deum videbunt, et le fruit du Saint-Esprit dénommé par l’apôtre du nom de foi, alteri fudes in eodem spiritu. Ibid., q. viii, a. 7, 8.

Le don de science.

Sum. theol., IIa IIæ, q.ix.

Comme le don d’intelligence, le don de science a pour matière les vérités de la foi, tant spéculatives que pratiques, mais au lieu d’en donner la simple intuition, il permet de formera leur sujet un jugement raisonné, qui discerne, en connaissance de cause, credenda a non credendis. Ce n’est pas que l’intelligence, sous l’empire de ce don, raisonne à proprement parler, comme celle du théologien. Il lui est fait communication de la science du Saint-Esprit, et bien que la formule par laquelle s’extériorise la connaissance qu’elle a des choses surnaturelles, reproduise objectivement l’appareil du raisonnement, c’est encore ici par une sorte d’expérience inspirée que le juste éprouve, plutôt qu’il ne déduit, la vérité de ses appréciations. Cette connaissance est distincte de la science infuse, simple transmission de la science divine, pouvant porter sur des connaissances naturelles, philosophie, etc., en ce qu’elle ne porte que sur ces réalités surnaturelles, en contact avec la fin ultime, dont la charité nous donne le sens immédiat ; elle diffère aussi du don de science, qui fait partie des grâces gratis datæ, n’étant pas ordonnée au salut des autres, mais de son possesseur, et par suite ne comportant pas nécessairement le don de manifester aux autres ce que l’on sait, q. ix, a. 1. Cependant, tout en ayant pour objet les choses de la foi, le don de science ne nous communique qu’une connaissance partielle, pur causas secundas, dit saint Thomas, laissant au don de sagesse, d’éclaircir le même objet per causas altissimas. Ibid., A. 2. Par exemple, la connaissance ferme, spontanée, réfléchie, de Dieu que provoquent chez les saints les merveilles de la nature, les événements de ce monde ou l’histoire des âmes, appartiendra au domaine du don de science. Rien de plus fréquent que son intervention dans les raisonnements des docteurs de l’Église. Ils sentent les harmonies du dogme qu’ils expriment cependant selon les lois du raisonnement, et ce sens leur vient de l’Esprit divin. C’est ce recours à des considérations en soi inférieures, puisque créées, qui autorise, selon saint Augustin et saint Thomas, le raccord du don de science, à la béatitude