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DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE) 1282

de toute relation et condition, avec l’idée de cause. Fût-il question de la cause première elle-même, ce mot implique « non seulement relation de la cause à l’effet, mais subordination de celle-ci à celui-là, la cause ayant un but à réaliser, tendant à ce but. » La philosophie de Hamilton, p. 52. Dieu est donc proprement incompréhensible, puisque, étant tout à la fois cause et infini, il réunit en lui-même deux attributs dont la conciliation nous échappe. Comment soutenir, dès lors, que nous avons l’idée, et surtout l’intuition, de l’infini V — Mill conteste à bon droit que la cause dépende ainsi de l’effet. « On peut assurément soutenir que nous connaissons la divinité, comme l’être qui nourrit les corbeaux, sans être forcé pour cela d’admettre que l’intelligence divine n’existe qu’afin que les corbeaux soient nourris. » Ibid., p. 53.

2e argument : l’idée particulière de cause créatrice, plus que l’idée de cause en général, s’oppose, dans notre esprit, à la notion d’absolu ou d’infini. La création, en effet, ne saurait être un acte nécessaire. Trois hypothèses se présentent : ou bien, en se manifestant nécessairement par l’acte créateur, Dieu passerait du meilleur au pire ; ou réciproquement ; ou enfin les deux états seraient équivalents. Hamilton montre sans peine qu’aucune de ces explications ne vaut. — Mais, tout en admettant sa conclusion, à savoir que la création n’est pas une manifestation nécessaire de la divinité, on peut contester la valeur de la preuve. Ne suppose-t-elle pas. en elfet, cette proposition sous entendue : que créer, agir, en général, c’est se modifier, c’est changer. Or, observe justement Stuart Mill, pourquoi admettre que Dieu, en créant, subit une modification. Ibid., p. 53. Cependant Hamilton poursuit ainsi son argumentation : si l’acte créateur est libre, il émane d’un être personnel et conscient. Or conscience implique relation, condition, limites. Nous voilà, de nouveau, entraînés loin des idées d’absolu et d’infini.

3e argument : penser, c’est conditionner, c’est diviser ou composer, c’est rapporter un terme à d’autres termes.

— Stuart Mill fait remarquer que ces propositions sont équivoques, et qu’elles ne soulèvent de contradiction entre la nature de l’infini et les lois de la connaissance qu’à la faveur de malentendus. « Quand on dit i que la pluralité est une condition de la connaissance, on ne veut pas dire que la chose connue doit être connue comme multiple. On veut dire qu’une chose n’est connue que comme distincte de quelque autre chose. La pluralité en question n’est pas dans la chose elle-même, mais elle se compose d’elle et d’autres choses. » La philosophie de Hamilton, p. 59. — Hamilton dit encore que penser un être, c’est le déterminer et le limiter par des attributs concevables. De là, une nouvelle opposition entre l’infini ou l’absolu, qui exclut toute restriction, et la connaissance, qui suppose des limites. — Connaître un objet, reprend Stuart Mill, c’est bien lui assigner des attributs, mais « ce n’est pas nécessairement le conditionner par un quantum limité de ces attributs. » En d’autres termes, détermination et limite ne sont pas synonymes. Ibid., p. 66, 67.

Dans cette discussion, nous ne devons pas oublier le but de Hamilton, ni celui de Mill. Le premier ne déclare inconcevables les attributs de la divinité, que pour les adorer par une foi plus respectueuse. Le second ne revendique leur signification rationnelle que pour les rendre justiciables de la critique humaine, et se réserver le droit d’en nier la réalité. Pour préciser l’agnosticisme de Hamilton, Mansel le compare avec celui de liant, The Philosophy of the Conditioned, Londres et New-York, 1860, p. 68, 69, et avec celui de Spencer, ibid., p. 38, 39.

Mansel (1820-1871). Disciple de Hamilton, il approfondit sa philosophie de l’inconditionné, et enrichit sa contrepartie positive, la détermination psychologique et morale de Dieu, en s’aidant surtout de la célèbre Analogie de Butler. Il aime à établir un parallèle entre les mystères chrétiens et les mystères philosophiques, ceux-ci non moins obscurs que ceux-là, ceux-là non moins nécessaires que ceux-ci. Comme Hamilton, il proclame la divinité supérieure à la pensée et aux jugements des hommes. Mais Mansel est un disciple personnel, dont la doctrine mérite un plus ample exposé.

On peut y distinguer cinq idées ou tendances :
Dieu est incompréhensible ;
les dogmes chrétiens ne s’imposent pas moins et ne déconcertent pas plus que les thèses de la théodicée naturelle ;
nous devons nous contenter dans l’ordre religieux de connaissances pratiques qui règlent notre conduite ;
un anthropomorphisme modeste et avisé vaut mieux qu’un vain et abstrait rationalisme ;
nous concevons Dieu par analogie.

1. Dieu échappe à tout essai de représentation intellectuelle. Il convient d’observer encore ici que l’agnosticisme est un terme général, suceptible d’applications diverses. Nous essaierons de caractériser l’agnosticisme de Mansel, en le rapportant à un certain nombre d’autres doctrines prises comme points de repère et de comparaison.

D’abord, Mansel se réclame des Pères et des docteurs de l’Église : saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Augustin, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Jean Damascène, saint Thomas d’Aquin. The Philosojihg of Ihe Conditioned, p. 23-25. Mais son agnosticisme radical diffère de ce qu’on pourrait appeler l’agnosticisme modéré de la tradition chrétienne. « De la nature et des attributs de Dieu dans son être infini, la philosophie ne peut rien nous dire. » The Liniits of religions thoughl, 5e «’dit., Londres, 1867, p. 185. « Si nous ne savons rien de l’infini et de l’absolu, nous ne pouvons pas dire dans quelle mesure il se rapproche ou diffère du relatif et du fini. » Ibid., p. 103.

Mansel répudie et le sentimentalisme et le volontarisme des stoïciens. La première méthode expose aux folles extravagances du fanatisme, ou aux extases morbides du mysticisme. La seconde peut développer l’énergie naturelle, mais elle ne parviendra pas au christianisme. T.’ie Limits of religions tltought, p. 76.

Mozley va trop loin, lorsque, en matière de connaissance obscure, il soutient que deux propositions contradictoires peuvent être également vraies. Il pousse sa théorie jusqu’à dire des doctrines opposées de Pelage et de saint Augustin : Les deux thèses sont légitimes, lorsqu’on les réunit. Elles ne sont condamnables que prises isolément. Mieux vaut conclure de l’insuffisance de nos idées sur un être ou une chose à l’impossibilité d’y voir des contradictions précises. Ibid., p. 314.

Kant est trop timide ; et son agnosticisme est inconséquent. La personnalité est « la condition de la conscience en général ; » de même que le temps et l’espace conditionnent respectivement notre perception des phénomènes psychologiques et notre perception des phénomènes matériels. De là, trois groupes symétriques de vérités également nécessaires et également subjectives : la science des nombres qui se rapporte au temps, la science des grandeurs qui se rapporte à l’espace, la science de la morale, toute relative à la personne humaine. Le sens moral détermine ce que doivent être les phénomènes ; de cette façon il les domine et les prévient. Mais vouloir pour cela l’élever au-dessus des conditions de l’intelligence humaine, et l’ériger en norme absolue qui nous permettrait de prévoir et de fixer les manifestations de l’activité divine elle-même, c’est une prétention particulièrement inadmissible dans une philosophie qui réduit le temps et l’espace à des formes de notre conscience, et restreint leur application au monde phénoménal et relatif. Ibid., p. H3. Mansel reconnaît qu’il existe une moralité abso-