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DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS

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."). Ces théories de l'évangélisation et de la « I Slivrance furent donc deux efforts parallèles de l’intelligence chrétienne pour concevoir l'œuvre de la descente aux enfers. Si la première n’avait mis en avant que l’illumination des âmes par la prédication du Christ, c’està-dire par ces facultés qu’ont les âmes séparées de recevoir et de se communiquer mutuellement leurs penet leurs volontés, elle n’eût été qu’une opinion fort juste et elle eût été conservée. Mais on l’exagéra ; elle fut poussée jusqu'à la ressemblance avec l’apostolat de la terre. Ainsi supposait-elle, jusque dans l’audelà, la possibilité de la conversion. Par là, elle aboutissait à des conclusions formellement erronées : pour cela, elle fut vivement combattue et promptemeiit délaissée.

Au contraire, la théorie de la délivrance, dans son concept le plus général, répondait plus exactement à la vérité dogmatique. Elle prédomina, et prit, dans la littérature de l'époque patristique, des expressions particulières qu’il convient au moins d’indiquer.

3° Nous avons noté déjà que l'œuvre de la descente aux enfers fut considérée comme l’exécution partielle de la rédemption du genre humain. D’où il advint que les formes, sous lesquelles les Pères se sont représenté la rédemption, eurent leur retentissement sur la façon de concevoir et d’exprimer cette œuvre elle-même. Or, chez les Pères, le point de départ commun des diverses manières de concevoir la rédemption fut celui-ci : Dieu et Satan sont comme les deux maîtres qui se disputent le genre humain. Les hommes se sont volontairement éloignés de Dieu et ainsi livrés au démon qui les retient esclaves sous son joug. Il s’ensuit que le démon a sur eux une sorte de droit plus ou moins légitime, droit de propriété ou de conquête, peu importe.

1. Dans ces conditions, des écrivains ecclésiastiques, et parmi eux saint Irénée, Origène, saint Basile, saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise, ont expliqué la rédemption comme une rançon réellement payée au démon pour le rachat de l’humanité. Ainsi l’exigeait la justice, et Dieu a voulu user de justice envers le démon lui-même. Parfois, l’on considérait le sang versé par le Sauveur sur la croix comme le prix véritable de notre rançon. Alors, l'œuvre de la descente aux enfers était la délivrance des Ames de la servitude particulière dans laquelle elles gémissaient. D’autres fois, l'âme même de Jésus rentrait dans le prix [deTa rançon. Dans ce cas, l'œuvre de la descente ;  ; aux enfers devenait une conception assez odieuse : c'était la livraison au diable de l'àme du Christ pour la rançon des âmes des défunts comme des autres hommes. Mais cet abandon, tout passager d’ailleurs, devenait immédiatement le commencement de la ruine du démon. « Notre Sauveur, écrit Origène, alla si loin qu’il donna son àme pour le rachat de plusieurs. Mais à qui a-t-il donné son àme ? Ce n’est pas à Dieu. N’est-ce point alors au démon ? Celui-ci, en effet, nous tenait sous son pouvoir, jusqu'à ce que, pour rançon de notre délivrance, l'àme de Jésus-Christ lui fut donnée. » In Mat th., xvi, 8, P. G., t. iixi col. 1397. Mais le démon s’est trompé. Il avait rêvé de s’emparer de l'àme du Sauveur, mais il n’avait pas prévu l’intolérable supplice qu’il allait endurer en la retenant. Jésus étail libre entre les morts et plus fort que la puissance de la mort. Aussi son âme n’est-elle pas restée au pouvoir du démon, comme il est dit au Psaume : Vous ne laisserez pas mon âme dans l’enfer. Origène, ibid. . insistons pas davantage. La conception de la rançon, fausse par plusieurs côtés, fut vivement combattue dès qu’elle se trouva nettement formulée : on lui substitua la théorie de l’abus de pouvoir. Cf. J. Rivière. Le loijmede la rédemption, c. xxi, Paris, 1905, p. 373391, passim ; Henry E. Oxenham, Histoire du dogme

de la rédemption, trad..1. Bruneau, c. ii.wi. Paris, 1909, p. 124-186, passim.

2. Cette nouvelle conception « suppose établie entre le démon et Dieu une délimitation de pouvoir^ comme une manière de charte. Le démon a reçu de Dieu le pouvoir' de mettre à mort les hommes à cause de leurs péchés ; mais en s’attaquant à Jésus-Ci qui était innocent, il a gravement outrepassé ses droits constitutionnels : c’est donc en toute justice que Dieu, pour cet abus de pouvoir, le dépouille de ses captifs. Le démon ne reçoit plus une rançon, mais le juste châtiment de son crime. » J. Rivière, op. cit., p. 395396. Telle est la théorie nouvelle, présentée en Orient par saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie et Théodoret ; en Occident, par saint llilaire, l’Anibrosiaster, saint Augustin, saint Léon le Grand et saint Grégoire le Grarul. Cf. J. Rivière, op. eit, c. xxii. p. 395-414. Dans cette théorie, la descente aux enfers devient plus particulièrement une punition et une défaite infligée au démon, qui voit arracher les âmes à sa hrannie.

3. Qu’il s’agit de rançon ou d’abus de pouvoir, l’opinion se compliquait souvent d’un expédient célèbre. Dieu, qui voulait, à l'égard du diable, procéder par les voies de justice et non par celles de force, envoya sur la terre son propre Fils, mais en voilant sa divinité sous les dehors d’un homme. Au vu des œuvres miraculeuses que cet homme multipliait partout, le diable vit bien qu’il était un envoyé divin, mais il le prit pour un envoyé ordinaire, tel Moïse ou Jilie. Il le fit mettre à mort par les Juifs, el pour enlever au monde sa présence trop sanctifiante, et surtout pour enfermer son àme avee les autres aux enfers. C’est alors qu’il fut pris au piège, à la souricière, dit saint Augustin, à l’hameçon, dit saint Grégoire le Grand. Comme toute la rédemption, la descente aux enfers, qui en est un épisode, fut aussi prése comme un piège dans lequel le diable tomba sottement : et il eut la mortifiante surprise de se voir enlever ses sujets par celui-là même qu’il regardait déjà comme son captif.

4° Quelle que fût la conception utilisée, la descente aux enfers était toujours, en réalité, une défaite pour le démon, une victoire pour le Christ, une délivrance pour les âmes. C'était toujours Satan dépouillé ou vaincu, le Christ triomphateur, les âmes sortant de captivité. Pour traduire le plus vivement possible la vérité dogmatique, les écrivains comme les orateurs avaient recours à toutes les images et ils épuisaient toutes les ressources de la rhétorique. La descente aux enfers était un thème merveilleux pour ces développements littéraires ou oratoires : elle offrait tout de suite à briser les portes d’une prison séculaire, on. depuis les origines, les âmes des justes étaient retenues captives ; elle continuait la ruine de l’empire du démon, bien avancée déjà sur le champ de lutte « lu Golgotha ; elle apportait aux générations déjà pas la libération que le sacrifice du Calvaire avait ass aux générations à venir ; elle se présentait comme le couronnement de l'œuvre divine de la rédemption. Lutte et résistance, victoire et défaite, triomphateur et vaincu, ruine et dépouilles, tout se rencontrait en un pareil sujet, et tout fut exploité avec une recherche voulue pour frapper l’imagination du peuple chrétien. Évidemment, toutes ces métaphores doivent être pi dans le sens où les écrivains et les orateurs eux-mêmes les employaient, comme des images plus ou moins heureuses, plus ou mains éloignées, parfois peu adaptées, toujours très inadéquates, jamais comme des formules exprimant exactement le dogme. On a pu observer déjà cette rhétorique dans les textes antérieurement rapportés. Il ne sera pas inutile d’en consigner ici quelque s exemples spéciaux et typiques.