Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/333

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
643
644
DETERMINISME


blage de modes, d’attributs divins. Chaque homme en particulier n’est qu’une série de modes de pensée que l’on désigne sous le nom d’âme, unie et coordonnée à une série de modes d’étendue à laquelle on donne le nom de corps. Il n’est donc rien en nous qui ne découle de la nature même de Dieu, tout en nous comme hors de nous est déterminé par l’essence divine comme toutes les propriétés du triangle sont déterminées par sa loi de construction. LeibniU ne professe peut-être pas une métaphysique aussi rigoureusement déterministe qu’on l’enseigne d’ordinaire, il distingue soigneusement le contingent du nécessaire, il admet la liberté de Dieu, mais il soutient que Dieu ne peut être que déterminé par sa nature morale et que toute la création est également déterminée. Leibnitz critique avec la plus extrême rigueur le concept de la liberté d’indifférence. Tous les phénomènes de l’univers sont dominés par le principe de raison suffisante. Rien n’existe qui n’ait une raison d’exister et à ce qui n’existe pas la raison suffisante fait défaut. D’où il suit rigoureusement que tous les états du monde, à un moment quelconque de sa durée, dépendent de tous les états antérieurs et conditionnent tous les états postérieurs. « Le présent résulte du passé et est gros de l’avenir. » L’homme n’est donc qu’une sorte d’  « automate spirituel ». H y a toujours pour nous faire choisir une action plutôt qu’une autre de petites raisons souvent inaperçues, mais qui n’existent pas moins. L’action qui n’a pas été choisie manquait de raison suffisante, et c’est pour cela qu’elle ne s’est pas réalisée. Le libre arbitre que l’homme croit exercer n’est donc que l’ignorance des raisons qui le font agir. Les événements de notre âme sont gouvernés aussi bien que les événements matériels par la raison suffisante et la seule différence qu’il y ait, c’est que les phénomènes corporels ne sont soumis qu’à la loi de causalité efficiente, tandis que les phénomènes de l’âme sont régis par la loi de causalité finale. Ainsi tout est intelligible, tout peut s’expliquer et par conséquent se ramener à des raisons antécédentes. On peut dire qu’après Leibnitz, le déterminisme n’a plus fait aucun progrès. Toutes les théories que l’on a développées ne sont guère que des applications du principe posé par Leibnitz, c’est-à-dire des déductions du principe de raison ou plus simplement de causalité. Une action vraiment libre serait sans cause, aurait, comme dit Kant, son point de départ en elle seule. C’est pour cela que Kant, suivi en cela par Schopenhauer, n’admet pas le libre arbitre phénoménal et rejette la liberté dans le noumène. Les matérialistes, tels que K. Vogt, Bùchner, réduisent l’univers à n’être plus qu’un système mécanique où tout est par suite rigoureusement déterminé, et les monistes, tels que Ha ? ckel, soutiennent, à la suite de beaucoup de savants, que la quantité de force devant demeurer constante dans l’univers, rien ne peut venir rompre le déterminisme des forces. Car si quelque mouvementpouvait se produire qui ne résultat pas des forces déjà existantes, ce mouvement supposerait une véritable création de force et tous les principes de la science seraient renversés. Tous les résultats mêmes de la science seraient remis en question, car la science n’a de valeur que par les prévisions qu’elle permet et si, à chaque instant, par le jeu des libertés, des forces nouvelles pouvaient venir introduire leurs effets dans le cours des phénomènes, toutes les prévisions de la science seraient renversées.

III. Théorie et critique.

On voit par cet exposé historique quelles sont les raisons qui ont amené les philosophes au déterminisme et d’où ils ont tiré tous leurs arguments. On apercevra mieux encore quelle est l’essence de ces raisons, si l’on rappelle brièvement les principaux raisonnements que font les déterministes pour établir le bien fondé de leur système. Ces argu ments peuvent se diviser en arguments psychologiques, arguments scientifiques, arguments métaphysiques.

Xous allons les formuler tour à tour et les critiquer à mesure.

Arguments psychologiques. « Xous nous croyons libres, parce que nous n’apercevons pas les causes qui nous font agir. Nous ne voyons pas ces causes, nous en concluons qu’elles n’existent pas. » Il est facile de voir que l’argument n’a aucuneValeur, car, si de ce que notre conscience ne découvre pas de causes qui nous fassent agir, il ne s’ensuit peut-être pas à la rigueur que ces causesn’existentpas, ils’ensuit bien moins encore qu’elles existent. Si dire : je ne vois rien, donc il n’y a rien, peut être aventureux, il est bien plus aventureux encore de dire : je ne vois rien, donc il y a quelque chose. — « La volonté n’est autre chose que le désir qui l’emporte ; or, tous nos désirs sont déterminés, donc la volonté est aussi déterminée. » On fait remarquer que la volonté ne saurait se confondre avec le désir, car, s’il est vrai qu’on ne veut que ce qu’on désire, il n’est pas vrai qu’on veuille toujours ce qu’on désire le plus fortement. Il y a même une différence de nature entre le désir et la volonté, car plus le désir est violent, plus l’intelligence est réduite, tandis qu’au contraire plus l’intelligence s’exerce, plus la volonté a le sentiment de son énergie. — « La volonté se décide toujours d’après des motifs, elle n’est jamais indifférente, le motif qui l’emporte est évidemment le plus fort, c’est donc ce motif qui décide tout et l’âme n’est bien, comme on l’a dit si souvent, qu’une balance qui penche du côté le plus fort. » Toute cette argumentation repose sur une équivoque. On considère les motifs comme des forces extérieures à l’âme, tels les poids par rapport à la balance, mais la force des motifs dépend de l’âme elle-même, c’est nous qui donnons aux motifs leur force, de façon déterminée si tout est déterminé, mais aussi librement si nous sommes libres. La question n’a pas fait un pas.

Arguments scientifiques. « Si la volonté humaine était libre, si tout n’était pas déterminé, la liberté humaine apporterait des perturbations dans les chiffres des statistiques, crimes, suicides, mariages, divorces, etc. Or, la marche des statistiques est régulière, donc la cause perturbatrice n’existe pas. t Ici. c’est le point de départ même de l’argumentation qui est contestable, car : 1. les statistiques sont loin d’embrasser la totalité des actes humains ; 2. leur marche n’a pas la régularité que les démographes leur attribuent ; à. enfin et surtout, alors même que les statistiques suivraient des courbes très régulières, et que les nombres totalisés paraîtraient déterminés, il ne s’ensuivrait pas à la rigueur que chacun des actes singuliers qui forment les nombres ait été tout entier déterminé. — « Mais, reprennent les déterministes, la science établit que la quantité d’énergie qui se trouve dans le monde demeure constante. Rien ne se crée, rien ne se perd. Une indétermination quelconque permettrait d’ajouter ou de retrancher quelque chose à la somme constante des forces et serait par conséquent contraires la grande loi sur laquelle repose toute la science moderne, la loi de la conservation de l’énergie. » 11 suffit, pour remettre les choses au point, de faire observer que la loi de la conservation de l’énergie ne repose que sur un très petit nombre de mesures qui n’expriment que des moyennes. L’expérience ne permet d’affirmer que cette proposition : La quantité d’énergie est sensiblement, moyennement, c’est-à-dire à peu près constante. Vouloir transformer cet à peu près en absolument, c’est supposer ce qui est en question et faire une pétition de principe. Car des mathématiciens, tels que Cournot et Saint-Venant, ont montré que des forces par ellesmêmes insensibles, pourvu qu’elles soient plus grandes que 0. peuvent, dans des systèmes mécaniques appropriés, produire des effets très considérables. — >< II