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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE)


cliii sur ses expériences successives, sur la transformation de plus en plus complète pour elle de l’objet réel île son adoration et de son amour, elle constate un écart de plus en plus marqué entre cet objet, tel que le saisit sa pensée actuelle, et le même objet, tel qu’elle le saisissait autrefois à l’aide de la seule formule traditionnelle. Bref, l’objet des formules catéchismales el métaphysiques lui paraît comme inanimé, indillérent au cœur, sans valeur d’action sur sa vie morale et religieuse ; au contraire, l’objet de l’expérience intérieure affirmé, semble-t-il, par un autre organe que le cerveau, est bien vivant ; bien que très imparfaite nt

connu — et l'âme a conscience de cette imperfection et de cette insuffisance — c’est Lui, moins inadéquateinent, le vrai Dieu, à qui l'âme s’abandonne et se lie, prête à tous les sacrifices : Dominus meus et Deus meus. Et la certitude de la foi en paraît toute rajeunie ; une certitude nouvelle, qui est d’essence diûerenteque la certitude appuyée sur la pure autorité du témoignage divin extérieur, paraît dans la conscience.

2. L’objection.

Certains modernistes se sont emparés de ces faits de conscience, pour vider de toute valeur ontologique la connaissance que nous pouvons avoir de Dieu par les concepts, par les formules religieuses, par l’abstraction. « Notre foi va plus loin que nos idées. » disait l’un ; « vous le savez bien, si vraiment vous avez la foi. » « C’est par la croyance que nous atteignons la réalité intérieure des choses que n’atteignent pas les sens, » disait l’autre, qui se flattait d’inaugurer l’objectivisme postkantien. « Dieu n’est pas une vérité abstraite, c’est une réalité qu’on perçoit, et dont on vil, par le sentiment, faculté immédiate du réel, » disait un troisième. « On ne démontre pas une réalité concrète, on la perçoit. Elle n’est pas objet d’analyse conceptuelle, mais d’intuition vécue… Déduire Dieu équivaut à le nier. Prétendre vouloir le trouver ainsi revient à vouloir l’atteindre par une méthode athée, » écrivait sans sourciller M. Le Roy, dans la Revue de mélaj>hysiqne et de morale, 1907, p. 472, 474. Quelques-uns de ces écrivains, pour satisfaire aux nécessités du dogme, sauver la possibilité de la révélation extérieure et garder la notion ebrétienne de la foi, assentiment de l’esprit à l’autorité du témoignage divin, gardaient quelque nexus objectivus entre nos idées religieuses et leur objet, cf. Webrlé, dans la Revue biblique, juillet 1905, sans d’ailleurs toujours éviter, à cause de la distinction du connaître et du croire, de tomber dans « la foi du cœur hermésienne ». Acta concilii Vaticani, col. 527, 529 sq. Cf. Annales île philosophie chrétienne, octobre 1908, p. 1-79. Mais d’après la majorité, l’absolu, le fonds substantiel de l'être, la réalité sous-jacente aux formules, pour parler net. Dieu, perçu, senti, vécu, ne pouvait être exprimé qu’en formules de vie : sous les espèces et symboles de l’action, d’après M. Le Roy ; par des images décolorées, résidu de notre expérience, d’après M. Loisy ; par de pures métaphores, d’après M. Tyrrell. Cf. Programma dei modernisti, p. 95. Mais tous s’entendaient sur le point suivant : avant et sans la croyance ou la foi, impossibilité pour la raison de connaître Dieu, la réalité divine, objectivement ; car, indépendamment de l’expérience, la « notion » n’a pas de valeur et de sens relativement à la réalité. Outre les arguments communs à l'école nominaliste et qui se résument à nier que nous ayons aucune connaissance « par les causes », Programma, loc. cit., on prouvait cette conclusion par l’appel aux mystiques, au grand chrétien Pascal, par des attaques contre les théologiens qui ont la superstition de formules mortes et vides, et par le développement vibrant des faits de la vie intérieure que nous ayons rapportés, suivi du raisonnement suivant : La vie intérieure atteint la réalité spirituelle ; donc, en dehors de l’expérience intérieure, les formules n’uni

pas de portée ontologique, et par suite en dehors de l’expérience actuelle du divin opérant en nous et en tout, » Programma, loc. cil., pas de connaissance de Dieu, et donc pas de connaissance rationnelle de Dieu. lbid., p. 105.

ÎJ. Réponse. — Les théologiens connaissent et admettent les faits religieux que j’ai essayé plus haut de décrire brièvement. Dire que l’Eglise réprouve ces états d'âme, reviendrait de fait à dire qu’elle bannit de son sein la piété et la vie intérieure, qu’elle renie saint Bernard, saint Bonaventure, l’Imitation, saint François de Sales, etc., et bille environ les deux tiers des Patrologies deMigne. Le Credo commence par ces mots : Je crois en Dieu ; et nos catéchismes, à la question : Pourquoi dites-vous, je crois en Dieu et non pas seulement je crois qu’il y a un Dieu ? répondent : Parce que non seulement je tiens pour certain que Dieu existe, mais encore je mets en lui loute ma confiance. Où est le théologien catholique qui a mis en question la valeur de cette réponse'.' Quelques protestants ont soutenu en Allemagne que la distinction célèbre Credere Deum, credere Deo, credere ni Deum était spécifiquement hussite et luthérienne. Le P. Denifle leur a montré que c’est ignorance pure. Le plus mince étudiant catholique en théologie sait que cette formule se trouve dans le Maître des Sentences et par suite dans tous les théologiens scolastiques. On faisait de même au subjectivisme de Luther, à sa doctrine de l’expérience intérieure, l’honneur de formules émues, qu’il emploie. Le même Denille a montré que Luther n’avait eu pour composer ces formules touchantes qu'à traduire le bréviaire et le missel de l’ordre des augusliniens. auquel il avait appartenu. Denille, Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, t. i, p. 416 sq. Non, l'Église catholique n’a jamais fait de la vie religieuse une affaire de glaciale élégance académique et de froide correction conceptuelle.

On nous objecte la froideur de nos manuels de théologie, et il n’est pas difficile de montrer qu’elle est grande. Disons que cette froideur est voulue, calculée, non certes pour bannir la vie alfective de la religion, mais pour la rendre plus intense. Il n’est pas de professeur de théologie qui ne pense et ne sente autrement de la Trinité, quand, en chaire, il raisonne pour ses élèves sur ce profond mystère, et quand il est à son prie-Dieu. Dans les deux cas, c’est de la même Trinité, considérée objectivement, qu’il s’occupe, de la même réalité mystérieuse, qu’il parle. Mais en chaire, il raisonne ; à son oratoire, il adore, il aime et il prie. Si. en classe, il sent l'émotion religieuse le gagner, le prendre à la gorge, il la refoule le plus souvent, préférant laisser à ses auditeurs de rigoureuses et lumineuses démonstrations plutôt que le souvenir de la vibration d’un instant. C’est que le professeur de théologie sait parfaitement que, si son élève comprend bien la doctrine, le dogme, il y trouvera pour lui-même et pour les autres, l’heure de Dieu venue, une source intarissable de chaudes lumières et de pieuses affections. Bien de glacial comme les Respondeo dicendum de saint Thomas ; en apparence, rien de moins religieux que les o disputes » de Suarez. Faut-il les supprimer ei les remplacer dans les cours de théologie par la lecture de l’Imitation et le chant de quelque pieuse prose du moyen âge ? Non, parce que, à qui sait regarder comment les choses se passent ici-bas, les pages incolores de saint Thomas et de Suarez sont des foyers de vie religieuse intense, d’une incomparable puissance. « Il vaut mieux, dit limitatif », sentir la componction que d’en savoir la définition. » C’est exact, pour la conduite personnelle et le salut de chacun. Mais si mil ne savail définir la componction, qui enseignerait aux autres à la sentir, à la distinguer de ce qui n’est pas elle ? D’ailleurs, c’est encore honorer Dieu