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DIEU (CONNAISSANCE NATURELLE DE ;


et considèrent comme certaines des hypothèses, qui ne sont que des vues systématiques — et ils sont étonnés que les théologiens, même ceux qui admettent ces hypothèses, prolestent contre le sophisme qu’il y a à les prendre comme hases d’une démonstration qui prétend aboutir à la certitude rationnelle. A ces hypothèses, ils joignent des thèses qu’aucun théologien catholique ne concède. M. Nouvelle, en effet, répondant à Mu r Turinaz, raisonne ainsi : « Tout homme en fait est appelé à vivre surnaturellement, à devenir consors divinee naturæ. Dès lors, je ne puis pas voir comment l’homme qui doit lihreinent atteindre cette fin pourrait seulement s’orienter vers elle, si au moins implicitement il n’en sent pas le hesoin et n’en éprouve pas le désir… Il faut donc bien admettre que, pour atteindre sa fin surnaturelle, qui est d'être participant de la nature divine, tout homme doit désirer posséder Dieu et être Dieu. » Réponse « M’J r Turinaz, dans les Annales de philosophie chrétienne, décembre 1905, p. 271. Cf. Denzinger, n. 1387, perinde ac si non daretur dilectio humana licila. M. Laberthonnière, continuant la même controverse, affirme que « le désir d'être Dieu, de posséder Dieu est bien certainement constitutif et caractéristique de l’humanité que nous sommes. » Ibid., p. 400. Cf. Denzinger, n. 1040, 1527, 1385. Pour M. Blondel, antérieurement aux grâces surnaturelles, « il y a une autre grâce, une vocation première, un état qui résulte de la perte du don initial. » Histoire et dogme, p. 68. Cf. Denzinger, n. 1381. De son côté, M. Desbuts proposant Une utilisation de la doctrine thomiste du concours, écrit : « Sans doute le concours divin n’est pas toujours ordonné directement à l’ordre surnaturel. Quand il tombe dans une âme séparée de Dieu, il se moule, comme partout, sur la nature qui le reçoit, et il ne vise alors immédiatement que des actions naturelles. Et cependant, cette âme, appelée à un ordre surnaturel, créée pour lui, n’est pas à l'état de « nature pure » : elle possède, de par la bonté gratuite de Dieu, un vide qui demande à être comblé. Dieu… tôt ou tard, l’amènera à se poser l’inévitable question de sa vocation surnaturelle ; il prépare tout en vue de ce moment gros de toute une éternité. Aussi le concours divin, même quand il est en soi naturel, n’est-il jamais ce qu’il serait chez une âme dont la destinée normale serait naturelle ; il conserve toujours, s’il est permis de risquer cette métaphore, une arrière-pensée surnaturelle. Il est donc forcé que notre idée d’infini, issue de l’action divine en nous, ne puisse s’appliquer qu’au but dernier vers lequel nous conduit cette action, » c’està-dire à notre fin surnaturelle. Cf. Denzinger, n. 677, 1381, 1010, 1527. La question ici n’est pas de savoir si M. Desbuts fausse ou non la notion de la prémotion bannézienne, cf. Pègues, dans la Revue thomiste, juillet 1908, p. 316, ni si l’emprunt qu’il fait à une des écoles néo-thomistes de Rome, à savoir que albedo separata esset (simpliciter) infini ta, est vrai ou faux, ad rem ou non. Nous ne nous arrêtons de même pas à remarquer que sans le concours, avec « arrière-pensée surnaturelle », M. Desbuts avoue ne pas s'élever au-dessus de la connaissance de « l’idéal », p. 254. Desbuts, Utilisation de la doctrine thomiste, dans les Annales de philosophie chrétienne, juin 1908, p. 259. De même, nous ne discutons pas la portée de l'écart que l’on remarque entre les doctrines classiques sur la grâce, sur notre élévation extrinsèque et intrinsèque au surnaturel, sur notre justification et les thèses de MM. Nouvelle, Laberthonnière et Blondel. Ces graves questions sont hors de notre sujet, qui est l’interprétation du concile, cf. Mm Turinaz, Lettre au R. P. Nouvelle, dans les Annales, t. eu, p. 387. Nous retenons seulement.qu’aussi bien dans le « vide » de M. Desbuts que dans le « désir » de M. Laberthonnière, le secours, donné dans l’ordre actuel pour nous amener à la première connaissance

certaine de Dieu est intrinsèquement surnaturel. Il le faut bien puisque, dans les deux cas, c’est par le < surnaturel exigeant » que nous arrivons à connaître véritablement Dieu.

II est vrai, avons-nous dit, que quelques théologiens ont parlé de l’hypothèse de secours surnaturels concédés de fait dans l’ordre actuel pour nous amener à la connaissance certaine de l’existence de Dieu. Mais lorsque nos apologistes, en quête de justification pour la méthode d’immanence, ont recours aux vues de ces théologiens et disent que sans les dons surnaturels on ne peut pas connaître Dieu, la formule n’a pas chez eux le même sens que chez les théologiens orthodoxes. En effet, la phrase peut avoir deux sens : de fait, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance de Dieu ; ou bien, en droit, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la vraie connaissance de Dieu. Le premier sens est conciliante avec le concile — et c’est celui des théologiens orthodoxes ; le second ne l’est pas — et c’est celui de Luther, de Jansénius, etc. Expliquons-nous.

Le premier sens est conciliable avec le concile, à savoir, de fait, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance de Dieu dans l’ordre actuel de providence ; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu sans l’aide d’une grâce. En effet, le concile n’a rien voulu décider sur les « conditions » de l’exercice du pouvoir qu’il définissait. Dire qu’un secours surnaturel, différent de la révélation, est accordé pour que ce pouvoir passe à l’acte ne contredit donc pas le concile. Quand on ajoute : de fait, dans l’ordre actuel, l’homme ne peut pas connaître Dieu sans la grâce, on peut encore concilier la pensée avec le texte voté. En effet, le concile a défini que l’homme en général, c’està-dire l’homme qu'étudie la philosophie, est constitué de telle sorte que par sa raison naturelle il peut connaître Dieu avec certitude ; ce qui entraîne un pouvoir intrinsèque à l’homme de connaître Dieu, et, de plus, si un secours est nécessaire pour que ce pouvoir passe à l’acte, que ce secours soit assuré, ne fasse jamais défaut, quel que soit l’ordre de providence envisagé. Cf. l’application de ces principes au cas de l’idée de l’infini du D r Kuhn, faite par le P. Granderalh, p. 41. Les théologiens orthodoxes anciens que l’on cite, concilieraient donc leur doctrine des secours surnaturels avec le concile, en disant : de fait, Dieu ne refuse à personne dans l’ordre où nous sommes cette grâce surnaturelle qui est la condition de la connaissance de Dieu ; et, dans l'état de nature pure, ce secours serait remplacé par un autre, en dehors de toute révélation. Comme d’ailleurs, chez les anciens théologiens, le secours dont ils parlent n’est pas per modum objectivi, mais servait seulement à faire voir, saisir ou admettre les prémisses naturelles et la conclusion, dans leur hypothèse, c'était encore au sens propre qu’il était question d’un pouvoir rationnel intrinsèque à l’homme, et la certitude aussi bien que la connaissance restaient rationnelles. Enfin, la connaissance n’atteignait pas, sans la révélation. Dieu, comme auteur et fin de l’ordre surnaturel.

Le second sens, à savoir, en droit, sans un secours surnaturel, l’homme n’arrive pas à la connaissance di Dieu ; en ce sens, il ne peut pas connaître Dieu sans secours surnature], est hérétique, parce que la formule ainsi entendue signifie, comme le voulaient Luther, Jansénius, etc., l’homme, en général, n’a pas le pouvoir physique de connaître Dieu. On nous demandera : Mais comment concilier cette conclusion avec l’aveu fait précédemment que le concile n’a rien défini sur les auxilia soit naturels, soit surnaturels, qui peuvent intervenir, hormis les secours objectifs qu’il a exclus '.' Rien n’est plus simple. Le concile admet que l’un des constitutifs intrinsèques de l’homme est la raison, pouvoir physique d’arriver à une connaissance et à une