Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/483

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1)51

DIEU (SA NATURE D’APRÈS LA BIBLE

952

Chanaan, qu’il avait promis à Abraham, à Isaac et à Jacob. Gen., L, 23.

Sans avoir donc encore aucune idée métaphysique de Dieu, les patriarches le reconnaissaient cornuele seul vrai Dieu, digne d’être honoré, comme le créateur du ciel et de la terre, le Dieu de l’humanité, avant conclu avec Abraham et sa famille un pacte particulier, en vertu duquel il sera toujours leur Dieu, à l’exclusion de tout autre. Par suite, sans se désintéresser des autres hommes, qu’il bénit ou qu’il punit selon qu’ils le méritent, Dieu protège spécialement les patriarchi veille sur eux, intervient dans leur vie et règle par sa providence leur sort. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est ainsi le Dieu unique et véritable, dont la nature sera mieux manifestée à leurs descendants par des révélations postérieures. Il n’y aura pas d’interruption dans la connaissance de lui-même que Dieu communiquera à l’humanité. Cf. P. de Broglie, Questions bibliques, 2e édit., Paris, 1901, p. 294-295, 299.

Les noms divins à celle époque.

La Genèse continue à nommer Dieu à l’époque patriarcale, tantôt Elohim, tantôt Jéhovah, selon les narrations élohisles ou jéhovistes. Cependant, Dieu est parfois désigné par le nom commun El, qui est le nom de Dieu par excellence. Ces deux noms nous apprennent quelle idée se faisaient de Dieu ceux qui les employaient. Il faut donc les étudier ici.

1. Jéhovah, le Dieu des pères. — Beaucoup d’exégètes ont pensé que ce nom propre de Dieu avait été révélé pour la première fois à Moïse au Sinaï, Exod., ni, 14, et que c’est pour cette raison que les récits dits élohistes commencent seulement à partir de cette révélation à nommer Jéhovah le Dieu d’Israël. Ce serait donc par prolepse ou par anticipation que les récits jéhovistes auraient employé ce nom divin à l’époque patriarcale. Dieu aflirme, en effet, à Moïse qu’il a apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Êl-Sadda’t et qu’il n’a pas été connu d’eux sous son nom de Jévovah. Exod., vi, 3. Cependant, dans les récits élohistes eux-mêmes, Jéhovah, qui se manifeste à Moïse, se dit expressément le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Exod., iii, 6, 15, 16. C’est donc au moins le même Dieu qui s’est manifesté et qui était honoré sous des noms différents. Il paraît néanmoins certain, nous le verrons plus loin, que le nom de Jéhovah était connu des patriarches avant Moïse. Il est, d’ailleurs, peu vraisemblable que Moïse ait pu proposer aux Israélites comme leur Dieu spécial, un Dieu inconnu d’eux. Aussi Moïse répète-t-il que Jahvé avait été le Dieu des pères. Deut., i, 21 ; vi, 3 ; xxvii, 3. Israël le connaissait donc, quoiqu’il ne le reconnût pas encore pour son Dieu spécial. C’est pourquoi les récits jéhovistes emploient constamment ce nom pour désigner le Dieu créateur et le mettent dans la bouche de Dieu parlant à Abraham ou d’Abraham parlant à Dieu, Gen., XV, 6-8 ; qu’ils disent aussi que Jahvé a été l’El de Sem et de sa race, Gen., ix, 26 ; qu’il était connu de Tharé et de Nachor, Gen., xxxi, 53, de Laban et de Bathuel, Gen., xxiv, 50, 51 ; xxvi, 28, 29 ; xxx, 27 ; xxxi, 21, 49, 50, de Melchisédech, Gen., xiv, 18-20, 22, et d’Abimélech. Gen.. xx. 3-7 ; xxi, 23. Ce nom convenait donc déjà au Dieu des patriarches avec sa signification précise, que nous fixerons plus loin, quoique peut-être elle n’ait pas encore été parfaitement comprise.

2. 7’.'/ et’Êl-Saddaï. — Le Dieu des patriarches est spécialement désigné par le nom de’F.l seul ou avec des épithètes, qui expriment divers attributs.

a)’El. — Ce nom, qui était le nom propre de Dieu chez tous les sémites primitifs, voir P. Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques, p. 70-77, a dû être aussi employé de la sorte par les Hébreux, quoiqu’il soit devenu appellalif dans l’usage chez eux, comme partout ailleurs. Un le retrouve au moins deui

fois avec certitude-.1. m la Genèse. A Bersabée, Jacob venait d’offrir des sacrifices à l’ÉIohim de son |

Cet Elohim lui apparaît et lui dit : g Je suis Kl (l’article qui, en général, est de basse époque, a dû être ajouté plus tard ; , l’ÉIohim de ton pire… Gen., xi.vi, 3. A Sichem, Jacob avait élevé déjà un autel et y avait honoré El, l’EIohim d’Israël. Gen., XXXIII, 20. Il se pourrait que ce nom eût le même caractère en d’autres passages, tels que Gen., xxxi. 13 ; xxxv, I. Stade, Biblische Théologie des Allen Testaments, Tubingue, 1905, t. i, p. 71-7."). a prétendu que, dans ces passages, El désignait un dieu local, un numen loci, honoré dans ces lieux de culte..Mais, dans le contexte, ce sens est impossible. Ce n’est pas un £1 quelconque, qui apparaît à Réthel ou à Phanuel, Gen.. XXXII, 30, 31 ; c’est l’El de Jacob, qui se montre à lui en ces lieux, ainsi dénommés pour cette cause. Du reste, l’El de Béthel apparaît à Jacob en Mésopotamie, Gen., xxxi, 13 ; ce n’est donc pas un dieu ou génie local. C’est Élohïm, qui se manifeste en divers lieux et qui est l’unique Dieupour Jacob comme pour son père Isaac. Cf. P. Lagrange, op. cit., p. 81. A une époque où El avait déjà partout ailleurs le sens appellatif, Jacob, n’ayant qu’un Dieu, pouvait employer ce nom pour désigner la divinité. Avant de consacrer un lieu pour en faire un sanctuaire, les patriarcl. avaient eu une marque de la puissance, de la bonté ou de la présence toujours vigilante du Dieu qu’ils adoraient comme auteur de la nature. Les sanctuaires de leur époque n’étaient pas dédiés à divers dieux, aux génies de la contrée et ne sont pas des traces du polythéisme primitif des Hébreux.

El se retrouve dans les noms araméens Camuel et Bathuel, Gen.. xxii, 21, 23, et dans celui d’Ismaël. Gen., xvi, 11.

L’étymologie de El n’est pas certaine. Beaucoup font dériver ce mot de la racine verbale inusitée.’--s, à laquelle ils donnent, entre autres, le sens de < être fort », de sorte que Ll signifierait le fort >-. D’autres le font venir de rï’-s, qui a le même sens. D’autres ont

T T

donné au nom le sens de « premier ». P. de La.^arde a proposé la signilication de terme auquel tendent les hommes par leurs désirs et leurs efforts ; mais, au jugement de Stade, loc. cit.. p. 75. -s indique la direction et non pas le but. M. Hetzenauer, op. cit., t. i, p. 372. Cf. P. Lagrange. op. cit., p. 79-81 ; F. Delitzsch, Babel und Bibel, I er discours, 5e édit.. Leipzig. IC05, p. 49, 75, note 36 ; A. Jeremias, Monotheistische Slrômungen innerhalb derbabylonischen Religion, Leipzig, 1904, p. 19 ; .T. Nikel, Cer Ursi rang des alllestameallic /ien Goltesglaubens, ,’ ! édit.. Munster, 1908, p. 31. Tous ces concepts sont très relevés et montreraient que les patriarches avaient un sentiment profond de la supériorité de la nature divine. — Mais, en dehors de toute étymologie, on peut déterminer le sens - néral de El chez les sémites primitifs, pour qui il était le plus ancien nom de Dieu. « Ou bien c’est le nom propre du dieu des sémites employé ensuite comme appellatif, ou c’est un nom commun devenu le dieu des sémites par excellence. Nous pouvons pour le moment laisser la question en suspens. Mais en revanche un point paraît clair. Si El. nom appellatif, c’est-à-dire s’appliquant à la nature divine, a pu devenir un nom personnel, eest donc que la nature divine était à ce moment considérée comme unique, et si d’autre part c’est un nom personnel qui est devenu le nom commun pour désigner tout ce qui participe à la nature divine, c’était donc derechef qu’on donnait à cette personne divine toute la plénitude de la divinité’, n P. Lagrange, op. cit., p. 77. A l’origine, il désignait donc le divin conçu comme distinct du ri ste des choses et comme unique d’une certaine façon. Pour le sémite primitif, El était « un être supérieur sans