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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/585

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DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES

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sur la partie rationnelle des écrits des Pères. L’aboutissement de cet immense travail fut le Livre des Sentences de Pierre Lombard, P. L, , t. cxci ; édition critique, dans le I 1’1 volume des Opéra de saint Jionavenrure, Quaracchi, 1882. Le recueil de Pierre Lombard lit vite oublier les travaux du même genre qui l’avaient précédé ; il devint bientôt le texte classique des cours et traités de théologie ; il fut les Sentences, tout court. Le succès du Maître des Sentences fut dû en grande partie à sa méthode ; en tout cas, cette méthode est la méthode scolastiquedans son premier épanouissement. Le Monologium et le Proslogion sont surtout œuvre de philosophe ; le livre des Sentences est plutôt rouvre d’un théologien. — 1. Saint Anselme se livre à la spéculation sur la nature divine, et constate que ses principes et conclusions sont conformes à l’enseignement traditionnel ; Pierre Lombard procède d’abord par voie d’autorité scripturaire et patristique ; et, chez lui, l’argumentation philosophique est ordinairement fournie directement par les textes mêmes qu’il recueille. On saisira la différence, qui est plus qu’une nuance, en comparant par exemple la Somme philosojihique de saint Thomas contre les gentils et sa Somme théologique. Dans le Contra gentes, saint Thomas n’amène qu’à la fin de ses chapitres les textes scripturaires ou patristiques que, dans la Somme tltéologique, il place avant la spéculation philosophique, en tête du respondeo dicendum au sed contra, qui résume et rappelle d’un mot l’argument théologiquement décisif.

La reconnaissance de l’importance de la tradition chrétienne, même en pure spéculation philosophique sur Dieu, qui caractérise l’œuvre de Pierre Lombard, orienta le travail des théologiens dans une direction négligée par saint Anselme. — 2. Celui-ci avait abordé la solution des difficultés que peut élever la raison contre les conclusions traditionnelles sur Dieu ; et en ce point les scolastiques le suivirent. Mais il n’avait pas donné la solution des problèmes que soulèvent les divergences des Pères ; ce fut un travail qu’allectionna le XIIe siècle ; et quoi qu’en aient dit le P. Denille et M. Picavet, Abélard et Alexandre de Halis créateurs : de la méthode scolastique, dans la Bibliothèque de l’École des Hautes Eludes, Sciences religieuses, t. iiv et après eux M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, Louvain, 1900, p. 201, l’œuvre d’Abélard, et en particulier le Sic et non, ne furent qu’un épisode dans ce travail de classification et de conciliation des textes, dont les canonistes avaient les premiers donné l’exemple. Il y eut, en effet, des « sententiaires » avant le Sic et non, de même qu’il y eut des « sommistes » avant Vlntroductio ad theologiam. Cf. Baltus, Dieu d’après Hugues de Saint-Victor, dans la Revue bénédictine, 1898, p. 109. D’ailleurs, la question de dates qui cependant a bien ici quelque poids mise à part, comment qualifier « d’initiateur de la méthode scolastique » celui que le premier siècle de la scolastique admira, mais condamna ; celui que la scolastique postérieure ignora si bien, que de nos jours encore on discute sur la vraie portée de ses écrits ? Le P. Denifle a mis à la mode ce qu’il appelle une école d’Abélard, voir t. I, col. 49 ; il semble bien que ce soit à tort ; car le Sic et non n’était qu’un recueil de textes en apparence discordants, mais sans critique, sans que l’auteur donnât son opinion personnelle, comme font toujours les scolastiques ; et d’un autre côté, dans Vlntroductio ad theologiam, où Abélard est personnel, il l’est, comme ne le sont jamais les scolastiques, je veux dire sans égard pour la subordination de la pensée humaine à la révélation, de la spéculation au donné traditionnel. Cf. Daniels, Quellenbcilrâge und Untersuchunge » iw Geschichte der Gottesbeweise im xni Jahrhundert, Munster, 1909, p. 116. au t. viii des Beitrâge. Si l’on tient absolument à compter parmi les initiateurs de la

scolastique un écrivain dont l’orthodoxie ne fut pas toujours intacte, qu’on nomme Gilbert de la Pori <’., qu’il est certain que ses commentaires sur Boèce furent souvent cités, largement utilisés, et que son trait. De sexpnncipiis fui longtemps classique. Albert le Grand le commenta ; saintThomas lui lit de larges emprunts ; on l’éditaitencore avec les œuvres d’Aristote au XVIe siècle. On ne peut pas en dire autant d’Abélard. Tout ce qu’on peut reconnaître d’influence au Sic et non, c’est d’avoir fait sentir à tous la nécessité du travail d’interprétation des textes patristiques, auxquels se livraient les sententiaires, et d’avoir ainsi préparé le bon accueil que l’on ne tarda guère à faire à l’œuvre de Pierre Lombard. Sans doute les Sentences, au point de vue de l’interprétation objective des Pères et de leur philosophie, nous paraissent aujourd’hui bien imparfaites ; car les recherches entreprises sur ce sujet par les théologiens depuis la fin du xvi<e siècle nous ont rendu difficiles et exigeants. Mais il ne faut pas oublier que, sans la persistance de l’influence de Pierre Lombard, ni Melchior Cano n’eut pu railler, comme il a fait, ceux qui en théologie trancheraient tout par un syllogisme tiré d’Aristote sans recourir aux sources chrétiennes : ni l’école des jésuites espagnols, Vasquez et Suarez, n’eût pu donner une si large place à la discussion de la pensée historique des Pères, et faire naitre ainsi les travaux de Petau et de ses émules. Il ne faut pas oublier non plus que la préoccupation de concilier les Pères entre eux, imposée à tous les scolastiques du moen âge par le texte même de l’auteur qu’ils commentaient, donna à leurs spéculations une base plus large, les préserva du dogmatisme philosophique intransigeant où incline l’usage constant de la méthode dialectique, et mit en éveil, tint en haleine leur curiosité métaphysique. Sans doute, quelques-uns abusèrent de la liberté grande d’opiner qui naissait de la situation ; mais la providence semble s’être servie de cette liberté mi pour prévenir la formation dans l’Église d’une tradition philosophique unilatérale, dont l’étroitesse eut pu un jour devenir un embarras. Ces résultats sont assez importants pour consoler de l’ennui que l’on éprouve à voir les anciens scolastiques, même les plus grands, se méprendre, dans la solution des difficultés patristiques qu’ils se posent, sur le sens des textes et sur les divergences ou nuances des diverses philosophies. faute d’avoir comme nous une édition complète et critique d’Aristote, de Plotin ou de Proclus, faute surtout d’avoir sous la main l’équivalent des patrologies deMigne. Heureusement, les intuitions du génie d’une part, celles du sens catholique de l’autre, suppléèrent le plus souven à ce que laissait à désirer l’érudition ; et, quoi qu’en puisse dire M. Picavet, il en résulta qu’avec des formules néoplatoniciennes les scolastiques exprimèrent des vérités chrétiennes.

Une dernière conséquence de la méthode strictement théologique de Pierre Lombard fut la distribution des matières de son I et livre. — 3. Saint Anselme dans son Monologium avait distingué la connaissance naturelle que nous avons de Dieu par la raison, et celle que nous avons par la foi ; et, conformément à la logique des choses, il avait commencé son ouvrage par la première, et l’avait achevé par la seconde ; c’est l’ordre que suivit plus tard saint Thomas dans la Somme théologique, et c’est l’ordre communément suivi dans l’École depuis le milieu du xvi c siècle, c’est-à-dire depuis le moment où la Somme de saint Thomas a prévalu sur l’œuvre de Pierre Lombard, comme texte de cours. Pierre Lombard, se plaçant plus rigoureusement que saint Anselme au point de vue théologique, débute au contraire par le dogme fondamental de la Trinité : Hoc itaque vera ac pia fide tenendum est quod Trinitas sil unus et solus verus Deus, lit ait Augustinus. L. I, dist. II. c. I. Et ce n’est qu’à propos de l’étude ration