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DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES

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ad 7, 1, n. Or, si elle est un être en puissance, elle esten soi un bien ; et Algazel s’est trompé en mettant cette conclusion en doute, lbid., ad 3 llni ; Sum. llieol., [*, q. v, a. 3, ad 3 UI ". Elle est un bien. D’abord, en vertu du principe de la convertibilité de l'être et du bien, in tanturn est aliquid bonum in quantum est ens : esse enim est aclualilas omnis rei, Sum. theol., I a, q. v, a. 1 ; ensuite, parce qu’elle est un être en puissance, omne subjectum in quantum est in potentia respectu cujusque perfeclionis, eliam maleria prima, ex hoc ipso quod est in potentia, liabet boni rationem. De plus, elle est en soi un bien, c’est-à-dire par dénomination intrinsèque. En effet, bien que la matière soit comme tout le reste un être par participation, c’est par sa nature même qu’elle est un être en puissance ; c’est donc par dénomination intrinsèque qu’elle est un bien : maleria prima potentiam liabet per se ipsam ; et cum potentia perlineat ad rationem boni, sequitur quod bonum conveniat ei per seipsam. De nialo, q.i, a. 2. La même conclusion suit du fait que la matière « est », au sens où l'être signifie l’actualité des eboses ; unumquodque secundum suam essentiam liabet esse ; in quantum autem liabet esse, liabet aliquod bonum ; or rien n’est plus intrinsèque que l’essence, la matière est donc intrinsèquement un bien. Contra gentes, 1. III, c. iiv n. 2. Et ces principes paraissent tellement certains à saint Thomas qu’il en fait la base de sa réfutation du manichéisme : quod nialum non est aliqua natura. Telle est la notion de la matière que saint Thomas pense trouver chez Aristote et qu’il fait sienne après avoir constaté qu’elle est non seulement conciliable avec le dogme chrétien, mais encore incompatible avec les erreurs fondamentales de son temps. Or, saint Thomas se flatte de retrouver cette notion chez Denys. Celui-ci appelle, il est vrai, la matière un nonêtre ; mais non pas au sens d’une pure privation ; pour lui, elle n’est un non-être qu’en raison de la privation qui lui est adjointe. Sum.' llieol., I a, q. v, a. 3, ad 3 uro. Ne dit-il pas, en effet, expressément : ipsum non ens desiderat bonum 1 ? In IV Sent., 1. I, dist. VIII, q. i, a. 3, ad 2um. D’où il faut nécessairement conclure que d’après Denys la matière, en tant qu’opposée à la forme, est un bien, participé il est vrai, mais intrinsèque, en vertu du principe : nihil appétit nisi simile sibi. Sum. theol., I a, q. v, a. 2, ad l um. De la sorte, puisque le non-être de Denys n’est autre que l'être en puissance d’Aristote et est comme lui un bien par dénomination intrinsèque, l’Aréopagite a eu raison d'écrire que la bonté divine prise au sens causal s'étend au non-être comme à l'être. Cf. Suarez, Disp. metaph., disp. X, sect. iii, n. 24.

Enfin, du même point de vue de la manifestation causale de la perfection divine où il s’est placé, Denys dit avec raison que le bien précède l'être. Saint Thomas joint ici à la considération de la cause matérielle d’Aristote celle de la téléologie péripatéticienne ; et, comme l’a fort bien dit "Weertz, Die Golteslehre des Pseudo-Dionysius Areopagita und ihre Einwirkung auf Thomas von Aqttin, Cologne, 1908, p. 15, nous sommes ici en face d’une des pensées les plus ingénieuses du docteur angélique.

On sait la grande place que tient dans l'œuvre de Denys la doctrine platonicienne de la circulation : issus de Dieu, tous les êtres retournent à lui, tous, y compris le non-être, désirent Dieu. Cf. Rousselot, Pour l’histoire du problème de l’amour au moyen âge, Munster, 1908 p. 33. Alexandre de Halès avait remarqué que, dans les contextes de Denys, l’idée du bien dont toute l’appélition est liée à celle de but, de fin ; et il avait noté d’un mot : rursus bonum dicil conditionem finis, quia, ut ail Boelius, omnia bonum exoptant. Summa, Venise, 1576, part. I, q. xlix, m. 17, a. 2. Saint Thomas s’empara de cette remarque et la mit en valeur. D’après

Aristote. le bien est le désirable : ratio boni in hoc consista quod aliquid sit oppelibile, Sum. theol., I*, q. v, a. 1, et il est aussi le but ou la fin. lbid., a. 4. Cf. Suarez, Disp. metaph., disp. XXIII, sect. v, n. 2. Or on peut déduire de Denys que c’est le propre du bien de se répandre : bonum est diffusivum sui ; mais, puisque la création est libre, cette formule ne peut pas s’entendre au sens de la causalité efficiente ; elle n’estdonc vraie que de la causalité finale. De verilate, q. -xxi, a. 1, ad 4um ; Sum. theol., I q. v, a. 4, ad 2°" 1 ; In IV Sent., 1. I, dist. XXXIV, q. ii, ad 4um. En ce sens, le bien est cause : bonum est perfectivum et tonservativum. De verilate, q. xxi, a. 1 ; Sum. theol., l a, q. xvi, a. 1. On peut donc concilier Aristote et Dcii>^ qui se complètent. En effet, le bien est le but auquel on tend ; or chaque chose tend à sa perfection ; mais la perfection est ce que la cause efficiente a en vue ; donc tendre à sa perfection, c’est aller au but de la cause première ; d’où Dieu est le but de chaque chose, et par conséquent le désirable d’Aristote : omnia, appetendo proprias perfecliones, appelunt ipsum Deum, inqvantum perfecliones omnium rerum sunt quædam sinitr liludines divini esse. C’est ce qu’on signifie quand on dit que Dieu est le bien, au sens relatif. Sut », theol., I", q. vi, a. 1, ad 2um. La raison en est fournie par Denys, à savoir la causalité divine. Parce que Dieu opère par manière de cause finale, les choses tendent à lui. Cf. Suarez, Disp. melaphys., disp. XXIII, sect. iv, n. 4, 8. D’où il faut conclure que, toujours au sens relatif, Dieu est le souverain bien. Car, puisque la causalité de la fin ou de la diffusion divine qui ne se produit pas mediante aliqua virtute superaddila, s'étend atout, Contra gentes, 1. I, c. lxxv, 5 ; lie verilate, q. xxi, a. 1, ad 4um, en ce sens il est le bien de tout : sic enim bonum Deo allribuitur in quantum omnes perfecliones desiderata ; efpuunt ab eo sicut a causa. Sum. theol., I a, q. vi, a. 2. Voir col. 914. Dens a donc eu raison de penser que Dieu, considéré comme le bien, précède l'être, puisque la cause finale est la première des causes. Sum. theol., I a, q. v, a. 2, ad l um. Il suffit d’un instant de réflexion pour voir que toute cette exégèse de saint Thomas implique dans sa pensée une conception du monde dont la base est composée des deux principes suivants : les choses et leurs parties constitutives sont ce qu’elles sont par elles-mêmes et non per tertium quid ; les êtres naturels tendent à leur fin par un principe qui leur est intrinsèque et non pas seulement en vertu d’une impression accidentelle reçue du dehors, ce qui nous permet de connaître la nature des êtres par leurs opérations.

Le lecteur qui nous a suivi prévoit les répercussions de cette exégèse et de cette conception du monde sur la théodicée de saint Thomas. On a vu que, malgré des tâtonnements, le xiie siècle avait, avec Alain de Lille, résolu correctement, je veux dire dans le sens du réalisme modéré, le problème de l’unité : l’unité des choses, bien que dérivée de la première monade, leur est intrinsèque. En soi, les choses sont unes ; ce qu’on appelle leur composition réelle, ou vient de leur contingence, ou se confond avec elle ; et par conséquent l’unité de simplicité n’est en Dieu autre chose que l’aséité ou en découle immédiatement. Au contraire, le XIIe siècle avait en ce qui touche le problème de l'être et de la bonté des créatures penché vers une solution nominaliste. Dieu est l'être par essence ; tout le reste n’a l'être et la bonté que par participation, en ce sens que l'être et la bonté ne se disent des choses que par dénomination extrinsèque avec connotation de la causalité divine. De cette conception, que Gilbert qualifiait de théologique. suivaient spontanément l’explication des attributs divins par la connotation des œuvres divines, et la réduction à la seule contingence de la distinction du fini et de l’infini. Deus amat ut cltaritas, dit saint Bernard, notnt