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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/641

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DIEU fSA NATURE D’APRÈS LA PHILOSOPHIE MODERNE

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existante, et l’esprit la raison pensante. Quant à l’absolu, il est la liaison impersonnelle, la liaison même.

L’opposition est la loi de la matière et de l’esprit. Partout l’analyse découvre des phénomènes de polarisation, une oscillation entre deux extrêmes, la lutte de deux principes tout à la fois contraires et corrélatifs. Cette loi inéluctable limite notre connaissance de la divinité. Incapables de parvenir à une parfaite intuition qui nous identifierait avec l’absolu, nous ne concevons Dieu que comme l’objet de notre pensée. Ainsi « le moi demeure d’un côté, et Dieu de l’autre. » Histoire de la philosophie européenne, Paris, 1905, p. 496-502. Au sein de la divinité, nulle opposition, nulle distinction. Ainsi Dieu est l’absolu, la raison, l'Être inliniment simple. Par ces attributs, la Ibéodicée de Schelling se rapprocberait de la théodicée classique. Mais on ne voit pas comment le Dieu de Schelling se distingue du monde ; et l’on voit, au contraire, comment l’auteur lui refuse tout caractère de personnalité.

Weber attribue surtout à l’influence de Boebme le changement qui va marquer la seconde phase, la philosophie positive. Il estime que le monisme reste le fond de la doctrine. D’ailleurs, on nous propose une tout autre notion de la divinité. Avant d'être intelligence et volonté consciente, avant d'être Dieu en un mot, le premier principe obéit à une aveugle volonté d'être. Comme toute chose, Dieu évolue. Seulement le développement divin est éternel, et les moments qu’il traverse et qui constituent les hypostases ou personnes de la Trinité, coïncident et s’identifient. La distinction des trois personnes n’est réelle que pour la conscience humaine. Ce n’est plus l’intuition, mais l’inspiration, qui nous révèle la divinité. Art, religion, révélation se confondent et dominent également le savoir philosophique. « La philosophie conçoit Dieu ; l’art, c’est Dieu. » Weber, op. cit., p. 502.

Hôffding complète en deux points l’analyse de la philosophie négative et de la théodicée qui lui correspond. Il insiste sur le caractère naturaliste que présente alors la pensée de Schelling. Celui-ci, après avoir déclaré que la matière serait inintelligible, si elle ne contenait des forces spirituelles, si elle ne renfermait le germe de la pensée, écarte aussitôt l’interprétation monothéiste et finaliste de l’univers. « Expliquer la finalité de la nature par l’intervention d’un entendement divin, ce n’est pas philosopher, mais faire de pieuses méditations. » Hôffding, op. cit., t. ii p. 165. Comme l’esprit, mais à un moindre degré, la matière est représentation et dualité. Il faut expliquer la nature en termes de pensée, si l’on veut admettre que la nature produise la pensée. Xe recourons pas à un principe transcendant pour rendre compte de l'évolution universelle. Il suffit que nous ne soyons pas mécanistes. N’invoquons pas un ordonnateur suprême. Il suffit de reconnaître dans les phénomènes naturels une finalité immanente et de concevoir la matière comme de « l’esprit qui sommeille ». lbid., p. 166. Cependant Schelling ne veut pas donner de l’univers une interprétation scientifique, mais un commentaire symbolique. Quand il parle de l’esprit qui sommeille dans la matière et qui progressivement s'éveille à la conscience, il ne prétend pas indiquer les phases réelles d’une évolution génétique, mais les degrés logiques d’une hiérarchie idéale. Il dédaigne même, comme une spéculation toute superficielle, l'étude des phénomènes objectifs et de leur enchaînement observable. La construction spéculative qui, dans l’hypothèse de l’identité foncière de toutes choses, représente le type universel de la réalité, nous aide seule à pénétrer dans l’essence de la matière et de l’esprit, lbid., p. 167-169. Hôffding met en évidence ces deux traits de la philosophie première de Schelling : le naturalisme et le symbolisme.

Le second, du reste, ébauche et annonce la philosophie de la religion.

Hôffding précise l’origine de la philosophie positive, qu’il appelle, d’un terme technique et admis dans

l’histoire de la philosophie, mais regrettable car il est équivoque, le théisme philosophique. Dans une lettre du début de l’année 1806, Schelling avoue qu’il s’est inoins occupé de la vie que de la nature, et que désormais il fera meilleure place à l'étude de la religion. Un de ses disciples, F.schenrnayer, l’avait pressé' d’expliquer l’origine de cette matière et de cette pensée dont l’opposition et la polarisation étaient peut-être la loi, mais non la cause. Il demandait comment de l’absolu dérivait la multiplicité des êtres, et à cette question il donnait lui-même la réponse : par la création, t’n philosophe, en effet, ne peut se contenter d’une métaphore, et se borner à dire que l’absolu se réfléchit dans le monde de la matière et de l’esprit. Schelling ne semble pas voir l’objet exact de l’interrogation ; et au lieu d’expliquer comment le monde existe, il cherche à faire comprendre comment le monde est soumis à la diversité et à la loi d’opposition. Tout le problème se ramène pour lui à ces termes : d’où vient, non pas le monde, mais la discorde qui existe dans le monde. C’est un autre problème, mais ce nouveau problème, il faut l’avouer, est franchement établi par Schelling, qui en montre toute la portée, et l’appelle de son vrai nom : le problème du mal. Peut-être même aurait-on le droit de lui reprocher d’avoir dépassé et les données et les incertitudes réelles de la question. Ici apparaît l’inlluence de Boehme, de Boehme auquel Saint-Martin en France et Franz Baader en Allemagne donnaient un regain de célébrité. A son tour, Schelling admet dans la divinité l’opposition primordiale d’un fonds obscur et irrationnel et d’un vouloir éclairé. Cette opposition explique et la personnalité divine et la production du monde et l’existence du mal. Si elle ne rencontrait pas d’obstacles en elle-même, comme elle ne se heurte à aucune barrière extérieure, la nature divine ne saurait comporter l’existence personnelle. Personnalité, en effet. suppose lutte plus ou moins douloureuse. L'évolution du monde représente l’exode de la divinité qui, par l’opposition universelle, tend vers une harmonie finale. Pour que le mal n’existât pas, il faudrait supprimer le monde, il faudrait que Dieu lui-même ne fût pas. El cependant, rappelle justement Hôffding, l'évolution du monde est éternelle et instantanée en Dieu. Là le conllit ne précède pas la paix. La vie divine consiste en un mouvement circulaire et inétendu. lbid., p. 170, 173.

Dans sa thèse latine, M. Victor Delbos explique cette appellation de philosophie positive par laquelle Schellinar lui-même désignait sa seconde théorie de l’Absolu. Positive en quoi ? En ce que c est une doctrine de l’existence et de la réalité ; tandis que la doctrine de la Raison impersonnelle n’atteignait, dans une certaine mesure, que les essences des choses et les conditions de leur existence, mais non leur existence elle-même. La philosophie religieuse de Schelling est encore positive en ce qu’elle subordonne le déterminisme de l’idée aux contingences de l’action, et proclame, au nom de l’expérience, la puissance de la liberté à l'égard de la raison. Au lieu d’assujettir le développement réel de l’humanité à un ordre préalablement supposé de concepts, la seconde philosophie de Schelling l'étudié dans l’histoire. Elle comprend dans leur vérité relative et progressive les diverses formes, mythologiques et théologiques, de la pensée religieuse. Elle s’oriente vers une théodicée positive et monothéiste. M. Delbos rappelle l’inlluence de Schelling sur deux groupes de philosophies : les philosophies religieuses de la liberté comme celle de Secrétan, et les philosophies pessimistes de la volonté aveugle, comme celles de Schopenhauer et de Hartmann.