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EUTYCHÈS ET EUTYCHI ANISME

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la parité était loin d'être parfaite entre ces deux unions. Les catholiques qui les combattaient pouvaient croire qu’ils faisaient du Verbe la partie d’un tout naturel au sens propre du mot. < On rencontre souvent sous leur plume les mots mêmes de mixtion et de mélange, de même que les verbes correspondants à ces termes, pour caractériser l’union du Verbe et de la chair. Nous pourrions citer de nombreux passages dans lesquels il est dit que les éléments ont été mêlés et mélanr/és, que la divinité a été mêlée à l’humanité, que le Verbe s’est mêlé à la ehair. » Lcbon, op. cit., p. 218. Par ailleurs, le premier chef de la résistance au concile de Chalcédoine, Dioscore, s'était gravement compromis en absolvant Eutychès au brigandage d'Éphése où l’on avait crié anathème aux partisans des deux natures. Mansi, t. vi, col. 862. Les véritables eutychiens aimaient à se couvrir du patronage des monophysites nominaux. Cf. Lebon, p. 24. On comprend dès lors assez facilement que les défenseurs de l’orthodoxie chalcédonienne aient souvent considéré comme disciples d’Eulychés tous les monophysites sans distinction.

Nous ne ferons pas ici l’exposé scientifique et détaillé de la théologie sévérienne, cette question devant être traitée à l’art. jMoxophysisme. Nous laisserons également pour le même article ce qu’on peut appeler le monophysisme trinitaire, c’est-à-dire la doctrine des sectes sévériennes qui se sont disputées sur la Irinité. Disons seulement qu'à notre avis, ces disputes, la plupart du moins, ne furent que des logomachies. Nous ne croyons pas au trithéisme réel de Jean Philoponc, pas plus qu’au sabellianisme ou au tétradisme de certains autres. L’introduction par Jean Philopone de la terminologie aristotélicienne dans le monophysisme mit le désarroi parmi ses partisans et donna naissance à une confusion indescriptible dans le langage théologique, confusion qu’il est très diincile de démêler par suite du manc|ue de documents. Voir les articles déjà parus dans ce dictionnaire sur certaines sectes monopliysites : AGXoÈrES, t. i, col. 586-596 ; Condobaudites, t. iii, col. 814 ; Conox, CoNONiTES, col. 1153-1155 ; Damiaxites, t. iv, col. 39-40. Nous allons parler uniquement des diverses formes de l’eutychianisme proprement dit.

IV. Les diverses sectes eutychienxes.

Une seule personne, une seule nature ou essence dans le Christ après l’union de la divinité et de l’humanité : telle est, avons-nous dit, la formule de l’eutychianisme proprement dit. A priori, quatre formes d’cutychianisme sont possibles : 1° L’humaniLé disparaît comme telle. Elle est divinisée, transformée en la divinité, absorbée par elle. 2° La divinité disparaît dans l’humanité. Le Verbe perd ses attributs divins. 11 cesse réellement d'être Dieu pour devenir homme. 3 » Les deux natures se mélangent ou se combinent en une troisième, qui ne ressemble complètement à aucune des deux, comme l’eau se mélange au viii, ou comme l’oxygène et l’hydrogène se combinent et deviennent de l’eau. 4° Les deux natures sont les partics d’un tout naturel. Bien que dans l’union elles demeurent sans mélange ni confusion ni transformation substantielle, elles se perfectionnent cependant mutuellement et forment une nature ou essence complète.

A la deuxième de ces hypothèses se rattachent deux autres formes du monophysisme réel : 1° on peut supposer que le Verbe se fait cliair, en tirant la chair de sa propre substance, en se transformant, en se condensant en chair, et cela d’une manière réelle ; 2° on peut supposer que ce changement du Verbe en chair n’est qu’apparent, et l’on a le docétisme. Dans les deux cas, la formule eutycliienne : Une seule nature après l’union, trouve encore son application en quelque

DICT. DE TllÉOL. CATHOL.

façon, bien qu'à proprement parler, il n’y ait pas eu d’union. Sera eutychienne aussi, bien que non directement monophysite, la théorie qui admettra dans le Christ une humanité réelle, mais d’origine céleste, en vertu de la seconde formule d’Eutychés : Le Christ ne nous est pas consubstantiel.

Cela fait donc en tout sept formes différentes de l’eutychianisme. L’histoire nous montre que chacune de ces théories a eu ses partisans, que toutes ont été attribuées à Eutychès, ou du moins à ses disciples, que toutes, ou peu s’en faut, ont fait leur apparition antérieurement à l’archimandrite constantinopolitain qui leur a prêté son nom.

Théorie de l’absorption de l’humanité par ta divinité.

Nous avons vu plus haut que Théodoret, dès

l’an 447, au moment où 1 composait son Eranistès, connaissait déjà cette forme du monophysisme : « Après l’union, seule la divinité est demeurée ; l’humanité a été absorbée par elle, à peu près comme une goutte de miel mêlée à l’eau de la mer s’y dissout. » Nestorius dans le Livre d’Héraclide la signale aussi : « Dieu le Verbe n’est pas venu pour changer sa propre essence immuable et pour en faire l’essence de la chair, mais pour élever notre propre essence misérable et changeante jusqu'à sa propre essence, qui est immuable, et pour la rendre divine et adorable, non pas à part, mais dans l’union. Il l’a gratifiée de l’union avec sa propre essence, afin qu’il y ait une seule essence et un seul prosôpon d’une seule essence. La petite a été mélangée et égalée à celle de la divinité, grande et immuable. De mC-me que les choses que l’on jette dans le feu deviennent semblables à l’essence du feu et deviennent la nature du feu, c|ui les a faites ce qu’elles sont devenues, de même aussi la nature divine a reçu la nature humaine, l’a enfermée dans sa propre nature, l’a changée et l’a faite désormais une, sans division, en essence comme en prosôpon, et ni dans la nature, n dans le prosôpon, il n’y eut vraiment d’addition à la trinité. C’est ainsi, disent-ils, que son incarnation a eu lieu et qu’elle est conçue. « Trad.Nau, p. 21. Nestorius ajoute que ceux qui soutiennent cette doctrine sont généralement en dispute avec tout le monde : avec les manicliéens, en ce qu’ils admettent deux essences réelles avant l’union ; avec ceux qui enseignent la concrétisation du Verbe en chair en ce que, d’après eux, la chair n’est pas formée de la nature de Dieu, mais de la nature de nos pères ; avec l'Église, en ce qu’ils cliangent la cliair en l’essence de Dieu ; en un mot, ils enseignent >< non l’incarnation de Dieu mais la déification de l’hoinme. » Ibid., p. 22.

- De cette doctrine découle logiquement le théopaschitisme, c’est-à-dire l’attribution des soulTrances et de la mort à la nature divine. Tous les monophysites ont été traités généralement de tliéopaschites, mais l’accusation porte évidemment à faux pour les monophysites sévéricns. L’addition au Trisagion des mots : Qui crucifi.vus es pro nobis, faite par Pierre le Foulon et acceptée par les sévériens, était rapportée par ceux-ci à la seule personne du Verbe en vertu de la communication des idiomes, et non à la Trinité tout entière. L^ne autre formule que les mêmes monophysites mirent en circulation : Un de la Trinité n souffert, a été crucifié, était parfaitement légitime en elle-même, mais équivoque, .ussi des moines scythes habitant Constantinople, au début du vi*e siècle, la corrigèrentils de cette manière : Un de la Trinité a souffert dans la cliair, e'ç ty| ; âyia ; Tpfi&o ; ÏTiaÛE (rapxû Malgré sa parfaite orthodoxie, la formule de ces moines rencontra de l’opposition parmi les catholiques ; on lui trouvait un relent d’eutychianisme, ou tout au moins, on la déclarait dangereuse et inopportune. Elle finit cependant par être acceptée. Justinien l’inséra dans sa solennelle profession de foi du 15 mars 533, et le pape

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