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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


iieUemeni du type émotionnel, le lecteur Je voit sans peine : il faut sentir l’action de la grâce. Pourquoi la conversion catholique peut être du type purement intellectuel, comme chez Newman, ou purement volontaire, comme chez Ignace de Loyola, ce n’est pas moins clair : se convertit celui qui se résout au devoir connu, fût-ce froidement, uniquement par raison. Il n’en résulte pas qu’il n’y ait entre les conversions scientistes, protestantes ou catholiques aucune analogie. Une âme affective et sensible, avant de se donner au catholicisme, passera par bien des crises de sensibilité. Le cas d’Augustin est classique. Mais c’est une faute de donner à ces phénomènes une importance égale dans toutes les Églises, d’insister, par exemple, sur la dernière étape d’Augustin, Confess., 1. VIII, c. XII, P. L., t. XXXII, col. 762, sans tenir compte du processus intellectuel qui, dès longtemps, l’avait conduit à la certitude de la vérité. Ibid., 1. VIII, c. i, n. 1, col. 749 ; 1. VI, c. iv, n. 6, col. 722.

rf) Visions et révélations. — Nous mentionnerons ici, sans nous y attarder, les visions et révélations. En fait, il n’est guère de religion qui n’en réclame pour elle le bénéfice. Ces deux ordres de phénomènes sont souvent associés, mais distincts en droit. Par contre, si l’on considère la manière dont ils sont perçus, on pourra les distinguer également en sensibles, s’ils correspondent à une perception externe, réelle ou estimée telle, en imaginatijs, s’ils sont atteints uniquement dans des phantasmes ou images intérieurs, en intellectuels, s’ils se produisent sans aucun concomitant physiologique de nature spatiale ou quantitative.

Enregistrant ces distinctions, parce que la diversité des témoignages autorisés les exige, nous renverrons le lecteur aux articles spéciaux. La raison en est que ces expériences, à tout le moins, ne sont pas du domaine commun ; leur étude ne s’impose donc pas dans un travail où l’on envisage surtout l’expérience religieuse en tant que critère ordinaire de connaissance, ou facteur général d'évolution. De plus, elles ne sont pas liées davantage aux phénomènes supérieurs dont nous allons traiter : bien des témoins s’en disent gratifiés qui manifestement n’ont, de toute leur vie, rien soupçonné des « touches mystiques » .

3. Expériences mystiques.

Nous gardons ici la même réserve, nous bornant à articuler quelques distinctions indispensables.

La meilleure notion des états mystiques est celle qui voit en eux, par opposition avec la connaissance abstraite et discursive, une connaissance expérimentale de Dieu. Le fidèle conçoit le divin ; le mystique le sent et le goûte.

n) Le sentiment de présence. — Au premier degré de ces impressions se place le sentiment de la présence de Dieu, non plus par effort intellectuel ou de mémoire, mais par impression sensible. Toutefois, sous un même mot s’abritent encore des phénomènes très divers.

a. Le sentiment de dépendance. — A. Sabatier écrit : « Le sentiment de notre subordination fournit la base expérimentale et indestructible de l’idée de Dieu… Avant toute réflexion et toute détermination rationnelle, [son objet] nous est donné… On peut établir sans crainte cette équation : le sentiment de notre dépendance est celui de la présence mystérieuse de Dieu en nous. » Esquisse, 9'^ édit., 1. I, c. i, § 2, p. 20. D’autres renchérissent : « En m’isolant de tout ce qui est extérieur et en me repliant sur la profondeur la plus intime de ma conscience, j'éprouve soudain avec une incomparable intensité le contact brûlant, la pénétration directe d’une vie où la mienne semble se noyer, ou plutôt d’où la mienne semble surgir… Dans une intuition spontanée, vivante et intime, je connais de la façon la plus indiscutable que mon être se mêle h un être

qui le déborde et l’enveloppe… Je le nomme spontanément Dieu. » Schneider, Les raisons du cœur, Paris, 1907, p. 119 sq. On le prévoit : les critiques les plus posés refuseront cette interprétation trop rapide. Ils ne verront lu rien de plus que V impression commune de limitation, de contingence, traduite dans l’espèce en langue panthéiste, mais qu’on reste libre de considérer d’autre manière.

b. Le sentiment de présence. — Les mystiques catholiques parlent de bien autre chose. Il conviendrait, ce semble, de distinguer im degré inférieur, que voici : l’intensité, la fréquence, la suavité des actes de charité peuvent devenir telles que le fidèle, conscient de sa propre faiblesse, se sente porté à en attribuer la cause à une assistance spéciale de Dieu ; il serait là, pr voquant lui-même cette activité de l’amour. A quelques égards, ce cas ressemble donc au précédent : la présence de Dieu n’est pas proprement donnée ; elle se conclut. En cela rien de proprement mystique.

Le sentiment mystique de présence s’accompagne, au contraire, d’une touche intérieure toute nouvelle. Les premières fois, l'âme qui en est gratifiée sent en quelque sorte qu’elle entre dans un monde jusque-là inconnu. Fort justement, l’on s’accorde à regarder cette impression comme caractéristique.

Mais n’y a-t-il pas dans ce phénomène des aspects encore trop peu étudiés ? Laissons de côté la présence sensible ou Imaginative qui équivaudrait à une vision de même nom. Ne faut-il pas nettement distinguer une présence affective et une présence intcUecluellel

Le mot affecti/ est très impropre, si l’on songeait à une expérience confinée dans les seules puissances affectives. Les mystiques expliquent que tantôt cette présence est plus éclairante qu’enflammante, S. Jean de la Croix, Vive flamme d’amour, str. iii, vs. 3, § 10 ; Nuit obscure, 1. II, c. xiii ; au surplus, sans conscience concomitante, sans connaissance aucune, un état affectif ne serait pas humain et ne pourrait être objet de mémoire. Ce terme toutefois pourrait être utile, par opposition avec la présence strictement intellectuelle, pour indiquer un mode de présence certainement lié à des états affectifs particuliers, tels que les facultés inférieures y ont encore leur part.

Ici se place un problème délicat : cette présence affective consiste-t-elle dans une touche sui generis qui provoque l’amour, ou n’est-elle qu’un mouvement d’amour sui generis qui révèle la présence spéciale de Dieu ? la présence de Dieu est-elle connue antécédemment à l’amour qu’elle éveille, ou seulement dans et par cet amour ? La complexité psychologique du cas et la rapidité de l’inférence qui porte à conclure d’un sentiment manifestementextraordinaire à sa cause transcendante, peuvent amener les mystiques qui ne s’analysent pas à parler per modum unius de la présence de Dieu comme d’un donné original. On voit, par contre, la gravité des conséquences de l’une ou l’autre solution : dans la seconde, l’explication psj’chologique est aisée, la critique ascétique très facile, le rôle du « don de sagesse » prépondérant ; la première, plus difficile à entendre, prête aussi à plus d’illusions. On croit pouvoir dire que la question reste ouverte.

Voici, à litre d’exemple, quelques témoignages de conloniplatifs, qui ont clierché plus de précision : Dieu, dit Angèle de Foligno, se joue à visiter l'âme et à se retirer, quand elle veut le retenir ; rcmanel lamen in anima… lanhi lietilia, qiiod nullomodo diibitat qidn Deus sil priesens. Vie, c. XIII, n. 151, Acta sanctonim, t. i, p. 211. Je ne me retire pas réellement, dit le Christ à Catherine de Sienne, mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l'âme qui paraît et disparaît… Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la cftarité, do diverses manières. » Dialogues, édit. E. Cartier, Paris, 1855, t. i, p. 202 sq., 20.5. In via amaliixt, écrit Louis de Blois, sentit [ « ;  ! / ; (i « | œstitm qiiemdaiii (/iiieti anioris, siuc contacluin