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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/36

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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS


sacré deux élémenls, l’un terrestre, l’autre céleste. Gufl reconnaît, dans cet élément terrestre, les accidenlia sine siibjecto des théologiens scolastiques et il avait été précédé dans cette voie par Nicolas le Nourrj-, Apparatus ad Bibliolb. max. vet. Patrum, t. I, 1. II, diss. VI, p. 601, et le cardinal Bellarmin, De eucharislia, 1. II, c. vi, p. 573. Mais sans rien dire des théologiens protestants, tels que J. E. Grabe, Noise ad Irenœum, p. 227, qui ont prétendu déceler dans ce texte passablement obscur la négation de la transsubstantiation, déjà le bénédictin René Massuet, le savant éditeur des œuvres d’Irénée, avait, avant MgrBatilïol, découvert, dans cet élément terrestre, non les qualités sensibles du pain et du viii, mais la chair et le sang du Christ. Il semble pour le moins hasardeux de prêter à Irénée toute une métaphysique, sur la foi d’un texte aussi enveloppé. S’il affirme avec évidence un changement produit dans le pain par l'épiclèse dont l’effet est de lui ôter son caractère de nourriture ordinaire, rien n’oblige, semblc-t-il, à voir dans ce changement l'équivalent d’un changement substantiel. Sans doute, un tel changement n’est pas nié non plus, comme le prétend W. W. Harvey, le plus récent éditeur de VAdversus hærcses, Cambridge, 1857, t. ii, p. 208, n. 1, mais on jugera aisément que ce n’est pas là une raison qui puisse autoriser à affirmer qu' Irénée a été en possession d’une théorie eucharistique assez achevée pour mettre au service du dogme une conception philosophique de la nature corporelle.

Gufl n’est pas plus heureux dans les emprunts qu’il fait à Tertullien. S’il ne s’agissait que de prouver chez cet écrivain la croyance à un élément sensible objectif faisant partie intégrante du sacrement, il aurait pu s’adresser au texte du De corona, c. m : Calicis aui partis nostri aliquid dccuti in terram anxie patlmur, qu’on peut rapprocher du texte d’Origène, In Exod., homil. XIII, 34, exprimant le même souci respectueux à l’endroit des espèces consacrées : Cum suscipilis corpus Domini, cum omni cautela et veneralione servalis, ne ex eo parum quid décidât, ne consccrati muneris aliquid dilabaiur, et il eût été en droit de conclure comme il le fait : Igitur ne ridicula esset sollicitudo TerluUiani, judicandum est, eum aliquid reale præler corpus Christi, in eucharislia credidisse a parle rei. Encore le texte ne permettrait-il pas de déterminer la nature de l'élément qui demeure soumis aux lois de la pesanteur : substance ou accidents ? La théorie de l’impanation s’accommoderait fort bien de la phrase du De corona. Guû prend, en réalité, une phrase de V Adversus Marcionem, 1. 1, c. xiv, dont on doit prouver tout d’abord qu’elle n’exprime pas la conception purement symbolique de l’eucharistie : Panem quo ipsum corpus suum reprieseniat. Sans doute, le mot reprœsenlare doit s’interpréter chez Tertullien dans le sens de : rendre présent et non dans le sens de : figurer, symboliser, mais quand on aura prouvé que Tertullien est indubitablement réaliste, lui dont les métaphores sont d’un réalisme que seul Chrysostome égalera : Caro cor pore et sanguine Clirisli vescitur, Ml-on’De resurrectione carnis, c. wu, ul et anima Dca saginetur, il restera à prouver que, pour Tertullien, le sacrement se compose du corps et du sang du Christ et des accidents absolus ; d’autant plus qu’il paraît difficile de nier qu’une fois au moins, l’auteur du traité contre Marcion n’ait vu dans le corps eucharistique un symbole, opposé comme tel au corps historique et réel du Verbe. Adu. Marcionem, I. IV, c. xl. Quand Tertullien, Ad uxorem, 1. II, c. v, veut démontrer le danger du mariage avec les païens par la raison que le mari, voyant son épouse se nourrir le malin de la nourriture divine, sera exposé à prendre la cliair d’un Dieu pour un pain vulgaire, que voit-on là qui insinue le moins du monde une théorie des apparences sacramentelles ?

Origènc est mis à contribution sans plus de succès, croyons-nous. Gufl utilise le commentaire que cet écrivain donne du % Il du c. xv de saint Matthieu : Non quod inlral in os coinquinat hominem. Origène, répondant à l’objection naturelle que suggère aussitôt la pensée de la nourriture eucharistique, discerne dans l’aliment sanctifié comme un double aspect : l’aspect physique, suivant lequel cet aliment subit le sort des nourritures ordinaires i/.at' a-j-b rb -JXi/.bv si ; t/iV y.ot-Xiav xwpeï y.al eîç à'^îSptôva ÈxêiXsxat, et l’aspect qui nous le montre, objet de la prière liturgique dont il tient son pouvoir utile et sanctifiant. Dislinguil ergo, écrit Gufl, op. cit., p. 80, in eucharislia duo scilicel maleriale el spiriluale corpus Christi. Seulement, ce mot ûXtxbv, qui suggère l’idée d’une réalité bien terrestre et grossière, opposé surtout qu’il est « à la prière qui a été faite sur l’aliment matériel selon l’analogie de la foi, » se laisse-t-il atténuer jusqu'à ne plus signifier que les accidents de la substance matérielle. Dans le baptême, l’eau sanctifie et reste eau. Les mauristes attribuent hardiment à Origène la conception nette et précise de la distinction qui oppose, dans le langage philosophique, substance et accidents. Ils empruntent cette interprétation au savant et original évêque d’Avranches qui, dans ses Origeniana, 1. II, p. 178, écrit sans bronclier : Maleria autem constans illa pars punis, quam in seeessum cjici ait, ea sunt accidentia materiæ panis inhserentia, quse corrupta a stomaclio et in novam conversa subslanliam, vel in seeessum abeunl, vel humani corporis formam induunl. Et pour bien prouver qu’ils pensent comme Huet, ils renvoient à la Somme de saint Thomas, III » , q. lxxvii, a. 5, 6. Seulement, à penser comme saint Thomas qui est du xiiie siècle et Huet qui est du xvii^, ils risquent fort, sinon de travestir, au moins de dépasser la pensée d’un écrivain qui est du 1111=. On prouverait qu’Origène « aurait dû » admettre la théorie des accidentia sine subjecto, qu’on ne serait pas le moins du monde en droit de dire qu’il l’a admise effectivement. Nous sommes toujours exposés à « retrouver » notre pensée chez des écrivains antérieurs, chez ceux-là surtout qu’aucun désaccord essentiel ne sépare de nous. Nous serions donc moins hardi que Struckmann, Die Gegenwarl Christi in der heiligen Eucliaristie nach den schrijllichen Qucllen der vornizànischen Zeil, Vienne, 1905, p. 184, note, qui, certes, a raison de ne pas s'étonner de ne point trouver ici chez Origène les termes scolastiques de « substance » et d' « accident » dont le sens dogmatique devait être fixé postérieurement, mais qui, sur la question de fond, juge qu’Origène, par le mot 'Jlri, -JXtxov, doit avoir eu en vue l'élément matériel faisant partie intégrante du phénomène externe. On comprend qu’on ait pu juger que cette subtilité manquait d’objectivité. Tout ceci nous autoriserait peut-être à conclure qu’il ne faut pas espérer découvrir chez les Pères une théologie proprement dite des qualités sensibles du sacrement. Des conceptions qui leur sont familières auraient permis au besoin de prévoir cette lacune. Dans leur prédication eucliaristique, les Pères se montrent en général plus préoccupés de fortifier la foi que de stimuler la raison à l’investigation curieuse du dogme ; dans la question du « comment » particulièrement, ils concluent à l’incompétence de la raison. Contre ses scrupules ou ses hésitations, ils en appellent ou à l’attribut de la toute-puissance divine, ou à d’autres mystères de la foi, tels que celui de l’incarnation du Verbe et de la naissance virginale ; leur homilétiquo insiste plus volontiers sur le côté pratique, celui de la réception digne du sacrement, signalé par saint Paul, I Cor., xi, 27-32, que sur le côté purement spéculatif. La foi s’interdisant de spéculer sur le mystère, cela demeurera un liième, une sorte