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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS ;


et que tout maître en théologie se croyait obligé de la traiter. L’auteur, après avoir nié la persistance des accidents, qui, d’après lui, n'échappent pas plus au changement que la substance : sapor et color, qui priiis cranl in pane et vino, modo non sunt jn eis post consecrationem, ciim penitus non sint ; neque in corpore Cliristi sunt, et ita fît hic commuiatio secundum utrumque, p. 43, n’en pose pas moins, un peu plus loin, la question d’usage : De lus quse rémanent, solet quseri ad quid remaneant et in quitus. Ibid. Tous ces textes nous montrent la question du mode d’existence des éléments sensibles du sacrement posée très hardiment vers le commencement du xtie siècle par les premiers sommistes et discutée dans les formes et le langage scolast-'ques. C’est bien une question de dialecticiens, hantés par les catégories d’Aristote et du pseudovugustin. Alger avait raison de dire : Quærunt dialectici… On sait que la dialectique charriait alors une bonne part de métaphysique, et nous la voyons précisément triompher vers la même date, avec la méthode ratiocinante de l’auteur du Sic et non et de la Theologia christiana, dont l’instrument sera la libre enquête rationnelle : Dubitando cnim ad inquisitionem venimus ; inquirendo veriiatem percipimus. Abœlardi opéra, édit. Cousin, t. i, p. 16.

Ce n’est pas que la solution traditionnelle ne se retrouve point, la phraséologie scolastique en moins, à une date antérieure. On la trouve en substance dans un sermon de Geoffroi Babion, scolastique d’Angers, imprimé par Beaugendre, Hildeberti opéra, col. 422, sous le nom d’Hildebert de Lavardin et conservé « n manuscrit à la Bibliothèque nationale, n. 8433, fol. 30. En Orient, elle paraît, durant la seconde moitié du xie siècle, dans le dialogue de Samonas, évêque de Gaza, avec Achmed le Sarrasin, Galland, Bibliotheca vel. Palrum, t. xiv, p. 225, dont la première partie a été publiée par Gretser dans sa collection des Opuscules de Théodore Abucara. Gretseri Jacobi opéra omnia, Ratisbonne, 1741, t. xv, p. 400. Achmed objecte à l'évêque la fraction du pain eucharistique : le Christ est-il un ou plusieurs, multiplié dans chaque parcelle de l’hostie ou identique sous chacune ? Son interlocuteur s’efforce, au moyen d’analogies ingénieuses, celle du miroir brisé dont chaque fragment rellète l’objet, du discours dont l’unité indivise se laisse saisir par tous les auditeurs, de faire entendre au sectateur du prophète que le mystère ne contredit pas à la raison. Il termine en lui déclarant que la fraction n’intéresse que les accidents sensibles du pain consacré ; le corps immortel et incorruptible échappe h ce morcelage : « Quand donc, dit-il, vous voyez diviser en parties le pain sanctifié, ne pensez pas que le corps du Christ soit divisé ou déchiré : ij.r, vôjxiar, ; on iJ.epii^cTa ;, r, aTroonàTai, r, îcatpEÎTai tÔ a/pavxov ày.îtvo a(ô(J.a àÔôvaTov ^àp -/.a açGaprov, xa àôauàvïjTov, à)./, ' Ti [j.£pt(iiicJ ; âuTtv exEÏvoç twv aî(T8-/)T(i)v <TU[j.êe6'/)y.or(ov ixôvov (j.erà tbv àyiaTiJÔv… » Ce texte, dont l’orthodoxie est d’une admirable précision, afflrme deux choses : après la consécration, seuls les accidents — on remarquera le terme aristotélicien de cruu.oïorj/ÔToav — subissent une séparation de leurs parties ; ces accidents demeurent donc objectivement, après comme avant la sanctification. L'évêque de Gaza s’exprime, à peu de chose près, comme le fera environ cinq siècles plus tard le concile de Trente : mancnlibus dumiuxal speciebus, sess. XIII, can. 2, De eucharistia. Aussi, le savant Le Quicn, citant le passage de Samonas, Damase. opéra, t. i, p. 654, a-t-il raison de lui donner cet éloge : Hœc exactissima sunt et ulriusque Ecclesiæ Iraditioni et doctrinæ conscntuneu.

La même doctrine se retrouve dans les recueils de Sentences qui appartiennent à la période curieuse de l’histoire de la théologie où celle-ci ne s’est pas

encore dégagée du droit canon et de la morale : Quanwis e/nm, écrit Guillaume de Champeaux, sacramenta ibi sint secundum fractionem et odorem et eolorem et saporem, tamen in utraque specie totus est Christus. Sententise vel quæstiones.lvii, édit. G. Lefèvre, Lille, 1898. Credendum est igitur, dit à son tour Anselme de Laon, quod species iltae franguntur, dentibus teruntur, res enim sacramenti, scilicet dominicum corpus integrum manet. Sententise, édit. G. Lefèvre, Millau, 1895. Dans la controverse contre Bérenger de Tours, rien n’est plus fréquent sous la plume des défenseurs de l’orthodoxie, que des assertions telles que celle de Lanfranc : Cum divina pagina corpus Domini panem vocal sacrata ac mystica loculione id agit : seu quoniam ex pane conficitur ejusque nonnutlas retinet qualitales… Op. cit., c. vi, xiv, XVII et passim. Paschase Radbert écrira de même : Sapientia Dei Patris maluit hoc myslerium in specie panis et vint permaxere quam in colorem et saporem carnis et sanguinis demutari. De corpore et sanguine Domini, X, 1, P. L., t. cxx, col. 1305. Ratrarane n’est pas moins catégorique : Panis et vinum prius exstilere ; in qua etiam specie jam con.'secrata permaXEBE videntur, De corpore et sanguine Domini, c. liv, P. L., t. cxxi, col. 149 ; Species ereaturæ quse fuerat ante PERMAysissE cognoscitur. Ibid., c. xii, col. 133. Le nominalisme eucharistique de Bérenger ne s’attaque pas moins à la persistance des qualités du pain et du viii, qu’au dogme de la transsubstantiation. On s’en convaincra en lisant ce livre d’un rare ennui qui a pour titre : Berengarii Turonensis de sacra cena liber poster ior, signalé par Lessing dans la bibliothèque de Wolfenbiittel et publié à Berlin en 1834 par A. F. et F. Th. Visscher. L’hérésiarque attaque précisément chez Lanfranc l’assertion citée plus haut. Pour sa logique empir’ste et profondément imbue de nominalisme, la destruction de la substance entraîne celle des accidents : Ita, si absumitur per corruptionem subjeeti in altari panis, ut caro esse incipiat per generationem subjeeti, non sibi retinet, ut scribis, caro Cliristi, modo esse incipiens per generationem subjeeti, nonnutlas qualilates panis absumpti per corruptionem subjeeti, quia corruptu

    1. SUBJECTO##


SUBJECTO, QUOD IN SUBJECTO EO ERAT SUPERESSE QUACU.VQUE BATIONE A’OA' POTUIT. Op. cit., p. 93, 171,

2Il et passim. On remarquera l’erreur, due peut-être à la terminologie aristotélicienne, qui fait prendre à Bérenger la production du corps du Christ pour une génération ; on observera en tout cas combien ce langage diffère de celui d'écrivains, tels que Lanfranc, qui subissent plus profondément l’influence des Pères. L’archidiacre d’Angers, tributaire en cela de son devancier, Scot Ériugène, oppose au principe d’autorité les droits de la raison. Lanfranc le calomnie : il saura apporter au besoin ses autorités, mais le raisonnement est un procédé de discussion infiniment supérieur : quamquam ralione agere in pereeptione veritatis incomparabiliter super ius esse, quia in evidenti res est, sine vecordim cœcitate nultus negaverit. Op. cit., p. 100 sq. Pour un homme sensé, mieux vaut périr en suivant la raison que s’incliner devant les seules autorités : nec sequendus in eo es ulli cordato homini, ut malit auctorilalibus circa aliqua cedere, quam ralione, si optio sibi dctur, perire. Ibid., p. 102. Un tel langage, accentuant les négations précises, au nom de la raison, en même temps qu’il devait créer un préjugé d’orthodoxie en faveur de la doctrine attaquée de la persistance des accidents sensibles, pouvait, croyons-nous, produire un double effet : jeter la susbicion sur la dialectique eu coquetterie avec le rationalisme, ou bien déterminer, par une réaction tout opposie, un essai de justification rationnelle de la llièse même oi’i la raison hautaine de l’hérésiarque